Son nom est encore peu connu sous nos latitudes, mais Hans Petter Moland n’est pourtant pas un débutant. Le réalisateur de 60 ans, né à Oslo, est depuis longtemps considéré en Norvège comme l’un des meilleurs « pubards » scandinaves, et un réalisateur respecté, couvert de prix notamment à Berlin. En tant que metteur en scène, Moland s’est fait remarquer avec des longs-métrages aussi divers que le survival polaire Zero Kelvin, les comédies décalées Aberdeen et Un chic type, le mélo asiatique A beautiful country, ou surtout Refroidis, son avant-dernier titre en date, couronné en 2014 au Festival de Beaune. La plupart de ses films ont comme point commun son ami Stellan Skarsgard, un style visuel acéré, et un sens de l’humour noir corrosif et absurde.
[quote_center] »Quand vous arrivez sur un projet comme ça, l’avantage c’est que vous êtes celui qui apporte un regard neuf sur l’histoire. »[/quote_center]
De l’humour, il y en a peu en tout cas dans Délivrance, troisième épisode de la saga du Département V, que le cinéaste, très demandé dans son pays comme à l’étranger, a accepté de tourner au Danemark, une première pour lui. Absent de Beaune pour recevoir son Grand Prix avec Refroidis, le réalisateur était cette fois sur place pour accompagner sa productrice Louise Vesth. Nous avons profité de l’occasion pour discuter avec lui des thèmes de ce thriller haletant, et de son expérience de tournage au Danemark. Bonne lecture !
Vos derniers films ont tous été tournés en Norvège. Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce projet, tourné en danois ?
Les différences culturelles ne sont pas si effrayantes que cela entre les deux pays. J’ai travaillé au Vietnam, en Amérique, en Angleterre, et j’ai déjà tourné de nombreuses pubs au Danemark ces 25 dernières années. J’ai travaillé en France aussi, d’ailleurs. Dans ce métier, on doit s’habituer à ne jamais travailler près de chez soi. Mais bon, forcément, un projet danois se réfère forcément à ses propres racines culturelles, et vous devez prendre ça au sérieux. Il y a tout de même des mécanismes différents par rapport à la Norvège, une sensibilité différente.
Aviez-vous vu les deux premiers films avant d’accepter ?
Non, non. D’abord j’ai lu script, puis j’ai vu les films, et enfin j’ai lu les romans. C’était déstabilisant de les lire, parce que l’adaptation avait déjà été faite, sans moi forcément. Mais le plus important, quand vous voulez faire un bon film, c’est d’avoir un bon script, pas un bon roman. D’excellents films ont été tirés de romans médiocres ! (rires)
L’inverse est aussi vrai !
C’est vrai. Quand vous arrivez sur un projet comme ça, l’avantage c’est que vous êtes celui qui apporte un regard neuf sur l’histoire. Comment aborder ses thèmes, améliorer certains aspects. J’ai donc travaillé avec le scénariste, Nikolaj Arcel. Le fait d’être un étranger, d’avoir un point de vue extérieur sur cette société était aussi, je pense, un atout. Les Danois aiment beaucoup ce processus.
C’est la première fois également que vous travaillez avec Zentropa ?
Oui, même si je les connais depuis de nombreuses années. La productrice Louise Vesth me connaissait, parce que j’ai été enseignant invité à la Danish Film School pendant une semaine quand elle y étudiait. Mikkel Norgaard y était aussi d’ailleurs (ndlr : le réalisateur des deux premiers films du Département V), tout comme Nikolaj.
Le troisième roman est connu pour aborder de front le thème de la religion. C’est quelque chose qui vous intéressait ?
Oui, c’est vrai. En plus d’être une histoire pleine de suspense, un vrai divertissement, le film a cette ambition d’explorer le thème de la foi. Celle des deux personnages principaux, en tout cas l’un d’entre eux, puisque s’il s’agit plutôt d’une absence de foi dans l’autre cas. Ils rencontrent cette communauté profondément religieuse, qui vit à l’écart de la société. La seule mauvaise chose à propos d’eux, si l’on peut dire, c’est qu’ils sont différents.
Le film ne porte aucun jugement sur eux.
Oui, tout à fait, et d’ailleurs il n’a pas à le faire. Vous savez, la plupart des Scandinaves sont plutôt religieux, au fond, et si l’on regarde de près ces gens, oui, ils sont différents, mais il y a une certaine beauté, une certaine pudeur et une sincérité que vous ne pouvez pas ignorer. Il faut aller à l’encontre de certains préjugés, même si certains représentants religieux méritent ces qualificatifs, parce qu’ils se comportent de manière vraiment offensante. Je suis tombé il n’y a pas longtemps à la télévision sur l’émission d’un évangéliste américain. Ces gens sont comme des gangsters ! Ce sont des êtres vraiment méprisables.
Délivrance vient de sortir en Europe, mais apparemment, vous avez déjà prévu de sortir votre prochain film cette année, je crois ?
En fait, j’ai deux projets sur le feu, la question est de savoir lequel je ferai en premier. L’un des deux est Out stealing Horses, qui est une adaptation d’un roman écrit par le Norvégien Per Petterson. Et je travaille aussi sur un film nommé The Long Ships, qui sera une énorme production, mais qui n’arrivera je pense, pas avant 2017.
Peut-être que vous embarquerez avec vous Stellan Skarsgård ? Il semble que ce soit votre acteur fétiche.
Nous avons fait quatre films ensemble, c’est vrai. Il fera partie du projet The Long Ships. Nous sommes bons amis, nous nous connaissons depuis très longtemps.
C’est dommage que vous ne l’ayez pas convaincu de jouer dans Délivrance !
Oui, j’en suis désolé. (rires) Mais pour être honnête, nous avons tout de même engagé Pål Sverre Hagen, qui est Norvégien, pour jouer le méchant. C’est la deuxième fois que je travaillais avec lui.
Oui, il jouait aussi le méchant de Refroidis. Il était magnifique dans ce rôle d’ailleurs, tout comme dans Délivrance. Il est effrayant, alors qu’on le connaît surtout comme le héros positif de Kon-Tiki, par exemple.
Oui, ça me fait plaisir que vous disiez ça. Et ça n’était pas facile, pour Délivrance, parce qu’il interprète quelqu’un qui pense vraiment être le fils du diable. Mais il n’est pas juste un fou : l’idée c’était de montrer qu’il suivait un raisonnement déstabilisant, car parfaitement logique. C’était notre ambition : montrer qu’il est très intelligent, et donc très dangereux. Son but, c’est tout de même de détruire ce en quoi vous croyez. Je voulais qu’en sortant du cinéma, les gens discutent entre eux de cette question de la foi : à quoi sert-elle, comment réagirions-nous si on nous l’enlevait ?
Remerciements à Wild Bunch pour la rencontre.
Crédit photos : Zentropa