Un écrivain sur le retour arrive dans une petite ville (non, ce n’est pas Twin Peaks) pour y vendre son dernier roman. Comme tous les précédents, il parle de sorcières. Hall Baltimore est un peu au bout du rouleau, et on le sent dès la première séquence : il se retrouve à faire des dédicaces dans une quincaillerie (parce qu’il n’y a pas de librairie dans le bled), et la première question qu’on lui pose est : « Qu’est-ce que ça vous fait d’être un Stephen King au rabais ? »

C’est la première allusion littéraire de Twixt, troisième réalisation en quasiment autant d’années pour le septuagénaire Francis Ford Coppola, qui tourne ici, en suivant les préceptes qu’il s’est lui-même imposé (petit budget, indépendance, scénario original, casting low profile, retour à l’expérimentation des jeunes années), un petit film à nul autre pareil. Car en suivant le périple lympathique de Baltimore, scribouillard esseulé acculé à écrire du roman de gare par sa femme qui va se prendre d’intérêt pour un fait divers local, Coppola questionne, comme il ne l’a sans doute jamais fait avant, l’acte de création. Qu’y a-t-il de plus important ? Mettre l’imagination au pouvoir ? Trouver le bonheur ? La vérité ? Ce sont peut-être des questions bien pontifiantes, mais elles sont essentielles pour le personnage de Baltimore, alter ego évident du réalisateur, jusque dans son allure bonhomme, qui va mener l’enquête tel un Dale Cooper du pauvre, en plongeant tête baissée dans les rêves que lui inspire cette morne bourgade. Dans les limbes monochromes de ces songes à la David Lynch, Baltimore croise une ado au visage d’ange et à la robe ensanglantée, appelée « V », un couple d’aubergistes un brin cintré, et nul autre qu’Edgar Poe – oui, « encore ! » -, qui vient lui donner des cours de construction narrative.

Sur les rives du surréalisme

Hall Baltimore (Val Kilmer) déambule dans ses rêves en compagnie d’une mystérieuse enfant (Elle Fanning).

Derrière ce labyrinthique parcours onirique, où souvenirs, hallucinations, ellipses et raccourcis s’entrechoquent, se trouve un traumatisme personnel, que Coppola relie avec lourdeur à une meurtrissure bien réelle : Baltimore a en effet perdu sa fille dans un accident de hors-bord, soit exactement comme le fils de Coppola, Gio, mort en 1986 pendant le tournage d’un film de son père au titre funeste (Jardins de pierre). Tout a perdu de l’importance pour Baltimore depuis lors, mais, il part tout de même sur la trace d’un massacre d’enfants avec l’aide du shérif du coin, un inquiétant égocentrique amateur de nouvelles et de nichoirs à chauve-souris (sic).

Le mystère criminel, qui implique un prêtre défroqué et des enfants innocents, intéresse finalement peu Coppola. Twixt fait partie de ces films qui s’embarrassent peu de logique, et accostent volontiers sur les rives du surréalisme. L’humour est froid (Baltimore et le shérif conversent au-dessus d’un cadavre transpercé par un pieu), l’image terne (les scènes de rêve, tournées en numérique et pour certaines en 3D, sont à la fois désaturées et baignées dans une lumière cotonneuse ultra-sombre), les effets numériques grossiers (l’un des personnages est un émo-biker amateur de Baudelaire et chevauche sa moto dans des plans dignes de Sin City), et le scénario part dans tous les sens sans jamais s’excuser de ses embardées et de ses expérimentations, reprises pour certaines de Dracula, qui comme par hasard causait aussi de vampirisme et d’une perte inconsolable. Qu’importe selon FFC que Baltimore ne se réveille pas à l’endroit où s’il est endormi, ou SPOILER ALERT ! qu’il semble mourir à la fin pour mieux réapparaître en pleine forme la scène suivante. Twixt tout entier semble baigner dans une torpeur gentiment inquiétante, que les moins enclins à la rêverie prendront pour une absence totale de maîtrise de la part d’un cinéaste-vigneron-maître d’hôtel redevenu en quelque sorte un intermittent satisfait du spectacle.

Sympathiquement expérimental

Le mystère se dévoile peu à peu, dans des flashbacks d’une terrifiante mélancolie.

Malgré ses errements (notamment une scène de ouija bien ridicule), son grand déballage psychanalytique et sa fin en queue de poisson, ce petit film qu’est Twixt garde tout de même un capital sympathie indéniable. Ne serait-ce que par son casting, mené par un Val Kilmer catogan au vent (ceux qui s’étonnent de son embonpoint ont donc raté les très bons Felon, Kill the Irishman et Bad Lieutenant – Escale à la Nouvelle-Orléans), faussement indolent et qui se fend d’une imitation de Marlon Brando hilarante dans une scène où il tente désespérément de débuter un nouveau roman. Elle Fanning minaude plutôt bien dans son costume gothique, tandis que Bruce Dern cabotine comme un fou dans le rôle du shérif, et Joanne Whalley, ex-Kilmer, participe de la mise en abyme en jouant la femme de Baltimore. Mais c’est sans doute Ben Chaplin, bien plus convaincant en Edgar Poe que John Cusack, qui amuse le plus en guide spirituel révélant à son successeur la relativité de toute chose : richesse, tristesse, succès, solitude… Le texte final sonne comme un aveu de la part du scénariste et cinéaste californien : désormais dénué de toute ambition commerciale, Coppola n’a que faire de se faire aimer, ou même d’essuyer les quolibets. Quitte à expérimenter, autant se faire plaisir dans le même temps, non ?


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Deuxsurcinq
Twixt
De Francis Ford Coppola
2011 / USA / 89 minutes
Avec Val Kilmer, Elle Fanning, Bruce Dern
Sortie le 11 avril 2012
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