Si l’on y réfléchit bien, tout film dédié à la danse, en dehors des pures comédies musicales, a quelque chose à voir avec la rébellion. De Dirty Dancing à, hum, Street Dance, en passant par Footloose ou Billy Elliott, les personnages de ce genre de films ont à chaque fois quelque chose à prouver. Des antagonistes à défier, à la pointe de l’orteil. Des ennemis à esquiver, pour pouvoir pratiquer leur art comme ils l’entendent. Art visuel s’il en est, la danse s’affirme donc souvent à l’écran comme l’explosion d’une envie longtemps contenue de laisser parler son corps, son inconscient, et donc son âme. Desert Dancer illustre cet était de fait, presque par l’absurde, en retraçant l’histoire vraie ayant défié le régime de son pays natal, l’Iran, en choisissant de persévérer dans une pratique réprimée depuis 1979 par la loi islamique.

Révolution et contradictions

Desert Dancer : ma danse, ma bataille

Direction Téhéran dans les années 2000, donc, alors que le jeune Afshin Ghaffarian (Reece Ritchie, vu dans Prince of Persia), découvre stupéfait que malgré les répressions diverses, il existe dans la ville des boîtes de nuit clandestines, et des moyens de voir en douce des vidéos YouTube de ses danseurs préférés, comme Nureyev, un expatrié le scénario va faire plusieurs fois référence. Afshin a déjà découvert la danse par la bande pendant son enfance, avant les tenants de la Révolution Iranienne ne brisent un temps son rêve d’apprentissage. Cette fois, il veut prendre les choses en main : avec ses amis, dont la belle junkie Elaleh (la belle Freida Pinto, qu’on avait dernièrement croisé dans Knights of Cups), ils se réunissent dans un sous-sol abandonné pour répéter leurs chorégraphies, et bientôt préparer un spectacle. Mais où jouer ce numéro par essence transgressif ? Facile : dans le désert, là où ces brutes de « basij » chargées de faire respecter la loi ne pourront les retrouver.

[quote_center] »C’est peut-être dans leur histoire d’amour impossible que le script devient le moins réaliste, mais c’est aussi, et pourtant, dans ces moments que Desert Dancer décolle véritablement. »[/quote_center]

Pour son premier film en tant que réalisateur, Richard Raymond a choisi de donner une couleur lyrique à cette belle histoire vraie, quitte à oublier en route de donner des qualités réalistes à son récit de fiction. Il suffit de parler quelques minutes avec le véritable Afshin Ghaffarian, qui possède désormais sa compagnie de danse à Paris, où il a fini par s’exiler, pour comprendre que Desert Dancer a choisi la simplification à outrance dans l’espoir de parler au plus grand nombre. Il n’y a pas de zones grises ici : les personnages sont soit de courageux esprits libres, maltraités, acculés, mais jamais défaitistes, soit d’abominables collaborateurs dénués de la moindre épaisseur dramatique. Les obstacles que le danseur a rencontré sont très romancés, quand ils ne sont pas tout simplement exagérés – c’est paradoxalement un motif de soulagement, puisque la situation d’Afshin apparaît du coup moins triste que ce que le film nous montre. Surtout, et c’est là le plus étonnant, ce n’est pas lui qui signe les chorégraphies du film (c’est le Britannique Akram Khan, qui a notamment œuvré sur la cérémonie d’ouverture des JO de Londres, qui s’en est chargé), par ailleurs très réussies !

Laisse parler ton corps

Desert Dancer : ma danse, ma bataille

Difficile donc de donner raison à un film abusivement formulaïque, dont les rouages reposent sur tant de clichés et de raccourcis qu’ils nous éloignent du cœur d’une histoire forcément évocatrice. Le fait que le long-métrage soit tourné intégralement en anglais n’aide pas forcément non plus à l’immersion, et s’avère paradoxal pour un film glorifiant la liberté de s’exprimer librement sans subir l’influence de la société. Cela ne doit pas empiéter sur les performances, pour le coup plutôt convaincant, de l’ensemble du casting. Desert Dancer demande notamment à son couple vedette, Ritchie et Pinto, d’être constamment à fleur de peau, toujours très torturés – c’est bon pour la danse, ça. C’est peut-être dans leur histoire d’amour impossible que le script devient le moins réaliste, mais c’est aussi, et pourtant, dans ces moments que Desert Dancer décolle véritablement. Leurs numéros de danse fonctionnent une sorte d’apprivoisement mutuel, heurté, mais fébrile, avant que leurs mouvements s’unissent enfin lors de cette fameuse chorégraphie vantée par le titre. Un moment de grâce dans l’infinité désertique, gâché par un suspense en carton, mais suffisamment inspiré pour nous faire comprendre, l’espace de quelques minutes, la raison pour laquelle les artistes combattent, avec tout leur être, pour avoir le droit de se sentir vivants. C’est peu, mais c’est beau.

[toggle_content title= »Bonus » class= »toggle box box_#ff8a00″]Portrait du véritable Afshin Ghaffarian par le journal Le Monde. [/toggle_content]


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Trois sur cinq
Desert Dancer
De Richard Raymond
2015 / Angleterre – Maroc – Roumanie – EAU / 98 minutes
Avec Reece Ritchie, Freida Pinto, Tom Cullen
Sortie le 6 janvier 2016
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