S’il a débuté plus tard au cinéma que ses compatriotes Alan Parker ou Adrian Lyne, le Britannique Bernard Rose pourrait lui aussi être décrit comme un « clippeur », un cinéaste passé par la case des vidéos musicales, dans les années 80, avant de choisir la voie plus « noble » du 7e art. Si l’on connaît aujourd’hui le nom de ce metteur en scène pour le moins éclectique, c’est grâce à un classique du film d’épouvante, un vrai : Candyman, terrifiante fable moderne sortie en 1992. La plus fameuse adaptation d’une nouvelle de Clive Barker, qui marquera les esprits de tous les spectateurs pour de nombreuses (bonnes) raisons : le regard de Virginia Madsen, l’incroyable décor de cité HLM trouvé par le cinéaste à Chicago, le look imposant et effroyable de Tony Todd, alors inconnu au bataillon, la partition mélancolique et grandiose de Philipp Glass…
Il est facile de résumer le réalisateur à ce coup d’éclat, d’autant qu’il s’éloignera par la suite pendant des années du film de genre. Des adaptations de Tolstoï (Anna Karénine avec Sophie Marceau) au biopic haut en couleur (Mr Nice), du film en costumes sur Beethoven (Ludwig Von B. avec Gary Oldman) au found footage Sx Tape, en passant par des productions quasi-expérimentales (Ivanxtc, Snuff-Movie), Rose s’est avéré être pour le moins insaisissable. Et encore, nous n’avons pas mentionné sa première grande réussite, Paperhouse, qui lui vaudra d’être remarqué dans les festivals et lui offrira son ticket pour Hollywood.
Une nouvelle vision d’un mythe
En 2015, Bernard Rose est revenu aux affaires avec un projet surprenant, un de plus : une adaptation contemporaine, horrifique et poétique, de Frankenstein. Un film totalement libre et sans compromis, avec un casting solide (Xavier Samuel, Carrie-Ann Moss, et les fidèles Danny Huston et Tony Todd), qui explore et cite des passages entiers du roman Mary Shelley, en remettant au centre de l’attention la créature. Nous voyons, littéralement, sa vie se dérouler à travers ses yeux. Et celle-ci, dans la grande tradition des maquillages prosthétiques, est parfois très gore, en tout cas loin du polissage numérique d’un récent Docteur Frankenstein.
Projeté en ouverture au Festival de Gérardmer 2016, en amont de sa sortie en vidéo le 8 mars, Frankenstein a auparavant été sélectionné, en avant-première mondiale, au BIFFF 2015, à Bruxelles. C’est là que nous avons pu rencontrer, trop rapidement, Bernard Rose, et discuter avec lui de ce nouveau projet… et bien sûr de l’inévitable Candyman, qui finira bien par apparaître derrière vous si vous lisez cette interview à voix haute…!
Pourquoi avoir adapté Frankenstein, maintenant ? Et pourquoi l’avoir situé à notre époque ?
C’était justement l’idée au cœur du projet : montrer que ce roman, qui a plus de 200 ans, aborde des thèmes qui résonnent toujours dans notre époque actuelle. Cette idée que l’Homme désire, plus que tout au monde, pouvoir créer la vie à partir de rien, que nous puissions dédier notre vie à la science pour poursuivre cet objectif… alors qu’honnêtement, je ne pense pas que nous y arriverons un jour. C’est fascinant. C’était important de montrer que le style et le travail de Mary Shelley n’avaient pas vieilli. C’est un peu comme les romans de Jules Verne : ils pourraient nous paraître datés maintenant, mais au moment de leur parution, c’était des œuvres incroyables, intemporelles. Je ne pense pas que Frankenstein, au contraire, ait été rattrapé par le temps. C’est un récit toujours pertinent, encore aujourd’hui.
Votre version place la créature au centre de l’histoire. Elle n’arrive pas à s’exprimer, mais nous entendons en voix off sa voix intérieure : ses phrases sont extraites du livre de Mary Shelley, c’est ça ?
[toggle_content title= »Attention : cette réponse contient un spoiler » class= »toggle box box_#ff8a00″]Oui, parfaitement. Nous n’avons rien changé au texte, nous l’avons repris tel quel. Je crois que paradoxalement, mon film est l’une des versions les plus fidèles au roman. Il s’agit même de la première, je crois, qui adapte la fin d’origine, avec le bûcher. [/toggle_content]
Le film s’est monté de manière indépendante, avec un petit budget, mais un grand soin semble malgré tout avoir été apporté aux effets spéciaux de maquillage…
Effectivement, mais le budget n’était pas si bas que ça. Ma priorité, c’était avant tout de m’entourer de professionnels très expérimentés, comme Randy Westgate, le maquilleur d’effets spéciaux. Avec des maquillages comme ceux portés par Xavier Samuel, le souci c’est surtout d’avoir du temps : certaines sessions pour apposer les maquillages pouvaient durer 8 heures, c’est très long. Mais Westgate est un artiste formidable, il vient avec sa propre équipe, prend tout en main… C’est quelque chose.
L’une des surprises de Frankenstein, c’est le retour dans votre filmographie de Tony Todd, longtemps après Candyman. Comment se sont passées les retrouvailles ?
C’était génial de le revoir. Tony est bourré d’énergie, c’est un type très, très original. Il apporte toujours à l’écran une saveur particulière. Et il adore improviser. Je ne suis pas très rigide à ce niveau, je lui disais « Ok, montre-moi ce que tu as en tête ». Et il a plein d’idées : c’est lui qui a pensé à chanter ce morceau de Muddy Waters, par exemple.
Le comédien Danny Huston apparaît lui pratiquement dans tous vos films. Est-il une sorte de mascotte pour vous ?
L’anecdote plutôt drôle avec Danny, c’est qu’au moment où je tournais Candyman, il était marié à Virginia Madsen. Mais je le connaissais depuis plus longtemps. Danny sait tout jouer, mais il excelle particulièrement dans les rôles de vilains un peu suaves. Je dis souvent que je déteste avoir dans un film à expliquer ce qui se passe à l’écran, pour rassurer les producteurs le plus souvent. Le personnage qui joue « L’Explicateur » m’ennuie. Avec Danny, vous n’avez pas besoin d’en rajouter, il fait passer beaucoup de choses dans son jeu.
Quel souvenir gardez-vous de votre collaboration avec Clive Barker, avec qui vous avez travaillé sur Candyman ?
J’ai rencontré Clive dans un restaurant, c’était au moment de la sortie de Cabal. Il m’avait fait parvenir une copie de ses Livres de sang, pour me proposer d’adapter une des nouvelles, une histoire qui se passait dans une prison. Je lui ai dit non, mais une autre nouvelle m’a interpelé, The Forbidden. Je me suis dit avec ça, on peut faire un film. Il ne détenait pas les droits pour cette nouvelle, nous avons donc pris une option dessus. Clive a fini par devenir producteur exécutif du film, et il nous a soutenu tout le long de la préparation et du tournage du film. La nouvelle avait beau faire quinze pages tout au plus, nous avons gardé en gros la même structure narrative, en la transposant bien sûr dans cet autre décor à Chicago.
Après le succès du film, avez-vous pensé à poursuivre la franchise, à être impliqué dans les inévitables suites ?
J’ai travaillé effectivement sur le script de Candyman 2, un premier jet que les producteurs à l’époque n’ont pas du tout aimé. Il n’y avait pas assez de Tony Todd dedans ! J’ai abandonné l’affaire : à ce moment-là, je n’en avais rien à faire, j’étais parti sur le projet Ludwig Von B.
Durant les années 90, vous avez enchaîné films de genre et films à gros budget comme Ludwig Von B et Anna Karénine, avant de travailler sur des productions plus expérimentales. Frankenstein se situe-t-il pour vous à un carrefour : un film de genre un peu plus étrange que la moyenne ?
Honnêtement, je ne me pose pas souvent la question de savoir si le film que je réalise va être « commercial » ou non. Trop de gens sont effrayés à l’idée de l’échec, à l’idée qu’ils pourraient ne plus retravailler à cause d’un bide commercial. Et c’est impossible de réaliser un film en ayant peur. Moi je déteste les « films bien faits ». Le genre où vous éteignez la télé à la fin, et vous dormez sans y repenser. Quand vous regardez un film, vous devez oublier tout ce que vous faites à côté, vous devez avoir les pieds par terre, mais la tête dans les nuages ! Un film réussi doit pouvoir vous effrayer, vous questionner, vous bouleverser : si c’est le cas, il y a peu d’expériences aussi gratifiantes dans la vraie vie que celle-ci. Mais pour revenir à Frankenstein, je dirais qu’il appartient à son propre sous-genre : c’est un mix de science-fiction, d’horreur, de drame poétique… C’est inclassable, et c’est tant mieux.