Genre phare du cinéma coréen, le thriller connaît un certain regain de forme ces dernières années. Des réussites comme I saw the devil, The Chaser, Murderer, The Man from nowhere, ou dans une moindre mesure The Agent (qui flirte clairement avec l’espionnage) et Nameless Gangster (qui ne cache pas sa parenté avec les sagas scorsesiennes), ont prouvé qu’il y avait une vie et des horizons nouveaux à explorer après Park Chan-Wook, Bong Joon-Ho et le Kim Jee-Won de Bittersweet Life. Ce dernier titre, prototype de polar glacial et nihiliste mêlant mélodrame et ultra-violence avec un entrain qui frise parfois la complaisance, a marqué plus que les autres la production coréenne, pour le meilleur et parfois pour le pire.

Le premier film du réalisateur Lim Sang-Yoon rentre malheureusement fermement dans cette catégorie. Copie éhontée d’un film déjà sous forte influence, A company man suit avec un détachement coupable le parcours de Hyung Do, un tueur à gages bien entendu ultra compétent, qui cache ses activités sanglantes sous une apparence de bureaucrate sans histoire, dans une compagnie servant elle aussi de couverture à ses activités mafieuses. Dans la dite « Compagnie », chacun fait semblant de travailler dans une société de métallurgie, alors que dans la pièce à photocopieuse, le véritable repaire de l’organisation est caché derrière une armoire. Diaboliquement réaliste, non ? Bref, ce décor digne d’un OSS 117 devient bientôt synonyme de piège mortel pour Hyung Do, qui cédant aux scrupules, épargne une de ses cibles (un apprenti aussi doué que lui) et tombe amoureux de sa sœur (celle de sa cible, hein !), attirant ainsi sur lui la méfiance de ses employeurs, qui eux ont vraiment tout de bureaucrates, à part la différence d’utilisation du mot « démission ».

Les tueurs aussi ont des revendications

A company Man : renvoi immédiat

Si ce pitch vous paraît familier, c’est normal. Le coup du tueur sans émotions qui se laisse aller à un coupable vague-à-l’âme (qui se traduit dans le film par des mélodies sirupeuses, normal), et doit se retourner contre ceux qui l’emploient au risque d’y laisser sa peau, Kim Jee-Won l’employait déjà dans Bittersweet Life. John Woo, Jean-Pierre Melville et bien d’autres sont aussi passés par là… Dire que A company man ne dégage aucune originalité tient presque du pléonasme : n’importe quel spectateur averti – un simple coup d’œil à la jaquette suffira, en fait – passera gentiment une bonne heure à attendre l’inévitable règlement de comptes final, sans que jamais notre héros ne suscite l’émotion, même quand le scénario joue la carte du « sacrifice ». La faute, en grande partie, à l’interprétation « sous hypnose » de So Ji-Seob, idole de la télé coréenne qui se montre particulièrement transparent, et disons-le tout net mauvais dans le costume impeccable de Hyung Do. Confondant intériorité et immobilisme facial, l’acteur est loin de dégager le même charisme et la même douleur palpable que son modèle avoué, Lee Byung-Hun. Pire, il se montre peu convaincant dans les obligatoires séquences de combat en corps-à-corps : un montage haché, avec raccords visibles dans le mouvement et accélération artificielle de l’image, se charge de rattraper les évidentes carences physiques du comédien, qui a dû être engagé parce qu’il rendait bien en photo avec un M-16 à la main.

[quote_right] »Si ce pitch vous paraît familier, c’est normal : tout dans le film sent le recyclage pépère. »[/quote_right]Là où le film convainc un peu plus, c’est dans sa peinture, grotesque mais assez amusante, d’une société de tueurs fonctionnant comme n’importe quelle entreprise : l’esprit de compétition pour monter les échelons y est présent comme partout ailleurs ; les patrons organisent des séminaires à la campagne pour ressouder (et non pas dessouder) les troupes ; tous les contrats nécessitent de remplir des dossiers scrupuleusement cachés, et détruits à la déchiqueteuse à papier si besoin ; vous pouvez avoir là aussi envie de mettre des claques à votre supérieur. Quand, après avoir compris – avec trois métros de retard sur le spectateur – que ses supérieurs souhaitent le supprimer, Hyung Do débarque dans les bureaux anonymes de la Compagnie pour tirer dans le tas, ralentis à l’appui, la séquence, bien que shootée dans un format vidéo au rendu dégueulasse, fonctionne presque comme une satire virulente du monde du travail – et, peut-être, un fantasme inavoué pour certains fonctionnaires en colère.

Cette dimension discrètement métaphorique (n’avons-nous tous pas besoin d’être des « tueurs », en quelque sorte, pour parvenir au sommet ?) ne suffit toutefois pas à sauver cette sous-série B du naufrage : tout dans le film sent le recyclage pépère, de la chemise blanche ensanglantée du héros à un combat à l’arme blanche tout droit sorti de Man from nowhere, et l’exigence esthétique, qui est d’habitude une « garantie constructeur » des films coréens, est une fois n’est pas coutume aux abonnés absents. Seule consolation, A company man dépasse à peine les 90 minutes, là où la majorité de ses confrères atteignent généralement les deux heures réglementaires. Long ou pas, regarder le film restera tout de même une perte de temps. Retournez plutôt bosser !


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A company man, de Lim Sang-Yoon
2012 / Corée du Sud / 96 minutes
Avec So Ji-Seob, Lee Mi-Yeon, Jeon Gook-Hwan
Sortie le 23 octobre chez France Télévisions
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