Par un hasard qui n’a rien de fortuit, les studios Aardman se sont retrouvés doublement en haut de l’actualité cette année, avec la sortie de ce nouveau long-métrage, Shaun le Mouton, et l’ouverture de la première exposition leur étant consacrée au musée Art Ludique. Si leur nom est moins familier aux oreilles des profanes, Aardman est pourtant de la trempe des sociétés qui l’ont précédé dans cet exigu, mais exigeant musée parisien, qui a précédemment accueilli des expos événement consacrées à Pixar et Ghibli. Chantres de l’animation image par image depuis les années 80, couverts d’Oscars pour leurs courts et moyens-métrages Wallace et Gromit, chapeautés par l’iconoclaste Nick Park, les studios Aardman ont atteint en France leur pic de popularité il y a déjà 15 ans, avec l’inusable Chicken Run et sa grande évasion de volailles.
Le studio n’est pas resté sur ce coup d’éclat, loin s’en faut. Un long-métrage Wallace & Gromit a notamment suivi, avant que ne soit tenté le grand saut hollywoodien avec Souris City et Mission : Noël, qui furent au mieux des succès mitigés, et ne témoignaient pas vraiment de l’amour maniaque et intransigeant avec lequel les créateurs du studio envisagent l’animation. Heureusement, Pirates ! est venu en 2012 rappeler à quel point le ton so british de leurs productions et l’invraisemblable inventivité dont ils faisaient preuve sur leurs plateaux/décors/terrains de jeux nous manquaient. Maintenant, c’est à Shaun le Mouton, version long-métrage de leur très populaire série d’animation télévisuelle (créée en 2007 par Nick Park), de venir rajouter une couche de pâte à modeler ubuesque devant nos yeux soudain plus juvéniles !
Le silence des moutons
À l’origine, Shaun est un personnage secondaire de l’univers Wallace et Gromit. Protagoniste bêlant (et muet, tout comme le compagnon canin de Wallace) du court-métrage Rasé de près, Shaun est ici un ovin cabotin toujours occupé à préparer un coup fumeux avec ses amis de basse-cour, à l’abri des regards du chien de garde à bonnet Bitzer et de son maître, « le fermier », ex-hippie débonnaire amoureux de ses bêtes dont il sous-estime forcément l’intelligence. Poussé par un élan libertaire, Shaun décide un jour de rompre la monotonie de la vie à la ferme (symbolisée par un générique rythmé par les chants d’un coq très imaginatif) en faisant s’évader tout son troupeau. Grâce à un stratagème incluant du saute-mouton – littéralement – et du graissage de pattes – tout aussi littéral -, l’évasion fonctionne, mais a pour conséquence inattendue la disparition du fermier, propulsé dans sa caravane vers la « Grande Ville » et frappé d’amnésie. Prenant leur courage à quatre pattes, les moutons mutins prennent alors l’autobus (oui, oui) pour le retrouver, et se retrouvent plongés dans une aventure pleine de dangers…
L’une des particularités de la série Shaun, que le film reprend à son compte, est l’absence totale de dialogues. S’exprimant avant tout avec des borborygmes, les personnages du film doivent s’exprimer et faire avancer l’action grâce à leurs mimiques et leur gestuelle. Ça tombe bien : Aardman est reconnu dans le monde entier pour le soin maniaque avec lequel ces dernières sont décomposées, pensées et reproduites à l’écran. Le côté saccadé, en légère suspension, apportée par la technique de l’image par image, apporte à tous les personnages du film une énergie unique, une efficacité immédiate, dont Mark Burton et Richard Starzak, promus au rang de réalisateurs pour la première fois, font le meilleur usage. Les acolytes de Shaun, certains issus de la série télé, d’autres inventés pour l’occasion, sont ainsi instantanément reconnaissables à leur attitude, qu’il s’agisse d’un haussement de sourcil ou d’un facepalm exaspéré. Forcément héritière d’une mécanique burlesque héritée du muet, la tribu de Shaun, aussi soudée que les communautés qui l’ont précédé (les poules de Chicken Run, les pirates et bien sûr Wallace et Gromit), s’avère immédiatement attachante, et ce d’autant plus qu’elle se trouve rapidement au centre d’une aventure rythmée et parfois sacrément hilarante.
Des gags à perdre haleine
S’il apparaît familier dans le canon du studio, qui n’aime rien tant que de raconter des histoires d’évasion rocambolesques et de poursuites spectaculaires (les morceaux de bravoure d’Un mauvais pantalon, qui rendaient en 1993 un vivifiant hommage à Hitchcock, sont encore dans les mémoires), le scénario de Shaun le mouton verse également dans une satire très actuelle des médias : pro de la tonte de mouton, le fermier devient ainsi une star populaire en tondant par mégarde les clients d’un salon de coiffure, et ne reconnaît pas son fidèle Bitzer lorsque celui-ci le retrouve. Une péripétie farfelue parmi d’autres, qui marque pourtant moins les esprits qu’un repas costumé dans un grand restaurant, tournant rapidement au désastre, ou l’escapade à la fourrière de Shaun, source de références brillantes au Silence des agneaux et aux Évadés, et d’au moins un gag colossalement drôle. Le dernier acte se clôt, comme il se doit, avec une course-poursuite à perdre haleine, dans la tradition d’un studio obsédé par l’accumulation programmée de gags visuels, enchaînés dans un même mouvement surréaliste.
[quote_center] »La technique de l’image par image apporte à tous les personnages du film une énergie unique, une efficacité immédiate. »[/quote_center]
C’est dans ces scènes, où la menace personnifiée par Trumper, l’employé zélé de la fourrière, se fait la plus présente, que Shaun le mouton prend véritablement ses marques et se démarque efficacement de la concurrence. Car pour ce qui est du ton général du film, résolument plus tourné vers le jeune public que le plus sophistiqué Pirates !, Shaun est assez inoffensif et bon enfant. Aussi irrésistibles soient-elles, les aventures de ce troupeau bêlant brillent avant tout par leur simplicité, et n’atteignent que rarement les cimes délirantes dont le studio est coutumier. Il s’agit néanmoins d’une très recommandable démonstration de leur savoir-faire pour ceux qui les auraient (les inconscients !) perdus de vue.
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Shaun le mouton (Shaun the Sheep Movie)
De Mark Burton et Richard Starzak
2015 / Angleterre – France / 85 minutes
Avec les voix de Justin Fletcher, John Sparkes
Sortie le 31 mars 2015
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