Séance de rattrapage : Gueules Noires
L’univers des mineurs du Nord sert de décor à l’horreur lovecraftienne dans Gueules Noires, série B française modeste et sympathique.
Bien que sa carrière n’en soit qu’à ses débuts, le réalisateur Mathieu Turi est vraiment ce qu’on peut appeler un auteur. Comme tous les cinéastes hexagonaux amoureux fous du film de genre, c’est un débrouillard qui a sué sang et eau pour mener ses projets à bien en France. Et ses projets, Turi les aime en huis clos. Après Hostile, dont l’action se déroulait dans une carcasse de voiture où une femme piégée devait survivre à une menace monstrueuse ; après Méandre, où une femme piégée devait s’échapper d’un dédale de tubes et esquiver une menace monstrueuse ; voici Gueules Noires, son plus ambitieux long-métrage, puisqu’il met 15 bonnes minutes avant de piéger dans les tréfonds d’une mine des personnages confrontés à… oui, une menace monstrueuse. De la suite dans les idées, donc, et il y a de la nouveauté cette fois, puisque, comme on pourrait s’y attendre vu le décor, le casting de ce mix a priori improbable entre Germinal et Catacombes est cette fois entièrement masculin.
Tourné dans les anciennes mines du Pas-de-Calais, Gueules Noires nous ramène à une époque et des lieux encore trop peu vus au cinéma : après un prologue au 19e siècle qui plante déjà le décor, l’action se déplace en 1956, alors qu’un jeune marocain nommé Amir (Amir El Kacem) est recruté dans son pays natal pour rejoindre en France une équipe de mineurs de fond commandée par Roland (Samuel Le Bihan, de plus en plus buriné). Victime dès son arrivée de racisme, le jeune homme descend pourtant vite avec ses collègues à 1000 mètres de profondeur pour escorter Bertier (Jean-Hugues Anglade, méconnaissable) un scientifique venu faire de mystérieux prélèvements. Victimes d’un éboulement, ils débouchent sur une crypte inviolée depuis des siècles : un sanctuaire maudit où repose une créature millénaire qu’ils vont réveiller à leurs dépens…
Pas une mine de porte-bonheur…
Cocktail de reconstitution historique appliquée et de film d’horreur cracra aux références visibles comme le nez au milieu de la figure (Alien, Predator, bref, tous ces films où un casting réduit est décimé méthodiquement par un monstre inconcevable), Gueules Noires vient confirmer l’appétit de Mathieu Turi pour les ambiances claustrophobiques et suffocantes. L’utilisation dans la première partie de décors réels et la description, sommaire, mais évocatrice, du quotidien des mineurs aide à ancrer le film dans une réalité tangible et passionnante, avant que les personnages — tous plus ou moins clichés — ne prennent définitivement l’ascenseur pour l’enfer. Ce basculement progressif est plutôt bien géré par le cinéaste, qui tire parti de l’obscurité envahissant l’écran pour sculpter à la lumière des frontales des images angoissantes, rappelant l’univers paniqué des found footage modernes (comme le déjà cité Catacombes, auquel on pense beaucoup).
« Le long-métrage ne prétend pas être autre chose qu’un film de monstre dont le côté “en dur”, tangible, fait office de note d’intention. »
Là où le bât blesse, c’est dans la manière dont le script cherche à tout prix à confectionner autour de sa créature vedette (une création 100 % non numérique, au design… particulier) une mythologie pompée consciencieusement sur Lovecraft. Turi en montre trop, et le ridicule n’est jamais trop loin au bout du couloir avec un monstre aussi osé, dont l’arrivée met en branle un classique jeu de cache-cache dans le noir — chaque apparition de la bête signifiant généralement que quelqu’un va mourir dans un déluge de barbaque rougeâtre. La formule est un poil usée, mais assumée et soutenue par un casting assez motivé pour faire oublier des dialogues ampoulés. Gueules Noires déçoit presque parce qu’il ne propose « que » ça, mais ce serait oublier que les bisseries au carrefour de plusieurs genres et esthétiques comme celles-ci ne courent pas les rues. Le long-métrage ne prétend pas être autre chose qu’un film de monstre dont le côté « en dur », tangible, fait office de note d’intention, même si les ultimes minutes dévoilent des ambiances infernales plus baroques. Il faut l’apprécier comme tel, en connaissance de cause, en attendant le prochain huis clos de Mathieu Turi — à moins que cette production lui ait donné envie de prendre un peu l’air !