Sur le papier, l’association fait plus que rêver : elle paraît naturelle. Albert Dupontel et Benoît Poelvoorde, réunis pour la première fois devant une caméra dans la peau d deux frères aussi paumés l’un que l’autre. Deux acteurs / personnages / fouteurs de merde professionnels qui ont démontré en bientôt vingt ans de carrière cinématographique l’étendue de leurs talents, non seulement comiques mais aussi dramatiques. Deux personnalités qui ne pouvaient que s’entendre avec l’autre duo Delépine / Kervern, piliers du Groland et dérouleurs d’une filmographie que l’on qualifiera gentiment de déconcertante. L’humour braillard et extraordinairement incorrect qu’ils ont implanté durablement dans le PAF n’est pas de mise dans leurs réalisations pour le grand écran. Le truc de Benoît et Gustave version cinéastes, c’est le surréalisme absurde, l’anarchisme mélancolique, l’amalgame fortuit et incontrôlé entre Aki Kaurismaki, Roy Andersson et un Tati par temps maussade. Bref, un truc anti-commercial au possible, si possible même, car les deux compères ne cachent pas leur aversion pour le star-system et les conventions du showbiz, malgré les castings de plus en plus prestigieux dont ils disposent.

« T’as déjà vu un punk obèse ? »

Not (Poelvoorde) et son chien : le Chat de Feu Vert va connaître sa douleur !

Succédant à un Mammuth qui perdait au fil de ses routes de campagne son intérêt et sa force satirique, Le Grand soir est un autre « film-concept » forcément alléchant de par la présence d’Albert et Benoît, deux fils de « patatiers » qui vivotent dans une zone commerciale anonyme (quoiqu’elle semble se situer du côté de Bègles), de celles que l’on a tous croisé un week-end de courses teinté d’ennui. Jean-Pierre (Dupontel) est vendeur de matelas tandis que Not (Poelvoorde) est l’autoproclamé « plus vieux punk à chien d’Europe ». Au bout du rouleau maritalement, Jean-Pierre finit par être licencié, perd tout son argent… et se range à la cause libertaire de Not, qui vit dans la rue depuis tellement d’années qu’il est lui-même déboussolé.

Le Grand soir est tout entier là, dans ce synopsis rachitique et prometteur, et il l’exploite tout autant qu’il s’y tient. En kepon vieillissant mais toujours incontrôlable, Poelvoorde est effectivement au meilleur de sa forme, toujours juste alors que le rôle prêtait à la caricature la plus facile. Le duo avec son chien qu’on jurerait sorti de The Artist le rend forcément attachant, sans doute plus que Dupontel, qui écope d’un personnage unidimensionnel et peu fouillé, laissant le comédien s’en remettre à son abattage naturel (et dieu sait qu’il en a, de l’abattage) pour lui donner du relief. Le décor de la triste ZAC est moins bien dépeint qu’on pourrait le croire, alors qu’il s’agit bel et bien d’un territoire quasi-vierge visuellement. Toujours aussi aride et (volontairement ?) décousu, le style des deux réalisateurs transmet sans peine cette impression de société décrépie, désertée par les « vrais gens » qui se terrent chez eux et remplie au contraire de passants amorphes, un constat auquel n’échappent pas les parents des deux lascars, joués de manière impassible par Brigitte Fontaine et Areski Belkacem. Le film baigne tout entier dans un nihilisme désabusé qui désamorcerait même l’envie de tout faire péter : voire ce rassemblement « devant l’ancien Leroy Merlin », ce grand soir qui finalement n’intéresse personne. Pour une bonne révolution, repassez plus tard.

L’épopée futile

Not et Jean-Jacques (Dupontel) : le punk fatigué et l’anonyme en perdition.

Si l’on est pas allergique à l’humour particulier du quatuor, il y a matière à rire vraiment et souvent dans Le Grand soir. D’apparitions tordantes (guettez le caméo de Gégé, particulièrement jouissif) en apprentissage express de la clochardisation, de pétage de plombs dans les supermarchés en dialogues absurdes avec des pendus, l’imagination de « Kervépine » ne chôme pas une fois encore, même si elle s’égare aussi parfois (les concerts fantasmés des Wampas, qui reviennent régulièrement comme autant de cheveux sur la soupe). Seulement, l’impression qui reste après que les lumières se rallument, c’est celle d’avoir seulement gratté la surface d’un profond mal-être social, d’avoir allumé la mèche pour rire avant de disparaître promptement. À la fois grinçant et maladroitement émouvant, Le Grand soir finit par paraître aussi futile que l’épopée pathétique de ses héros. Plutôt dommage vu le talent gros comme ça de ses têtes de cortège.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Trois sur cinq
Le Grand soir
De Benoît Delépine et Gustave Kervern
2012 / France / 92 minutes
Avec Benoît Poelvoorde, Albert Dupontel, Bouli Lanners
Sortie le 6 juin 2012
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