Le Paris International Fantastic Film Festival aurait-il enfin trouvé son écrin définitif ? Avec sa 6e édition, les organisateurs du PIFFF, dont on a appris qu’il n’était pas passé loin de l’annulation (tous les détails dans l’excellent dossier du Point Pop) ont trouvé la salle qu’ils espéraient depuis leurs débuts. Le Max Linder, avec sa salle unique et spacieuse, est un repère idéal pour ce type de manifestation à la programmation resserrée et tournée vers les connaisseurs. Étrangement, Cyril Despontin et ses compères de Mad Movies semblaient assumer à regret leur sélection : il est toujours possible de pleurer sur quelques exclus ratées, mais y avait-il à rougir de ce qui était proposé ?

Pas vraiment, ont répondu les spectateurs, encore plus nombreux cette année que durant l’édition précédente. Les partenaires historiques comme Ciné + Frisson, et les donateurs de la campagne de crowdfunding Ulule répondront du coup sûrement en 2017 à l’appel. De quoi espérer, en attendant que le festival soit plus richement subventionné, et en conséquence plus « animé » en dehors des séances, que le PIFFF vive longtemps et dans la prospérité !

Cannibales et corps récacitrants

Avec 5 films sur 16 annoncés pour une distribution en France (dont 3 en DTV), la sélection est une occasion unique pour toute une panoplie de films de genre plus ou moins extrêmes. La réputation du PIFFF repose certes en partie sur la cinéphilie de son équipe, qui sélectionne chaque année plusieurs films rares à (re)découvrir sur grand écran dans la meilleure version possible. Cette année, c’est Opéra de Dario Argento (présent sur place, aussi souriant que disponible), en version restaurée 4K, qui faisait l’événement. Mais dans l’ensemble, il s’agit surtout d’avoir une occasion de voir sur l’écran panoramique du Linder des œuvres qui grilleront l’étape des salles obscures. Ce sera le cas pour le 31 de Rob Zombie, diversement apprécié, et pour I’m not a serial killer, qui sortira en pack DVD avec Mad Movies : deux films sur lesquels sur nous reviendrons en profondeur. Toutefois, et c’est une chance, le grand gagnant du palmarès n’est pas un futur DTV, mais une claque franco-belge ayant déjà soufflé les spectateurs cannois : Grave repart très logiquement avec le Grand Prix et le prix Ciné+. Là aussi, une critique de ce choc troublant prévu dans les salles le 15 mars 2017 sera publiée bientôt sur le site.

Avec son casting charismatique et son rythme infernal, on aimerait sérieusement qu’Autopsy of Jane Doe connaisse le même sort. Inédit jusqu’à nouvel ordre, ce film américain permet de reprendre des nouvelles du norvégien André Ovredal. Souvenez-vous, c’est à lui que l’on devait l’efficace found footage Troll Hunter en 2010. Le cinéaste aura dû attendre le bon script pour mettre les pieds aux USA. Changeant de registre, il signe un huis-clos ne dérapant que très progressivement dans le fantastique. Dans une ambiance pas éloignée de l’univers de Stephen King, un légiste vieillissant et son fils qui l’assiste à contrecœur, doivent aider le shérif à tirer au clair une affaire de quadruple meurtre. Il fait nuit, le cadavre d’une jeune inconnue leur est apporté en dernière minute : l’autopsie devrait permettre de tirer les choses au clair. Mais le corps en question est une véritable boîte à mystères… Enquêteurs et médecins, les excellents Brian Cox et Emile Hirsch sont malgré tout impuissants pour comprendre la façon dont leur « patiente » est morte. Autopsy of Jane Doe pourrait être démesurément glauque. C’est toute l’efficacité du script de Ian Goldberg et Richard Naing de rendre ces professionnels passionnants, et de donner à leur travail une dimension, osons le dire, ludique. Le film gagne à être vu sans savoir de quoi il retourne, tant Ovredal soigne son découpage, son interprétation et sa mise en scène pour maintenir le spectateur dans le flou. Tout est important et nous pousse à ausculter l’écran en quête d’indices, jusqu’à ce que le scénario bascule dans l’épouvante pure et dure (et un peu facile dans ses effets, certes), sous influence de James Wan. La résolution est certes classique et en deça du reste, mais Autopsy of Jane Doe n’en constituait pas moins un jouissif tour de montagnes russes, et une ouverture idéale.

Petits budgets, grandes idées

Moins intense, c’est le moins que l’on puisse dire, ReAlive (ex-Project Lazarus) signe lui le retour derrière la caméra de Mateo Gil, scénariste accompli et complice de longue date d’Alejandro Amenabar (Tesis, Ouvre les yeux, Agora). Après le western Blackthorn, Gil est revenu sur ses terres pour une fable SF empruntant à Frankenstein, Gattaca, Boyhood et… Forever Young. Soit l’histoire d’un homme jeune, blanc et riche (le médiocre Tom Hughes), atteint d’un cancer incurable. Décidant de cryogéniser son corps pour vivre dans un futur où sa maladie sera curable, il abandonne volontairement son amoureuse (lumineuse Oona Chaplin)… Et se réveille 70 ans plus tard, dans une société eugéniste et mal fagotée, premier homme revenu d’entre les morts. Son aide-soignante Charlotte Le Bon pourra-t-elle le dérider ? Sans spoiler, ça va pas être facile. Le fond de la réflexion menée par Gil (doit-on vivre vieux et seul, ou jeune et entouré d’amis aimants ? L’amour est-il une forme d’immortalité ? Vous avez trois heures) est digne d’intérêt. Et le récit imbriqué sur trois époques – présent fragmenté, passé nostalgique, futur dépassionné – est ambitieux. Mais le traitement est on ne peut plus lourd et maladroit, avec une voix off omniprésente, verbeuse et gonflante, qui annihile toute possibilité d’investissement émotionnel. Le fait que le héros soit un gigantesque connard autocentré qui détruit par ses choix les deux seules femmes qui le comprennent n’aide pas non plus à être clément.

Autre film de la compétition plutôt modeste en apparence, mais plus réjouissant, The Unseen est un premier film canadien, signé par un spécialiste des effets spéciaux, qui revisite à sa façon le mythe de l’homme invisible. Ici, ce pouvoir est vu comme une maladie génétique, obligeant Bob, un ouvrier à la dérive (Aden Young, qui trimballe la même mélancolie agressive sur son visage que dans Rectify) à vivre seul et à l’écart, dans la froide campagne entourant Vancouver. Il doit pourtant reprendre la route, pour voir sa fille qui est peut-être en danger… Avec son mariage entre le réalisme « indé » justifiant une caméra branlante façon frères Dardenne, et la mythologie pulp liée à l’invisibilté, The Unseen dispose de quelques beaux atouts, notamment la description touchante de la relation entre ce père disparaissant littéralement par petits bouts et sa fille futée mais dépassée par les événements. Le film reste pourtant maladroit, un peu empêtré dans ses sous-intrigues fumeuses et mal détourées (du trafic de cœurs d’ours, vraiment ?). Le rythme s’en ressent, et The Unseen s’arrête presque trop tôt, alors qu’un dernier acte encore plus original se profilait… Dommage.

Non-sens et humour noir

Avec la venue de Dario Argento, l’autre événement de ce PIFFF restait la projection en 3D native du plus gros succès de tous les temps… en Chine. Et oui, après Strasbourg et Nantes, Paris a découvert à son tour The Mermaid, dernière folie de Stephen Chow, privé d’écrans hexagonaux depuis son mémorable Crazy Kung-Fu. Le maître du non-sens à grand spectacle, même s’il n’est plus présent devant la caméra, possède un style et un humour immédiatement reconnaissables. Dans cette aventure naïve, kitsch et drôlatique, sorte de remake histrionique de Splash, une sirène dépêchée par ses congénères, menacés par les armes sous-marines d’un millionnaire obsédé par la réussite, reçoit pour mission de tuer ce dernier. Elle va, bien entendu, en tomber amoureux ! Et c’est parti pour 90 minutes de gags à pleurer de rire, parfois infantiles, parfois sophistiqués, jouant autant sur le tempo comique du casting (ah, cette séquence d’interrogatoire avec des flics incrédules…) que sur des idées graphiques improbables (un jetpack récalcitrant, un homme-pieuvre dont les tentacules subissent les pires sévices). La 3D accentue cet aspect coloré et cartoonesque, même si elle met aussi en exergue la pauvreté de certains SFX. C’est aussi ça, Hong-Kong ! Et curieusement, le film n’en reste pas moins cohérent, et se sublime souvent dans son exagération, Chow sachant trouver l’émotion qui fait mouche dans les gags les plus déplorables et les accès de cruauté les plus inattendus. Sans atteindre les sommets d’un Shaolin Soccer ou d’un God of Cookery, The Mermaid fait chaud au cœur, si tant est que vous soyez familier de l’univers azimuté de Stephen Chow.