Plus que les Jason Bourne (qui peuvent se reposer sur ses origines littéraires) ou James Bond (le personnage possède une aura culturelle insurpassable), les Mission : Impossible sont condamnés à une certaine discontinuité. D’une part à cause de la mainmise d’une star/producteur ayant avant tout réanimé une marque vendeuse pour réaliser son fantasme de « posséder » une franchise à sa gloire, qui condamne donc chaque opus à être un one-man show adapté à ses demandes. D’autre part parce que ce resserrement d’un univers par essence dédié à l’esprit d’équipe autour d’un seul homme repousse fatalement le reste du casting dans l’ombre, ou dans le cas du premier épisode, le condamne à disparaître purement et simplement.

Dans un Mission : Impossible, on ne retrouve pas des personnages ou des figures de style familières, mais un exercice d’équilibriste d’un cinéaste choisi par Tom Cruise pour apporter sa patte, qui ne peut déroger au cahier des charges de la saga : livrer un divertissement branché, sexy, hi-tech où l’acteur repousse ses limites physiques à l’écran (une grande partie de la promotion est à chaque fois basée sur le fait qu’il réalise lui-même ses cascades).

Son nom est Hunt, Ethan Hunt

Ethan Hunt (Cruise) en mode impossible à Dubaï.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, Brad Bird réussit pour son baptême de cinéma live (après trois films d’animation – Le géant de fer, Les indestructibles et Ratatouille – que l’on peut sans problème qualifier de bijoux) à se dépatouiller de ce casse-tête pour en ressortir la tête haute, chose que n’avaient pas su faire John Woo, et dans une moindre mesure JJ Abrams (l’opus De Palma ayant fait office de test grandeur nature, le réalisateur de Blow Out a pu détourner de l’intérieur la commande prévue pour en faire une composante essentielle de sa filmographie).

Premier choix qui fout la banane dès l’entame du générique en Russie (pour une séquence d’évasion, suivie d’une autre séquence d’infiltration, qui établissent clairement les nouvelles règles du jeu) : les tropismes habituels sont évacués ou relégués au second plan. Finis les plans sur la chevelure de Tom qui ondule au ralenti, son sourire éclatant, ses tics de comédien concerné qui constipe ses maxillaires dès qu’il faut jouer l’espion torturé. Ethan Hunt doit non pas sauver sa régulière ou débusquer un objet McGuffin (cf. l’horripilante « patte de lapin » du troisième épisode), mais plus simplement et radicalement sauver le monde. Et ce sans appuis, puisque cette fois l’équipe travaille illégalement, ou presque. Le fameux « Protocole Fantôme », évoqué en tout et pour tout une fois, est un simple détonateur lançant la véritable mission d’Ethan et ses collègues, et non un postulat narratif privant les espions de tous moyens techniques et financiers. C’est une astuce grossière de scénario, et un bon indice de la futilité des événements à venir.

Car de tous les épisodes sortis jusqu’à présent, ce quatrième est sans doute celui qui se rapproche le plus de la référence tant jalousée par Cruise, à savoir James Bond. L’aspect exotique d’une intrigue à échelle planétaire était certes déjà présent, mais toujours sous le couvert d’une intrigue sérieuse, jouant la carte de la paranoïa contagieuse et des rebondissements à double fond. S’il s’amuse volontiers avec ses clins d’œil au passé (le gag sur le téléphone qui ne s’autodétruit pas comme prévu, Jérémy Renner jouant à l’araignée suspendue comme dans MI :1, le retour longuement commenté des fameux masques), Brad Bird lorgne clairement, dans sa gestion des gadgets et de ses vilains caricaturaux et unidimensionnels, sur l’univers de l’espion britannique.

Un coup de fouet inattendu

Casino Royale ? Non, juste Hunt et sa copine en mode infiltration discrète.

Dès lors, inutile de marquer au fer rouge les invraisemblances du scénario, qui emmène Cruise, Pegg (en mode sidekick comique un peu faible), Paula Patton (charismatique en diable mais héritant d’un rôle invraisemblable) et Jérémy Renner (qui se dépatouille comme il peut avec un personnage mal écrit car affublé d’un trauma ridicule) de Russie en Inde en passant par Dubai. MI :4 assume sans broncher son statut de rollercoaster rutilant et sans conséquences, se démarquant uniquement de la concurrence par la gestion limpide de l’espace démontrée par un Brad Bird formé à l’école de l’animation (et donc à l’enchaînement de plans qui fait instantanément sens), le refus quasi-total des CGI – seule l’explosion du Kremlin détonne à ce niveau -, et l’imbrication en temps réel des scènes d’action dans l’intrigue générale, qui consiste benoîtement à commenter les missions à venir (« Bon, on va à Mumbaï, les amis. – En Inde ? – Oui. – Ok, ça me va. »).

Les fans de la série, qui se sont toujours sentis trahis par les adaptations cinéma, auront de quoi se réjouir : les meilleurs moments du film, situés à Dubaï, nous montrent enfin à quoi peut ressembler une mission impossible (et d’ailleurs foirée) menée à quatre, avec tout l’attirail sémantique et visuel propre au show de Bruce Geller : duplicité, séduction, suspense, bidouillages périlleux, grains de sable inévitables rattrapés de justesse… Des éléments qu’on pouvait retrouver de manière éparse auparavant, surtout chez De Palma, mais sans cette dimension appliquée. La seule différence étant que cette mission se termine de manière dantesque avec une poursuite en pleine tempête de sable, dont le côté outrancièrement spectaculaire (Cruise y court presque plus vite que le vent, échappe à des carambolages sortis de Die Hard, autre saga à laquelle Bird cligne méchamment de l’œil) est symptomatique d’une époque où les démonstrations d’intelligence et de système D ne sauraient suffire à contenter un public gavé aux Transformers. Pourtant, là encore la scène tourne autour des objectifs de Hunt, et reste terre-à-terre : après moult cascades, l’espion doit s’avouer vaincu face à un méchant qui s’échappe… en camionnette.

Décomplexé, parfois virtuose, enfin conscient de son infini potentiel ludique, et surtout remettant au centre des hostilités la notion de « travail collectif », MI :4 redonne un coup de fouet inattendu et inespéré à une saga bancale qui se rapprochait dangereusement de l’auto-destruction. Bird fait mieux que relancer une franchise moribonde : il en profite pour montrer qu’on peut réaliser un divertissement inoffensif sans pour autant brader l’intelligence du public.


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Troissurcinq
Mission Impossible : protocole fantôme (MI : Ghost Protocol)
De Brad Bird
2011 / USA / 135 minutes
Avec Tom Cruise, Paula Patton, Simon Pegg
Sortie le 14 décembre 2011
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