Le grand public a appris ces quatre dernières années à connaître les super-héros de la Marvel trop longtemps éclipsés par la superstar Spider-Man. On refait le compte ? Deux Iron Man (une réussite et une série B boursouflée), deux Hulk (l’un trop expérimental pour son propre bien, l’autre trop bourrin pour convaincre), un Thor oscillant entre kitsch absolu et grandiloquence shakespearienne, ainsi qu’un Captain America délicieusement rétro ont pavé la voie vers ce grand raout intergalactique qu’est  Avengers. À ce stade, est-il encore nécessaire de rappeler de quoi parle le film ?

« – What do we do ? – We get ready »

Hawkeye, le Cap’ et la Veuve Noire prennent la route. Objectif : baston !

Comme on pouvait s’y attendre, au vu des indices (le mot est faible) disséminés dans les précédentes productions Marvel, Avengers démarre avec l’arrivée sur Terre d’une menace, si grande que l’agence secrète du SHIELD n’a d’autre choix que de rappeler dans son Q.G. les plus puissants super-héros qui soient, épaulés par un duo d’agents très spéciaux, Hawkeye et la Veuve noire, introduits respectivement dans Thor et Iron Man 2. Sur cette base expéditive et linéaire, Joss Whedon et Zak Penn ont mis sur pied une histoire qui va droit à l’essentiel : l’interaction entre des personnages déjà iconisés, et beaucoup, beaucoup d’action.

Le pari n’était pas gagné d’avance. S’il est annoncé depuis de nombreuses années, Avengers aurait pu ressembler au final à la plupart des productions Marvel précédentes : colorées, sympathiques, mais flirtant souvent avec le ridicule et un cynisme assez condescendant (excepté pour Captain America), en plus d’être incroyablement avares en action, le pompon ayant été décroché par Iron Man 2 et Thor. Le choix de Joss Whedon pour diriger une superproduction budgétée à 220 millions de dollars a aussi fait se soulever quelques paires de sourcils. Néanmoins, le Dieu des geeks a parfaitement sa place dans une telle entreprise : showrunner de plusieurs séries tournant autour du concept d’équipes et de super-pouvoirs, souvent arrosées d’un fort second degré et de dialogues à double sens, Whedon est également connu pour être un script doctor très recherché, en plus d’avoir une expérience de scénariste de comics (les X-Men en particulier). Associé à Zak Penn, lui aussi rompu à ces univers hauts en couleurs (on lui doit notamment le script de L’incroyable Hulk et la série Alphas), Whedon livre un scénario qui constitue le gros point fort des Avengers : malin, parfaitement équilibré pour donner à chacun de ses personnages un moment de gloire, calibré comme une horloge suisse jusque dans la régularité de ses punchlines (dont la plus anthologique, « We have a Hulk », mériterait presque son propre T-shirt). C’est sur cette base solide, qui résout une équation impossible sur le papier, que s’appuie la réussite du film.

« – Is everything a joke to you ? – Funny things are »

Iron Man en pleine action. « À quelle température, les hot-dogs ? ».

Certes, tout n’est pas parfait dans Avengers : outre la musique passe-partout d’Alan Silvestri, on est par exemple un peu déçu de voir que Loki est bien le véritable méchant de l’histoire, le frère de Thor étant aussi peu menaçant/convaincant ici que lors de sa première apparition asgardienne (Kevin Smith l’aurait traité comme il aime à le faire de « whiny bitch »). Souffrant toujours d’un complexe d’infériorité et d’une arrogance inversement proportionnelle à son manque d’intelligence tactique, Loki et l’armée d’outre-espace qu’on lui confie n’ont d’autre raison d’être que de permettre aux Avengers d’avoir un ennemi commun. C’est un MacGuffin, effectivement, mais efficace, et assez simple à résumer pour laisser tout le temps à Nick Fury et sa clique de se jauger. Et aux scènes d’anthologie de se succéder.

Et, il faut le voir pour le croire, elles sont véritablement NOMBREUSES. C’est bien simple, les cinq premières minutes, quoique assez grossières (voir l’entrée en scène bien ridicule de Hawkeye) sont déjà plus impressionnantes que l’intégralité de Thor, et le titre n’a même pas encore eu le temps de s’afficher à l’écran. À partir de là, Whedon et ses monteurs optent pour un montage séquentiel redoutablement efficace, ajoutant l’une après l’autre des couches narratives qui seront toutes reliées lors d’un premier climax étourdissant à bort du SHIELD volant, cumulant rien de moins que cinq intrigues séparées dans un montage alterné qui rendra jaloux George Lucas. Des morceaux de bravoure épars qui donnent une légitimité inédite au concept, un brin casse-gueule à faire passer de la page à l’écran, d’une équipe de super-héros réunis sous une même bannière pour sauver la Terre.

« – We need a plan of attack – I have a plan : attack ! »

Thor et le Cap’ côte à côte pour l’un des innombrables plans iconiques du film.

D’ores et déjà, les critiques se font l’écho du choc ressenti face à la dernière demi-heure estomaquante de ce banquet multicolore, entièrement consacrée aux exploits des Vengeurs face une invasion extraterrestre. Elles ont bien raison : si l’expression « tour de montagnes russes » est souvent employée à tort et à travers, elle n’a jamais été si justifiée que dans ce film. Même le spectateur le plus rétif au genre ne pourra s’empêcher d’agripper son siège, d’applaudir comme un enfant de dix ans ou de rire à gorges déployées durant ce giga-morceau d’une bravoure d’une puissance iconique insensée. Des rues de Manhattan aux confins de la galaxie, le spectacle atteint une dimension grisante insoupçonnée, les saillies comiques (dues à Tony Stark bien sûr maisu aussi au Hulk, mieux utilisé en quelques minutes que dans les deux films dont il était la star) n’étant que de jouissifs intermèdes permettant de respirer avant le money shot suivant. Dommage dans ces conditions que le format 1 :85 choisi par Whedon limite les possibilités de compositions plus élaborées que des plans moyens. En contrepartie, le montage laisse la part belle aux amples mouvements de caméra (virtuelle ou non) et même à un plan-séquence in-vrai-sem-blable, permettant à ce déchainement pyrotechnique d’être tout à la fois ultra kinétique et parfaitement lisible – en tout cas en 2D.

Cette débauche d’effets spéciaux n’aurait pas plus de sens que dans Transformers 3 si elle ne reposait pas sur des personnages attachants. Il n’y a pas de surprise de ce côté : le détachement calculé de Robert Downey Jr., l’attitude de boy scout humaniste de Chris Evans, la bienveillance moqueuse de Chris Hemsworth sont à nouveau exploités avec bonheur, les trois acteurs confirmant si besoin était qu’il sont les interprètes idéaux pour ces héros iconiques. Nouveau venu, Mark Ruffalo est comme souvent très bon et très juste dans les caleçons de David Banner, au centre de toute les attentions et d’un « twist » émotionnel qui permet de donner du relief à « l’interprétation » de son double numérique. On est plus déçu du côté du SHIELD, Samuel L.Jackson paraissant un peu coincé derrière le cuir et le patch de Nick Fury, tout comme son acolyte Cobie Smulders (de How I met your mother), dont on se souviendra plus des tenues moulantes que de son importance dans l’intrigue. Jeremy Renner et Scarlet Johansson, qui doivent introniser en quelques scènes deux personnages au passé visiblement compliqué (on parle déjà d’un spin-off) sont légèrement plus en retrait, même s’ils finissent par faire complètement partie de l’équipe.

« – I have an army – We have a Hulk »

Le Hulk en action. Il vaut effectivement bien une armée !

À beaucoup de niveaux, Avengers est moins une confirmation qu’une véritable surprise. Surprise parce que ce qui paraissait lourd et poussif chez ses confrères devient irrésistiblement drôle chez Whedon. Surprise également parce qu’on attendait pas des effets spéciaux encore plus bluffants que dans Avatar, surtout après les premières bandes-annonces remplies de plans non finalisés. Surprise enfin parce que sous ses oripeaux de divertissement marqué du sigle « pop-corn », Avengers dégage une noblesse d’esprit, une modestie de ton et un plaisir régressif tels qu’on se prend déjà à regretter que tous les films de super-héros ne lui ressemblent pas plus. Comme Le seigneur des anneaux en son temps pour l’heroic fantasy, Avengers montre tout simplement la voie à suivre. Et met incidemment la barre très haute pour ses successeurs.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatre sur cinq
The Avengers
De Joss Whedon
2012 / USA / 142 minutes
Avec Robert Downey Jr., Chris Evans, Chris Hemsworth
Sortie le 25 avril 2012
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