Si l’on connaissait jusque-là avant tout Andrea di Stefano pour sa carrière d’acteur, dans des films comme L’Odyssée de Pi ou Ne te retourne pas, c’est en tant que scénariste et réalisateur qu’il risque bien de se faire le plus connaître. Après cinq années passées à mettre sur pied le projet débarque ce Paradise Lost – à ne pas confondre avec le survival de John Stockwell -, qui aborde la vie et les méfaits du célèbre Pablo Escobar par la bande. La note d’intention de cette coproduction européenne, tournée au Panama avec un casting américano-hispanique, est claire : il ne s’agit pas d’un biopic classique du parrain de la drogue colombien, dont le règne de terreur et la personnalité ambivalente ont fait l’objet de plusieurs documentaires et projets de films avortés, dont le Killing Pablo de Joe Carnahan. Paradise Lost veut créer un portrait en creux du trafiquant, dont l’étendue du pouvoir et de la cruauté va être révélée petit à petit par un témoin extérieur… et fictionnel.

L’un des points marquants du film est qu’il ne montre à aucun moment le fonctionnement du cartel de Medellin et du trafic de cocaïne mis en place dans les années 80 par Escobar. Di Stefano s’est assuré, via ses années de recherche, que tout qui avait à trait à ce dernier était véridique, des décors aux dialogues. Seulement, Paradise Lost s’expose à une certaine frustration de la part du spectateur, qui devra durant deux heures suivre les faits et gestes d’un héros forcément américain (un artifice sans doute essentiel pour garantir le financement du film), lancé dans une course contre la mort qui place Escobar dans la position d’un croquemitaine interchangeable.

C’est l’histoire d’un surfeur…

Paradise Lost : tonton Escobar et moi

Le naïf de service s’appelle donc ici Nick (Josh Hutcherson, Hunger Games et surtout Detention), un surfeur au sourire perpétuel venu avec son frère dénicher un coin de paradis près de la mer. Il tombe bientôt amoureux de la jeune et jolie Maria (Claudia Traisac), qui le lui rend bien, et se laisse convaincre de la rejoindre à un meeting donné par son oncle… qui n’est autre que Pablo Escobar (Benicio del Toro). Seulement, nous sommes à une époque où la réputation du parrain n’a pas encore dépassé les frontières, et où la cocaïne est considérée comme un business tout à fait honorable en Colombie. Nick est fasciné par cette figure ambiguë vénérée par ses compatriotes, mais les avertissements de son frère et plusieurs événements sanglants lui font bientôt comprendre que figurer au sein du cercle familial d’un homme comme Escobar pourrait lui coûter cher…

[quote_center] »La mèche est pour ainsi dire vendue dès le prologue. »[/quote_center]

Personnage inventé par Di Stefano, le malheureux Nick est entrainé dans Paradise Lost dans une spirale de traîtrise et de crimes qui rappelle beaucoup le Dernier roi d’Écosse, où James McAvoy subissait une sévère et semblable désillusion en côtoyant le dictateur Imin Dada. Les similitudes sont nombreuses, et contribuent pour beaucoup au sentiment de familiarité qui pèse sur un film ô combien prévisible. La mèche est pour ainsi dire vendue dès le prologue, composé comme un double flash forward qui nous donne un peu sans raison un aperçu du dénouement. Certes, un personnage comme Escobar se passe de présentations, et il n’y a pas lieu d’être étonné par l’aura maléfique et l’atmosphère de danger qui plane autour de lui dès qu’il pénètre dans une pièce. Mais en choisissant de faire peser la menace d’Escobar sur un héros extérieur aux événements historiques qu’il décrit, Di Stefano se prend quelque peu les pieds dans le tapis. Il démontre certes le côté tentaculaire de son cartel de Medellin et sa personnalité à la fois attentionnée avec sa famille et impitoyable avec le reste du monde, mais nous laisse complètement à la porte de son terrible parcours. Sa déclaration de guerre au gouvernement colombien, son ubuesque carrière politique, son enfermement dans une prison qu’il avait lui-même conçue (et dont il s’échappera, lançant une traque internationale qui coûtera des millions de dollars à l’Amérique), sont présents dans Paradise Lost, mais au stade d’allusions, de bruits de fond.

Le show Benicio

Paradise Lost : tonton Escobar et moi

Di Stefano a tiré le meilleur parti de son tournage en décors réels, qui garantit à Paradise Lost une belle tenue visuelle, et la reconstitution de cette époque tourmentée est aussi évocatrice que soignée. Le problème se situe plutôt au niveau du rythme en dents de scie, assez laborieux et scolaire, et du déséquilibre perpétuel entre ce qui tient du fait historique et ce qu’apporte la fiction, dénuée de suspense malgré une chute cruelle et inattendue. Par une sorte de choix arbitraire, le film préfère conter la descente aux enfers d’un gentil ahuri obligé de s’endurcir pour survivre aux plans criminels de sa belle-famille, plutôt que décrire en détails la vie d’un personnage réel important à défaut d’être exemplaire.

Sans démériter, le minet Hutcherson semble prisonnier d’un rôle transparent et peu développé malgré le temps d’écran dont il dispose. Une bonne vingtaine de minutes est ainsi consacrée à sa relation avec un jeune guide l’accompagnant dans une opération à haut risque, dans ce qui constitue le vrai morceau de bravoure du film. Préféré à Javier Bardem (qui devait jouer dans Killing Pablo et dont le frère Carlos joue… dans Paradise Lost), Benicio del Toro en fait lui un peu des tonnes sous la bedaine d’Escobar, mais il est impossible de nier le côté fascinant de son interprétation, toute en gestes calculés, répliques susurrées et regards las et impénétrables à la fois. Ses maniérismes, le mystère qui l’entoure, les quelques scènes où on le voit faire exécuter ses propres hommes de main ou protéger une famille qui lui est aveuglément dévouée, suggère presque l’existence d’un film parallèle, plus politique et ambigu, qui offrirait plus qu’une simple et longuette chasse à l’homme. Peut-être y aura-t-on droit dans la mini-série HBO Narcos, qui réunira le duo de Troupes d’élite, soit le réalisateur José Padilha (Robocop) et l’acteur Wagner Moura.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Paradise Lost
D’Andrea di Stefano
2014 / France-Espagne-Belgique / 120 minutes
Avec Josh Hutcherson, Benicio del Toro, Claudia Traisac
Sortie le 5 novembre 2014
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