Le festival du film fantastique de Bruxelles n’est pas le premier à le souligner : l’Asie, et en particulier Hong-Kong et la Corée du Sud, sont parmi les plus réguliers et surprenants pourvoyeurs de polars de qualité. Mélangeant avec un égal bonheur scénarios retors, mises en scène carrées explorant des paysages urbains saturés de néons et d’allées sombres, scènes d’action impressionnantes et, pour certains, violence exacerbée (il ne fait bon ne pas être criminel OU flic en Corée), ces thrillers méritent en général le détour, comme l’a encore prouvé cette année Hard Day. Le BIFFF proposait cette année un panel très large de polars et films à suspense, dont trois en particulier nous amènent ici : remake solide avec The Target, film noir surréaliste ou huis clos manipulateur, ils nous ont marqué chacun à leur manière…


The Target : le remake passe à l’Est

Retour de BIFFF : The Target, That Demon within, The Great Hypnotist

Constat éclairant : sur les trois films jusqu’à présent réalisés par le Français Fred Cavayé, deux ont déjà fait l’objet de remakes. Si Hollywood s’est intéressé très tôt à Pour elle pour en tirer sa version avec Russell Crowe, c’est du côté de Séoul que les droits du très bon À bout portant ont été vendus, afin d’en tirer ce The Target réalisé par « juste » Chang (Death Bell). En gros, l’histoire, simple et pleine de potentiel, est la même : un infirmier voit sa femme enceinte kidnappée après qu’il ait sauvé de la mort un gangster recherché à la fois par la police et des tueurs à gages. Le frêle héros doit s’allier avec le dur à cuire, blessé, mais toujours d’attaque, pour se sortir de ce guêpier.

Si The Target démarre sur les mêmes auspices, il est surprenant, et plutôt rafraîchissant, de le voir bientôt quitter les rails de la simple copie. Ainsi, contrairement à Gilles Lellouche, le personnage de Lee Jin-Wook (Miss Granny) reste en retrait durant une grande partie de l’aventure, laissant la part belle à son acolyte, joué par le badass Ryu Seung-Ryong (War of the arrows), qui gagne lui aussi en galon question férocité, même comparé à Roschdy Zem. Construit comme un récit éclaté géographiquement, avec l’ajout de flash-back ultra sentimentaux qui cassent régulièrement le rythme, The Target ressemble moins à une longue course-poursuite que l’original, préférant jouer la carte du suspense et des retournements de situations (souvent) prévisibles. Comme d’habitude, le casting fait le boulot sans faire dans la dentelle, en particulier Yoo Joon-Sang, acteur fétiche de Hong Sang-Soo, qui a manifestement eu comme consigne de surjouer le plus possible son rôle de flic sadique. Ni très original, ni anthologique, The Target assure néanmoins un divertissement solide, notamment lors d’un destructeur dénouement poussant un peu loin les limites du réalisme. Il suffit juste qu’on ne le prenne pas comme un exemple de thriller vraisemblable…


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Quatresurcinq
The Target
De Chang
2014 / Corée du Sud / 98 minutes
Avec Ryu Seung-Ryong, Yoo Joon-Sang, Lee Jin-Wook
Sortie prochainement
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That Demon Within : dans la tête d’un flic

Retour de BIFFF : The Target, That Demon within, The Great Hypnotist

Si elle se déroule chez nous en filigrane, du fait de sorties limitées systématiquement au marché de la vidéo, la carrière du réalisateur Dante Lam reste l’une des plus intéressantes à suivre à Hong-Kong. Auteur de quelques-uns des meilleurs polars chinois de la dernière décennie, comme Fire of Conscience ou The Beast Stalker (alias The Crash en France), Lam n’a jamais rechigné à investir le champ de la production commerciale à gros budget, avec plus ou moins de motivation. Succédant au très oubliable Viral Factor, That Demon Within renoue très nettement avec la veine la plus noire de sa filmographie.

Projet étrange au confluent de l’étude de cas psychologique, du film d’action rugueux et de l’angoisse surnaturelle, That Demon Within suit le parcours troublant d’un officier de police, Dave Wong (Daniel Wu, fantomatique), tiraillé par les remords après qu’il ait sauvé sans le savoir un tueur de flics sans pitié, Hon (Nick Cheung, l’un des acteurs fétiches du cinéaste). Conspué par ses collègues, Dave est persuadé qu’il doit mettre un terme aux agissements de Hon et son gang des Démons masqués. Ce classique face-à-face entre Bien et Mal n’est toutefois qu’un leurre. Dave perd en fait pied avec la réalité : Hon lui apparaît bientôt sous l’uniforme d’un policier, tandis que de séances d’hypnose font remonter chez lui des souvenirs douloureux, et attisent sa phobie du feu…

Le paradoxe le plus étonnant du film de Lam, confiné dans des espaces clos, nocturnes ou désertiques, est qu’il contient comme ses précédents de puissantes scènes d’action (trop numérisées toutefois), mais ne fait pas reposer le rythme de l’histoire sur elles. Ce sont autant de sursauts imprévus et violents qui viennent, couche après couche, assombrir le quotidien d’un Dave dont les hallucinations, qui pourraient tout aussi bien être des flashbacks, finissent par perturber le fil même de la narration. Dante Lam s’est inspiré d’un fait divers réel pour créer ce personnage ambigu et glacial, mais s’en sert surtout pour justifier les digressions d’une œuvre inclassable, mystique et mortifère, bien loin du simple polar léché attendu. Dommage alors que That Demon Within s’étire et tire autant en longueur, quitte à ajouter de la confusion à un récit qui se voulait au départ aussi particulier et unique. Tout au plus retiendra-t-on un climax infernal, où les mystères entourant Dave s’éclaircissent logiquement au milieu d’un déluge de flammes.


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Troissurcinq
That Demon Within
De Dante Lam
2014 / Hong-Kong / 111 minutes
Avec Daniel Wu, Nick Cheung, Kai Chi Lu
Sortie prochainement
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The Great Hypnotist : jeux de dupes

Retour de BIFFF : The Target, That Demon within, The Great Hypnotist

Avant tout connu comme une star de la comédie dans son pays, Zu Xheng (Lost in Thailand) s’est emparé du projet The Great Hypnotist avec l’ambition d’étendre son terrain de jeu. Également producteur exécutif de ce film signé Leste Chen (The Heirloom), il délaisse les rôles de guignols souriants pour endosser ici le costume de Xu Ruining, un hypnothérapeute aux méthodes spectaculaires, comme le prouve la séquence d’ouverture située dans une salle de conférence, jouant sur plusieurs niveaux de révélation pour nous convaincre de son talent. Passé maître dans l’art de l’hypnose et de la pique qui tue, Xu doit bientôt faire face à un cas plus complexe : une femme, Ren Xiaoyan (Karen Mok) lui est présentée par une collègue comme un cas désespéré de déni psychologique. Xu accepte à contrecœur de s’occuper d’elle, et débute alors dans son cabinet une séance de thérapie étonnante. Ren assure qu’elle voit des fantômes, et ses déclarations parviennent, petit à petit, à ébranler la façade professionnelle de Xu…

Si ces prémisses vous rappellent Sixième Sens, c’est bien normal. Avec sa photographie soignée, son générique polissé, ses décors sophistiqués et gorgés de symboles (un escalier en spirale dans un film sur l’hypnose, ça n’est jamais neutre) et ses traumas à « débloquer » comme autant de révélations fracassantes (un peu comme Inception), The Great Hypnotist lorgne clairement sur les thrillers high concept de Hollywood. À tel point que le résultat attise en ce moment même l’intérêt des studios américains, toujours en quête d’un remake à produire. Malgré ses atours discrètement fantastiques, ce huis-clos fonctionne surtout comme un film à suspense manipulateur, moins occupé à nous faire frissonner qu’à tenter de nous mystifier, en nous présentant sous un jour ludique les techniques d’hypnose médicale de Xu. Zheng et Mok forment un duo charismatique, leurs rôles s’inversant régulièrement de sorte qu’il est pendant longtemps difficile de savoir qui manipule l’autre.

Mais, comme dans tout film de ce genre, la destination vers laquelle The Great Hypnotist nous emmène est bien entendu un grand, un énorme twist à la Shyamalan qui doit nous permettre de reconsidérer sous un nouveau jour ce qui a précédé. Chen a malheureusement besoin d’au moins 10 bonnes minutes pour nous expliquer, avec la légèreté d’un instructeur militaire, le pourquoi et le comment de ce fameux twist, enrobé dans une certaine logique émotionnelle, mais si capillo-tracté qu’il en perd toute crédibilité. Petite déception donc : peut-être que les Américains feront mieux (et moins mélo) quand viendra leur tour…


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Troissurcinq
The Great Hypnotist
De Leste Chen
2014 / Chine / 104 minutes
Avec Xu Zheng, Karen Mok, Yaoqin Wang
Sortie prochainement
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