Venue présenter son film dans son ancienne école de cinéma, La Femis, Deniz Gamze Ergüven est revenue sur son court-métrage, entièrement élaboré durant ses années d’étude. Après une parenthèse de 9 années, au court desquelles, elle s’est plongée peut-être un peu trop, selon son propre aveu, dans un projet chronophage, la réalisatrice franco-turque revient avec Mustang à ses premières obsessions. Elle embarque dans son premier long-métrage une fine équipe talentueuse, dont certains ont aussi fréquenté les bancs de la même institution. Mustang, en partie autobiographique, est LA sensation de la Quinzaine des réalisateurs à Cannesd’où il est reparti avec le Grand Prix.

L’innocence volée

Mustang : cinq cris de liberté

Mustang raconte l’histoire de cinq sœurs, aussi indomptables que le cheval lancé au galop. À l’aube de leur vie d’adulte, elles vivent, étudient et s’épanouissent dans un village reculé de Turquie, bien loin de l’agitation et du modernisme d’Istanbul. Une innocente virée sur la plage en compagnie de garçons les ramène brutalement à la réalité du monde patriarcal dans lequel elles évoluent. De retour chez elles, leur grand-mère et leur oncle réveillent brutalement l’archaïsme traditionnel qui règne dans leur village. Accusées, de manière totalement absurde, de semer le déshonneur sur la famille en se livrant à des pratiques sexuelles auprès des jeunes hommes du village. Les cinq orphelines perdent du jour au lendemain la liberté qui leur est si chère. L’école, tout d’abord, qui forgeait chez ces adolescentes l’esprit sauvage et rebelle de leurs jeunes années devient désormais interdite. Les vêtements sexy et les balades sur la plage ne sont bientôt qu’un lointain souvenir.

[quote_center] »Une filiation évidente avec le Virgin Suicuides de Sofia Coppola s’opère naturellement. »[/quote_center]

La maison se transforme aussitôt en prison où une violence aveugle et inculte envahit bientôt leur quotidien. Le dressage consiste principalement à métamorphoser les cinq jeunes filles en futures mariées soumises et vierges. Ordinateurs, livres et autre objet de connaissance disparaissent, laissant la place à des barreaux aux fenêtres et à des portes fermées à clef. Vérification d’hymen à l’hôpital, robes informes « d’une couleur de merde », le ménage et les cours de cuisine occupent le triste quotidien des prisonnières. Chacune à leur tour, elles subissent le même rituel du mariage forcé, opéré avec précision par les mains cruelles de leur grand-mère, sous le regard dangereux et pervers de leur oncle. Petit à petit, le récit se concentre sur le regard de la benjamine et, forcément, la dernière à recevoir une bague de fiançailles, comme une corde au cou. Elle semble porter sur ses petites épaules toutes les aspirations libertaires de ses sœurs, jadis heureuses, aujourd’hui disparues dans le mariage.

La force de la jeunesse

Mustang : cinq cris de liberté

Une filiation évidente avec le Virgin Suicuides de Sofia Coppola s’opère naturellement. De manière intimiste, la caméra caresse de près les corps des jeunes filles, qui ne font qu’un dans des jeux d’équilibristes et des roulades, comme pour sublimer leur innocence. Malgré tout, la caméra se montre un peu maladroite lorsqu’il le film se transforme en thriller, et qu’il s’agit de filmer le final à suspense, façon Les Évadés. Un dernier acte aux enjeux palpables, mais manquant terriblement de rythme. Le scénario rempli de colère exprime les retards moyenâgeux étonnants rencontrés encore aujourd’hui au fin fond de cette Turquie pleine de contradictions. Si la religion n’est pas citée une seule fois, c’est pour mieux mettre en avant la responsabilité des chefs de famille, mais également de la foule, muette et bête, qui observe et juge dans l’ombre l’innocence et la lumière. À travers sa suite de scènes-chocs, Deniz Gamze Ergüven remet également en cause le rôle de la médecine, qui cautionne et encourage les parents à réaliser des certificats de virginité sur des enfants.

Enveloppé dans un bel emballage séduisant, doux et moderne, Mustang s’envole littéralement sous la musique planante de Warren Ellis (le traditionnel compagnon de composition de Nick Cave), qui lui donne une dimension encore plus aérienne et poétique. Malgré quelques longueurs et l’utilisation d’une voix off assez assommante, ce film radical et étonnant, mérite toutefois de faire, jusqu’au bout, ce voyage aux côtés de ces héroïnes furieusement contemporaines.


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Trois sur cinq
Mustang
De Deniz Gamze Ergüven
2014 / France / Turquie / Allemagne / 97 minutes
Avec Güneş Nezihe Şensoy, Doğa Zeynep Doğuşlu, Elit İşcan
Sortie le 17 juin 2015
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