Célébré à la Cinémathèque, loué par la critique au point que sa mini-série, Shokuzai, est sortie en deux parties au cinéma en 2013 (quel autre auteur « de genre » japonais peut se prévaloir d’un tel honneur ?), Kiyoshi Kurosawa connaît indéniablement un regain de popularité dans notre beau pays. Le réalisateur de 58 ans, qui n’avait pas rien tourné pour le grand écran depuis Tokyo Sonata (2008), ne pouvait donc choisir meilleur moment pour livrer ce Real, qui reste dans la continuité thématique de son œuvre, tout en l’ouvrant à de nouveaux horizons, en l’occurrence ceux de la science-fiction.

À la manière de Hitchcock, Resnais ou Satoshi Kon, Kurosawa s’attaque avec l’adaptation du roman A perfect day for plesiosaur, au thème du rêve, à ce qu’il révèle de notre inconscient et de nos blessures enfouies. Le cinéaste dit avoir voulu faire ce film « pour les jeunes ». Outre l’emploi d’acteurs juvéniles, cela se sent à l’utilisation massive, inhabituelle pour ce grand théoricien du hors-champ et de la suggestion, d’effets numériques et l’apparition d’un attirail technologique qui, forcément, l’intéresse moins que les tourments de ses personnages.

Les fantômes de l’imaginaire

Real : l’inception selon Kurosawa (Pifff 2013)

Real s’ouvre sur une scène d’une intense et inquiétante quiétude, alors que Koichi (Satoh Takeru, découvert notamment dans l’adaptation de Rurouni Kenshin) et son amoureuse Atsumi, fameuse dessinatrice de manga s’apprêtent à déjeuner. L’osmose semble être parfaite dans le couple, qui habite un appartement lumineux, bercé par une douce brise… qui peu à peu s’intensifie, et emporte et disperse les pages de dessins laissés sur la planche de travail. Ellipse, nous voilà rendus un an plus tard, et Atsumi est dans le coma, après ce qui semble être une tentative de suicide. Koichi a décidé d’intégrer un programme scientifico-médical de pointe, qui lui permet d’entrer dans les rêves d’Atsumi. De leur appartement hanté par ses créations graphiques à l’île de leur enfance où ils se sont connus, Koichi va tout tenter pour ramener Atsumi à s’éveiller, et à enfin rouvrir les yeux.

Si l’argument de départ de Real évoque forcément, sur un mode plus intime, Inception (il s’agit, comme dans le film de Nolan, de s’immiscer dans la tête d’un proche par des moyens technologique fumeux, pour l’amener à découvrir par lui-même ce qui se cache dans son inconscient), Kurosawa se sert de l’argument SF avant tout comme une excuse pour prolonger son travail graphique sur la perméabilité entre le monde réel et celui des esprits. Prisonnier volontaire de l’imaginaire brumeux (parfois littéralement) d’Atsumi, Koichi doit revisiter les lieux familiers de leur vie commune, dans lesquels le prisme du quotidien s’effrite petit à petit pour se laisser envahir par ses propres créations, issues de son manga : des cadavres enchevêtrés qui reviennent soudain à la vie font office d’équivalents horrifiques aux fantômes numérique de Kaïro. Comme dans ce dernier titre, Kurosawa place son histoire, qui se résume en quelques sorte à explorer l’origine des liens qui ont pu unir deux personnes à un niveau fusionnel, en miroir avec son environnement : une ville grisâtre, oppressante, nue, qui dans une séquence plastiquement extraordinaire, finit par s’effondrer sur elle-même comme une peinture à l’huile sous la pluie. Magnifique illustration du désespoir qui anime alors un héros incapable d’envisager sa vie autrement qu’à deux.

Une île et ses secrets

Real : l’inception selon Kurosawa (Pifff 2013)

[quote_left] »Real évoque forcément, sur un mode plus intime, Inception. »[/quote_left]Là où Kurosawa surprend, et fait oublier les à-côtés redondants (toutes les séquences concernant l’éditeur d’Atsumi, par exemple, ou les plates discussions avec les médecins, joués par des acteurs aussi peu convaincus que convaincants) de son « trip », c’est dans l’exploration du passé le plus enfoui de son couple, le plus lointain. Quand l’action se déplace sur l’île, où se trouverait la signification du dessin de plésiosaure (qui donne son nom au roman) que Koichi doit retrouver, Kurosawa trouve enfin la raison d’être de son film. C’est dans cette enfance, en apparence idyllique mais assombrie par un accident traumatisant, que se crée l’imaginaire d’Atsumi et Koichi.

L’atmosphère fantastique permet là au réalisateur de donner corps aux idées qui traversent le script : la perte de l’être aimé se traduit par son effacement progressif ; le déni par un simple anagramme qui permet de cacher la vérité au grand jour ; la culpabilité, par l’apparition d’un monstre préhistorique enragé. Kurosawa bâtit ainsi tout un système de symboles qui se répondent puis s’annulent, permettant d’amener une véritable émotion dans un film par ailleurs handicapé par le jeu assez figé de ses comédiens, et ce qui s’apparente parfois à un recyclage appliqué des figures de style du cinéaste (brusques travellings latéraux, recherches de cadres dans le cadre, etc.). Beau film sur la puissance de l’imagination, Real constitue, malgré ses longueurs et ses twists un peu maladroits, une belle proposition de cinéma poétique de la part d’un metteur en scène qu’on avait connu beaucoup moins « optimiste » par le passé.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

troissurcinq
Real
De Kiyoshi Kurosawa
Japon / 2013 / 125 minutes
Avec Satoh Takeru, Ayasa Haruka, Keisuke Horibe
Sortie le 26 mars 2014
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