Atanarjuat : western arctique
En 2002, un film tourné et interprété par des Inuits décroche la Caméra d’Or. Dix ans plus tard, ce « thriller ethnographique » est toujours aussi fascinant.
Un dépaysement, dès le premier plan. On ne peut attendre moins du premier film inuit, Caméra d’Or au festival de Cannes 2001, et il faut avouer que la blancheur immaculée de l’écran est au départ un obstacle à notre attention. Il nous faut à nous, pauvres occidentaux urbains, des balises, des lignes de fuite. Elles vont exister, mais il s’agira uniquement de personnages. Ce sont les seuls éléments tangibles qui peuplent le décor lunaire de cette région arctique du Nunavut.
La légende de l’homme rapide
L’histoire, westernienne en diable, se prête bien aux paysages de cette terre fragile, avec ses notions de tribu, de frontières, de rites ancestraux et de vengeance solitaire. Ubuesque, tragique, étrange, le scénario raconte l’irruption du Malin dans une petite communauté nomade qui vit tant bien que mal dans les vallées glacées du Canada polaire. Il raconte le combat que va devoir mener Atanarjuat (qui signifie « homme rapide »), pour venger son frère, victime d’un guet-apens pour une simple histoire de mariage arrangé. Le pitch, bien que simple en apparence, est un simple point d’entrée amenant un grand nombre de ramifications beaucoup plus complexes.
Avant que le nœud quasi Shakespearien de l’histoire ne se dénoue, c’est d’abord l’aspect ethnologique du film qui frappe le spectateur. On pourrait presque estampiller le long-métrage « National Geographic », si, à l’instar du Tibétain Mountain Patrol, on y décelait pas une véritable envie de raconter avant tout une histoire. Avec son passif de documentariste expérimenté, on peut raisonnablement penser que le réalisateur Zacharias Kunuk, décidant d’adapter une légende connue de tout son peuple, se soit laissé une marge pour exposer, raconter un mode de vie, avec ses rites, ses coutumes, ses types de vêtements, d’habitation, de nourriture.
Un mythe en marche
C’est une expérience rare, celle d’avoir la sensation, devant un film aride de trois heures, d’être un élève totalement ignorant, ayant tout à apprendre d’un pan du monde quasi inconnu. C’est aussi ça, la force du 7e art : en 170 minutes, vous en apprendrez plus qu’en cinquante livres et documentaires soporifiques. Surtout que la caméra digitale de Kunuk sait capter les instants naturels, les moments de vérité de la vie quotidienne de la tribu, aidé en cela par des comédiens non-professionnels, qui, étant tellement accoutumés à l’histoire, n’ont même pas une once de distance par rapport à leur personnage. Ils sont. La vérité de leur jeu transpire sur l’écran.
On est alors d’autant plus passionné, malgré les longueurs, par l’histoire terrible qui se joue sur la banquise. Un frère meurt, l’autre doit s’enfuir, avant de pouvoir régler ses comptes selon les traditions de son peuple. Le point d’orgue du film est bien sûr la course-poursuite entre Atanarjuat, courant nu sur la glace, et ses ennemis. Une course sans fin, déchirante, épique, à la hauteur du mythe qui est en train de se construire (celui de l’homme rapide, oui, ça va, vous suivez).
Bien sûr, le côté extrême, la durée inhabituelle, la langue particulière peuvent rebuter. C’est après tout, une véritable et intransigeante plongée dans un territoire qui nous est totalement étranger. Pourtant, l’évidence naît, au fil des minutes. Seuls quelques films avaient pu capter jusqu’à présent l’impitoyable beauté d’un paysage polaire (Nanouk l’esquimau en 1922, Agaguk, The Thing, 30 jours de nuit, ainsi que le tout récent On the Ice). Atanarjuat, de par son ambition, est autant un coup d’essai qu’une œuvre-bilan, même si Kunuk s’est depuis illustré avec Le Journal de Knud Rasmussen, reconstitution de la vie du dernier chamane inuit. Un voyage à nul autre pareil s’offre à vous avec ce film hors du temps. De la plus simple et la plus noble des manières.