De quoi peuvent parler deux organisateurs de festivals de films de genre lorsqu’ils se rencontrent ? Du tournage d’un film de genre, pardi ! C’est en gros l’idée qui a dû passer par la tête de Tim League, d’Alamo Drafthouse (si vous ne connaissez pas, faites une recherche : ces gens-là sont très bien) et du néo-zélandais Ant Timpson, organisateur de l’Incredibly Strange Festival. En amoureux et gros consommateurs de pellicules décalées, les deux hommes ont décidé de joindre leurs forces pour produire un film à sketches du genre bodybuildé : une anthologie basée sur l’alphabet, qui comprend donc 26 sketches traitant tous de la mort. A chaque lettre, son mot et son réalisateur. Le résultat est The ABC’s of Death, qui compile ce gros paquet d’histoires en à peine plus de deux heures (ce qui est un bel exploit).
De séries B en séries Z
Les régionaux de l’étape, Xavier Gens (The Divide) et le duo Bruno Forzani / Helene Cattet (Amer), ne se sont pas faits prier pour raconter, lors de la première du film, comment le projet s’est monté en totale autarcie pour chacun des participants : le film rassemble une shortlist de nouveaux talents issus des quatre coins de la planète, et qui y sont restés pour mettre en images des histoires inspirées par la lettre qui leur était confiée. D’où un déséquilibre certain en découvrant le bout-à-bout résultant de ce cadavre exquis international, des redondances et des disparités brutales d’un sketch à l’autre. Voir The ABC’s of Death, c’est un peu comme si la Nuit du Zapping était interdite aux moins de 16 ans et que le monteur avait trouvé drôle de réutiliser des extraits plusieurs fois pendant la soirée : on se retrouve par exemple avec au moins cinq histoires utilisant la salle de bains et les toilettes comme décor principal, deux sketches totalement méta, deux ou trois autres hors sujet et, hum, deux occasions pour les zigotos de Sushi Typhoon de faire étalage de leur psychotronique (et fatigant) mauvais goût.
Ce manque criant de rigueur explique la fatigue qui peut s’accumuler à la vision du film, le temps paraissant parfois long entre les différents coups d’éclats qui parsèment une sélection inégale, parsemée de foirages plus ou moins révoltants de nullité. Les segments de Ti West (The Innkeepers), Andrew Traucki (The Reef) ou de Jon Schnepps (Metalocalypse) sont aussi brefs qu’objectivement nazes, et d’autres, pour des raisons plus ou moins arbitraires, ne méritent pas qu’on s’y attarde plus que de raison. Faisons plutôt l’inventaire des meilleurs moments.
V pour viscéral
Si on doit décerner la palme du court le plus marquant, D is for Dogfight remporte aisément la palme, avec son mélange ultra esthétisant entre Fight Club et Dressé pour tuer. Marcel Sarmiento (DeadGirl) film ce mini-conte brutal et sauvage entièrement au ralenti, dans une atmosphère clandestine qui rappelle autant Guy Ritchie que le clip Showdown de Pendulum. Mariage réussi et tape-à-l’oeil entre fond et forme, c’est le premier et meilleur coup de semonce du lot. Plus gore, presque cronenbergien, le R is for Removed de Srdjan Spasojevic (Serbian Film) cherche cette fois moins la polémique que la métaphore brûlante du côté viscéral du 7e art, le héros étant un cobaye dont la peau, une fois traitée, se révèle être du celluloïd. Il s’évade et s’effondre au pied d’en train qui démarre. Un commentaire sur l’inéluctabilité du passage au numérique ? Hmmm…
Tout aussi abstrait est le court des réalisateurs d’Amer, O is for Orgasm, description ultra sensuelle et baroque de la petite mort au féminin. Le style fétichiste et brillamment ciselé d’Amer est ici concassé en quelques minutes hypnotiques, ce qui est plus facile à digérer. Baigné dans une esthétique elle aussi reconnaissable, la lettre Y is for Youngbuck permet une nouvelle fois à Jason Eisener (Hobo with a shotgun) de montrer son amour des filtres jaunes et des bandes-son synthétiques, à l’occasion d’une histoire de vengeance sur un prof de sport pédophile. Un moment d’humour noir bien particulier.
Réalisé par Timo Tjahjanto (Macabre), l’Indonésien L is for Libido va lui par contre très loin dans le glauque révoltant, un prisonnier se réveillant dans une ambiance à la Eyes wide shut pour tenter de gagner un concours de masturbation. Provocateur, gratuit, et paradoxalement très soigné, le sketch contribue à donner à l’anthologie un parfum plus sulfureux que la moyenne. Fidèle à la réputation du « gore français sérieux et traumatisant », Xavier Gens dégaine pour sa part un X is for XXL très graphique, mais plus cohérent avec son thème. Une femme obèse, traumatisée par les moqueries dont elle fait l’objet, décide de perdre quelques tailles de manière pour ressembler aux tops models qui pullulent sur les affiches. On peut trouver ça repoussant et inutile, il n’empêche : Gens touche ici du doigt un problème de société bruant.
La faucheuse a de l’humour
Tout aussi sanglant, mais plus léger, le segment T is for toilet est l’un des deux moments animés du film, et le vainqueur de la compétition amateur lancée sur Internet à l’occasion du film : une exploration en pâte à modeler de la terreur enfantine (justifiée) des toilettes. Excessif, bruyant et donc forcément hilarant. Le moment le plus drôle de la séance est toutefois venu de l’approche très lo-fi d’Andrew Wingard (l’affreux V/H/S), qui se met avec son scénariste en scène, alors qu’ils cherchent à voir ce qu’ils pourraient bien tirer comme histoire de la lettre Q. Une mise en abyme facile mais réalisée avec un détachement rigolard assez irrésistible.
On termine ce tour d’horizon partiel et partial avec deux entrées assez originales, abordant de front deux genres bizarrement délaissés par l’assemblée : l’épouvante et la SF. Dans le premier cas, l’infatigable briton Ben Wheatley, dont le Touristes sortira en décembre, emmène ses acteurs de Kill List en forêt pour une chasse à la possédée et adopte le point de vue de cette dernière, comme un REC inversé. Maladroit mais inventif, U is for Unearthed donnerait presque envie de voir une version longue plus élaborée. Dans le deuxième cas, le dessinateur de comic-books et réalisateur d’Altitude, Kaare Andrews, se fait manifestement plaisir en concoctant un mini-blockbuster contenant assez d’idées pour un long-métrage percutant : on y parle d’un futur où les naissances sont contrôlées par d’inquiétants robots-mitrailleurs. Le sketch fonctionne presque comme un showreel pour une société de VFX, tant l’emballage de ce V is for Vagitus (sic) est soigné.
Malgré ses qualités, un peu à l’image de beaucoup d’autres opus, le sketch n’a que peu à voir avec le concept initial d’anthologie macabre façon Les contes de la crypte imaginé par le duo League / Simpson. Beaucoup semblent se servir de l’occasion pour laisser parler leur (manque d’) imagination, plutôt que de répondre à la commande : illustrer une manière inédite de rejoindre la Faucheuse. Il convient, pour apprécier The ABC’s of Death, de plutôt l’appréhender comme une collection de courts-métrages vraiment indépendants. Quitte à jouer de la zappette pour éviter l’inévitable indigestion.
[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
The ABC’s of Death
Collectif
USA – Nouvelle-Zélande / 2012 / 123 minutes
Avec Erik Aude, Neil Maskell, Ivan Gonzalez
Sortie le 18 décembre 2013 en DVD
[/styled_box]