[quote_left] »Nous étions assez d’accord sur l’amour. »[/quote_left]Resté deux ans en sommeil, Un Voyage sort en salles cette semaine. Ce film d’amour tragique, écrit et réalisé par Samuel Benchetrit (J’ai toujours rêvé d’être un gangster), met en scène son ancienne compagne Anna Mouglalis (La Jalousie, Kiss of the damned). Entre les murs du bien nommé « Hôtel Amour », Born to Watch a rencontré les deux artistes pour évoquer avec humour et précision le long chemin parcouru par le film.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet ? J’ai lu que vous aviez reçu un témoignage d’une femme. Tout est parti de là ?
Samuel Benchetrit : Pas tout à fait, mais j’ai reçu une lettre d’une femme. Cette lettre sans rapport avec l’euthanasie, qui faisait 18 pages. Elle m’a touché. J’ai compris qu’elle me l’envoyait à moi parce qu’elle considérait que j’écrivais des choses qui pouvaient justifier une telle histoire. Cette personne ne me connaissait pas, mais elle semblait me comprendre davantage que tous ceux qui attendent toujours la même chose de moi. Elle m’a poussé vers des démarches différentes.
Je trouvais le thème de l’euthanasie intéressant comme fait de société, comme prétexte. Je n’avais pas d’avis sur la question, mon éducation judéo-chrétienne de base me poussait à dire qu’il est bon que les hommes ne souffrent pas et en même temps je pense que la vie est faite de souffrances. Maintenant, après ce film, je suis pour l’euthanasie. Je ne suis pas militant, je sais juste de quoi il en retourne dans mon cas personnel. Si déjà le film pouvait parler à certaines personnes, je serais content.
Anna, qu’est-ce qui vous a plu dans le scénario ?
Anna Mouglalis : Tout m’a plu, l’exploration du sentiment amoureux, me retrouver dans une situation inabordable, se projeter dans la fin. Nous pouvons nous faire une idée, mais il faut beaucoup d’imagination. Ce rôle était extraordinaire, Samuel me propose de porter son film du début à la fin. Ce personnage passe du rire aux larmes, elle reste totalement libre, parce qu’elle est condamnée à mort. On n’en reçoit pas beaucoup des propositions comme ça !
N’avez-vous pas eu peur ?
Anna Mouglalis : Quand on est enthousiaste, la peur, on se débrouille avec. J’attendais surtout avec impatience le tournage. Ce film est un travail d’artisan, du coup, j’ai pu apprivoiser ma peur. Nous n’étions pas assistés, nous étions dans la concentration permanente, il n’y avait pas de hiérarchie sur le plateau, un espace de respect, de concentration. L’équipe était petite, ce qui facilite les scènes impudiques d’intimité ou d’expression de la douleur. Dans d’autres tournages, nous tournons une scène d’émotion, nous faisons un plan sur un acteur et puis il est l’heure de déjeuner. Alors, le plan avec l’autre acteur se fait après le déjeuner et cela casse totalement l’émotion. En l’occurrence, sur ce tournage nous avons eu la liberté de garder la priorité sur le film, en accord avec toute l’équipe.
Comment avez-vous convaincu votre producteur Alain Bernard de travailler sur le film ?
Samuel Benchetrit : Je ne l’ai pas convaincu. Comme c’est un ami toujours enthousiaste, je lui ai rendu visite et je lui ai dit, « tu m’as toujours dit que tu aimais bien ce que je faisais ». Je lui ai raconté le projet et il était ému. Il m’a donné son accord et m’a donné son argent, presque comme du mécénat. Il a seulement exigé qu’on fasse un bon film, il en est fier.
J’ai lu qu’il s’est écoulé deux ans entre le tournage et le montage. Le film tel que vous l’aviez en tête lors du tournage était-il radicalement différent du résultat final ?
Samuel Benchetrit : Oui, je pensais que le film serait plus drôle, plus léger, sauf la scène de fin, bien sûr. J’imaginais le personnage masculin plus drôle. Mais l’écriture ne prenait pas, comme cela arrive parfois. J’ai rendu le film un peu plus silencieux. J’ai plus cherché à lui donner une inquiétude et une mélancolie générale, pensante, oppressante. J’ai donné un peu plus de rythme aussi. Au final, la tournure diffère. J’ai beaucoup monté la nuit, chez moi, seul. À la différence du jour, le rapport au travail peut se faire dans la fatigue, dans l’émotion.
L’alchimie entre Yann Goven et Anna est parfaite à l’écran. Comment avez-vous choisi cet acteur ?
Samuel Benchetrit : Au début, je pensais à quelqu’un d’autre (Arthur H, en tournée au moment du tournage, ndlr) qui ne pouvait pas le faire. Je refusais de faire un casting à proprement parler. Parmi les acteurs que j’ai contactés, aucun n’était disponible. Des mois avant le tournage, j’ai pensé à Yann, un ami d’Anna avec qui je m’entends bien. Je le trouvais blessé, en même temps drôle.
Est-ce que Yann est votre incarnation dans le film ?
Samuel Benchetrit : Non, pas du tout. Il a quelque chose que j’aime beaucoup, mais nous sommes assez différents.
Comment avez-vous travaillé avec Yann Goven. Est-ce que Samuel vous a donné des consignes de jeu ?
Anna Mouglalis : Nous avons répété. Les scènes, nous les avons arrachées. Nous avons beaucoup tourné, jusqu’à ce que Samuel trouve le bon ton. Les scènes ont toutes été tournées dans des registres de jeu différents. L’alchimie s’est construite avec une triangularisation. Le fait que je fasse un film d’amour avec Samuel n’est pas anodin non plus. Nous étions assez d’accord sur l’amour.
Samuel Benchetrit : Oui, c’était un tournage intime. Nous étions une équipe de cinq personnes. Je n’aime pas l’instant où on dit « On tourne ! ». Du coup, nous essayons d’enlever cette pression-là.
Vous êtes un incroyable romancier. Est-ce qu’Un voyage aurait pu devenir un roman plutôt qu’un film ?
Samuel Benchetrit : Oui, je pense. Surtout qu’il s’agit d’un film assez littéraire en particulier au niveau des dialogues. Bien que je n’aurais pas su l’écrire, il pourrait s’agir d’une adaptation de roman.
Qu’est-ce qui motive votre envie d’écrire un livre ou d’écrire un film ? Ces envies diffèrent-elles ?
Samuel Benchetrit : Ce sont des envies d’intimité, de solitude. J’aime de plus en plus écrire. J’aime écrire seul, avec moi-même. On ne parle jamais tout seul, on parle toujours à quelqu’un. En écrivant, je m’adresse à moi-même de manière spirituelle, inconsciente.
Et avec la réalisation…
Samuel Benchetrit : La réalisation c’est de la cocaïne, une drogue dure. On doit s’exprimer, partager ses idées, expliquer, répondre aux questions, écouter, prendre en compte les idées des autres. Faire un film, c’est fatigant. Si à chaque fois que je fais un film, je savais exactement à quoi m’attendre, je renoncerais. Comme une histoire d’amour, 95 % des gens ne tomberaient pas amoureux s’ils savaient comment cette histoire finissait. C’est comme dans la vie, on fait quand même des enfants, alors qu’on sait qu’ils vont souffrir. À quoi bon faire un film quand on a déjà tellement souffert ? Pourquoi continuer à faire de la promotion lorsqu’on est abîmé par des critiques ? Pourquoi continuer ? Parce qu’une passion nous anime.
Mona n’est-elle pas le personnage le plus difficile qu’il vous ait été donné de jouer, jusqu’à présent ? Est-ce qu’il s’agit de votre meilleur rôle ?
Anna Mouglalis : La difficulté se mesure difficilement. Plus mon enthousiasme grandissait pour un personnage qui me permettait d’explorer des choses folles et de sauter dans la fiction, moins la tâche me semblait rude. Le plus difficile à jouer reste la figuration, d’être sur la plateau toute la journée en n’ayant rien de précis à faire. Mais avec une proposition pareille de la part de Samuel, un rôle magnifique, la difficulté passe au second plan.
Samuel Benchetrit : Anna a commencé à jouer très jeune, elle a toujours été douée. Mais cette année, avec La Jalousie et Un Voyage, elle prend une dimension différente dans sa carrière d’actrice. Vous savez, certains acteurs, parfois, prennent bien les virages.
Anna, comment avez-vous préparé votre rôle ? Vous êtes-vous inspiré d’une personne en particulier pour sonner aussi juste ?
Anna Mouglalis : Non, plutôt de moi-même et des rôles qui m’ont nourris. Dès le départ, nous avons choisi de ne pas maquiller Mona, ne pas la coiffer. Et elle est blonde ! (rire). Pour exprimer la maladie, il fallait que la peau ne soit pas couverte du tout. On oublie à quel point au cinéma, la couche de maquillage ou les changements de costumes retirent certaines fois l’émotion. Pour le film, nous sommes restés sur quelque chose de très cru et en même temps de très beau.
Justement, la séquence de maquillage et d’habillage aide souvent le comédien à se concentrer sur son rôle.
Anna Mouglalis : Oui, bien sûr. Mais pour Un Voyage, je me suis dénudée plutôt que de me parer. J’ai trouvé une certaine libération à ôter les artifices esthétiques pour me concentrer sur la beauté intérieure. Je n’avais pas à me tenir d’une certaine façon à prendre la lumière… Mon personnage reste en permanence dans le mouvement, d’ailleurs, il court ! (rire). C’était un de mes vieux fantasmes de cinéma, courir ! Par pudeur, j’ai rarement pleuré face caméra ou sur scène, l’étalage de l’intimité me gène. Mais Mona ressent une douleur extrême et je ne pouvais pas passer outre cette émotion.
Avez-vous fait des recherches en amont du tournage ? Vous êtes-vous rendu sur place pour rencontrer des médecins et des personnes qui pratiquent l’euthanasie assistée ?
Samuel Benchetrit : J’ai tué ! (rires) Je me suis renseigné pour éviter de dire n’importe quoi bien sûr. J’ai vérifié que (SPOILER !) le plan-séquence de fin où Mona meurt se déroule réellement de cette manière. Les termes juridiques sont bons, la visite de la police, le suicide assisté, il s’agit d’un meurtre, mais non considéré comme tel.
Samuel, allez-vous vous tourner de nouveau vers la comédie ?
Samuel Benchetrit : Oui. Pour mon prochain film peut-être. J’ai surtout envie de faire des films plus personnels. Mais comme je mets beaucoup de temps à faire un film, je dis des choses et après je pars sur autre chose et les sujets se mélangent. En tout cas, j’aspire à l’humour et à la légèreté.
Et vous, Anna quels sont vos projets ?
Anna Mouglalis : J’ai plusieurs films en cours de développement. Et puis, je travaille à la réalisation de mon propre film. J’essaie depuis deux ou trois ans, mais cette fois-ci je tiens le bon bout !
Travaillerez-vous ensemble de nouveau ?
Samuel Benchetrit : oui, bien sûr !
Anna Mouglalis : Qui sait, Samuel jouera peut-être dans mon film.
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Merci à Anaïs Monet et à Ophélie du K.