L’enthousiasme autour du premier long-métrage de Benh Zeitlin, auteur de trois courts et membre d’une communauté artistique appelée Court 13, n’est pas près de faiblir. Grand Prix au dernier festival de Sundance, Les bêtes du Sud sauvage fait partie de cette espèce rare, un film véritablement indépendant dans sa conception et sa mise en scène, tourné pour une bouchée de pain mais dont les qualités le destine à une exploitation mondiale. Même Barack Obama a publiquement déclaré adorer Les bêtes du Sud sauvage. Sa jeune actrice Quvenzhané Wallis a battu Anna Paquin pour le podium de la plus jeune comédienne nommée aux Oscars, et l’heureux réalisateur figure, en lieu et place de noms plus attendus comme Ben Affleck et Kathryn Bigelow, dans la même short list de cinéastes que Steven Spielberg. Quel intérêt de critiquer un tant soit peu le film après ÇA ?
Fantômes à l’horizon
On peut déjà parler de l’histoire contée par Zeitlin, adaptation d’une pièce en un acte de Lucy Alibar, sur une enfant orpheline de sa mère, confrontée à la maladie de son père, abusif et alcoolique mais malgré tout aimant. Le réalisateur a déplacé l’action dans un paysage de bout du monde, l’extrême sud de la Louisiane. Les rares habitants du bayou du film, endroit surnommé « La Baignoire », vivent au-delà des digues protégeant La Nouvelle-Orléans : cette communauté, attachée à cette terre en péril, reste soudée malgré la pauvreté ambiante. C’est néanmoins le seul endroit que connaît Hushpuppy, enfant mutique mais pleine d’imagination, qui s’est construit un refuge indépendant de celui de son père, régulièrement saoul. Entre deux fiestas picaresques et sauvages au sein de « La Baignoire », la vie continue, du moins jusqu’à ce que s’annonce une tempête destructrice. Le fantôme de Katrina plane bien sûr logiquement sur Les bêtes du Sud sauvage, qui assimile, dans l’esprit de Hushpuppy, ce fléau à un cataclysme préhistorique, libérant des glaces ces animaux légendaires que sont les Aurochs. Le film couple l’épopée de la communauté confrontée au pire, avec la quête de la petite fille, prête littéralement à nager jusqu’à l’horizon pour retrouver sa mère.
La grande qualité du film de Zeitlin est de ne pas se reposer sur les dialogues ou une exposition scolaire pour nous faire entrer dans ce monde si particulier : au contraire, Les bêtes du Sud sauvage s’ouvre sur une explosion de couleurs, d’émotions et d’allégresse, au son d’une musique pastorale et élégiaque signée par Zeitlin et son ami Dan Romer. On se croirait dès les premières minutes transportées dans un clip longue durée d’Arcade Fire, alors que crépitent les feux d’artifice et que résonnent en voix off (un peu trop présente d’ailleurs) les aphorismes désarmants de Hushpuppy, affirmant cette idée que la communauté de la Baignoire s’est aussi créée pour exister, pour former une entité plus forte que les individus qui la composent. L’effet séduction est immédiat, les plans fébriles en courte focale de Zeitlin (qui n’aurait selon lui jamais regardé les rushes une seule fois pendant le tournage) composant une mosaïque irrésistible de fragments de vie aptes à redonner l’envie de vivre au plus désespéré des hommes.
Film-univers
Quand les choses se calment, et que l’odyssée brinquebalante de Hushpuppy prend forme, Les bêtes du Sud sauvage convainc un peu moins : la narration se fait erratique, les interventions de Hushpuppy arbitraires… L’émerveillement ne cesse jamais, car la Louisiane sauvage et désolée filmée par Zeitlin reste éminemment cinématographique. Ces paysages ravagés par la tempête et ces personnages presque organiquement attachés à leur lieu de vie évoquent le John Boorman de La forêt d’Émeraude. Là aussi, le spectateur a la sensation d’ouvrir la porte d’un film-univers, où les enterrements se font façon viking, où les coffres de pick-up font de solides bateaux une fois retournés, où une école sur pilotis finit par ressembler au radeau de la Méduse, et où un bordel aquatique prend des allures, à hauteur d’enfant, de repère de sirènes décoré de guirlandes.
Et puis il y a les Aurochs, figure métaphorique spectaculairement représentée le temps de quelques scènes, qui renvoient instantanément aux classique animistes d’Hayao Miyazaki (Mon voisin Totoro et Le voyage de Chihiro en particulier). Des séquences à effets spéciaux réalisées, comme tant d’autres moments du film, grâce à la débrouillardise du réalisateur, qui a fait appel à tout son entourage et aux habitants de la province de Terrebonne Parish, où a été tourné le film, pour concrétiser sa singulière vision. On est même pas surpris d’apprendre que Dwight Henry, qui joue avec un naturel étonnant le père fantasque de Hushpuppy, est boulanger dans la vraie vie. Quvenzhané Wallis, choisie parmi 4000 enfants pour incarner cette incarnation de l’innocence paradoxalement tellement mature pour son âge, est tout aussi bluffante et digne de louanges, dépourvue des tics de certains enfants acteurs élevés sur les flancs de Hollywood.
C’est sur sa performance instinctive et magnétique que repose en grande partie la réussite des Bêtes du Sud sauvage, ce voyage semi-improvisé, riche en symboles mais aussi en raccourcis thématiques assez maladroits : la communauté est vue comme uniformément positive et solidaire, quand bien même ses membres sont pour la plupart alcooliques et parfois irresponsables, et en butte à une société insensible à leur sort, alors même que cette dernière est absente du film – sauf pour les emmener dans un refuge. Des contradictions qui ne pèsent pas bien lourd face à la vigueur et l’enthousiasme débordant de ce premier film ne pouvant laisser personne insensible. C’est Obama qui vous le dit.
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Les bêtes du Sud sauvage (Beasts of the Southern wild)
De Benh Zeitlin
2012 / USA / 93 minutes
Avec Quvenzhané Wallis, Dwight Henry, Levy Easterly
Sortie le 12 décembre 2012
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