The Cloverfield Paradox : espace en voie de disparition

par | 8 février 2018

Beau coup marketing pour Netflix, The Cloverfield Paradox fait depuis une semaine l’unanimité contre lui. À tort ou à raison ?

Sacré paradoxe. Il est incontestable que ce week-end, en se servant du Superbowl américain comme plate-forme médiatique pour lancer en exclusivité un film de science-fiction à 45 millions de dollars, faisant partie d’une franchise connue du grand public (à défaut d’exister en tant que réelle « saga »), Netflix a voulu impressionner son monde et bouleverser une fois encore les règles de la distribution. The Cloverfield Paradox a révélé son titre définitif, et dévoilé ses premières images, quelques heures seulement avant que le film soit disponible chez tous les abonnés du géant du streaming. Le paradoxe, c’est que le film de Julius Onah (réalisateur américano-nigérian inconnu au bataillon) a très, très vite éclipsé ce très beau coup marketing, en faisant à peu près l’unanimité contre lui. Troisième opus flanqué du terme Cloverfield, ce huis-clos spatial fréquenté par un casting éminemment sympathique sur le papier mérite-t-il un tel déchaînement critique ?

L’autre dimension du marketing

Une chose est sûre, The Cloverfield Paradox n’a pas toujours porté ce nom, et n’avait même, comme 10 Cloverfield Lane, rien à voir avec la franchise à l’origine. Anciennement titré God’s Particle, le script, puis le film, ont été intensivement retravaillés pour se raccrocher, autant que possible, à la mythologie esquissée à la fois dans les films et sur Internet par J.J. Abrams et la team Bad Robot. Et c’est sans doute ce qui rend le résultat aussi bancal et idiot : ce besoin forcené de rattacher une histoire indépendante (dans l’esprit Abrams, la marque Cloverfield est semblable à une anthologie type La quatrième dimension ou Black Mirror, garnie d’easter eggs suggérant que « tout est connecté ») à des événements et une chronologie établie font que Paradox se prend les pieds dans le tapis du dialogue surexplicatif et du remplissage maladroit. Sans compter le fait que malgré toute sa bonne volonté, le script lui-même consiste en un cocktail d’idées SF déjà vues et exploitées ailleurs.

L’idée de départ n’a rien de honteuse : dans un futur proche, l’humanité court à sa perte après avoir gâché toutes ses ressources naturelles (ça c’est le côté Interstellar), et construit un vaisseau spatial composé d’un équipage international, lancé dans une mission de la dernière chance pour sauver la Terre (ça, c’est le côté Sunshine). Grâce à un accélérateur de particules – parce que la Suisse, c’est du chiqué ? -, celui-ci veut créer une nouvelle forme d’énergie durable et illimitée, au risque de créer une fissure dans l’espace-temps et ouvrir la porte de nouvelles dimensions. Et, après des centaines d’essais infructueux, c’est ce qui va finir par arriver : le vaisseau Cloverfield – qui désigne aussi une rue, et un mot de code militaire, on ne sait plus trop maintenant – débarque dans une dimension parallèle (coucou Event Horizon), s’éloigne de la « vraie » Terre et perd un par un ses occupants. Comme dans AlienSunshine, LifePrometheus et à peu près tous les films de ce sous-genre auxquels vous pourriez penser.

Un flop galactique ?

Au sein d’une structure narrative aussi prévisible dans son mécanique déroulement (on sait très bien que chaque membre de l’équipage va casser sa pipe, et on peut même deviner dans quel ordre), il est compliqué pour les acteurs de faire vraiment impression. The Cloverfield Paradox a pour immense défaut de n’avoir aucun protagoniste mémorable, quand bien même nous gardons une affection certaine pour la plupart des comédiens rassemblés dans le vaisseau. Gugu Mbatha-Raw (Free State of Jones) hérite du seul point d’ancrage émotionnel du film. Son personnage laisse derrière elle sur Terre son mari, propulsé au sein d’une sous-intrigue lourdingue – c’est à travers lui que le film se rattache péniblement à la fameuse histoire d’invasion monstrueuse démarrée dans le premier Cloverfield, et à sa « suite », avec la présence… d’un bunker. Convaincante, Mbatha-Raw ne joue qu’une seule note en continu : la tristesse d’une mère en deuil loin des siens. Autour d’elles, Daniel Oyelowo, Daniel Bruhl, Zhang Ziyi, John Ortiz, Aksel Hennie et un très relax Chris O’Dowd incarnent avec plus ou moins d’efforts des astronautes aux fonctions et aux identités confuses : le britannique O’Dowd est censé être italien, le norvégien Aksel Hennie russe, Zhang Ziyi ne s’exprime qu’en chinois et tout le monde ne la comprend pas… Autant dire que la crédibilité de ce groupe de bras cassés n’est pas optimale, et déleste The Cloverfield Paradox d’une véritable identité narrative. Même Life créait plus de vie (sic) au sein de sa station spatiale avant que le décompte à la Dix petits nègres soit lancé.

Le film ne ménage pourtant pas ses efforts pour donner l’illusion d’une trame complexe, qui se baserait sur la mécanique quantique et la théorie des multivers pour expliquer les aberrations qui affligent au bout d’une demi-heure le vaisseau Cloverfield. Mais la rigueur scientifique semble être le cadet des soucis des scénaristes, qui nous balancent des bras autonomes, des corps fondus dans un mur, des expulsions corporelles de vers et une superglu vorace avec un mépris évident pour la logique et la cohérence. Bête ? Oui, mais assez fun, si l’on accepte l’idée que, quelque soit son titre, The Cloverfield Paradox n’aurait jamais pu prétendre atteindre les cimes des modèles qu’il pille consciencieusement. Le film paie, là encore paradoxalement, le fait d’avoir été vendu comme un coup commercial servant à promouvoir ce qui n’est qu’une petite série B, platement filmée mais dotée d’un production design tout à fait correct – même si certains décors et costumes paraissent étriqués. Ceux qui parlent de « supplice » ou de « naufrage » à la vision de The Cloverfield Paradox n’ont sans doute jeté qu’un œil distrait aux vrais navets du genre « horreur dans l’espace », comme Pandorum, Apollo 18, Jason X ou l’épouvantable Supernova. De vraies tortures filmiques pour le coup, qui n’excusent pas a posteriori la faible qualité de Paradox, mais font relativiser l’étendue du « désastre » pilonné à coups de tweets rageurs depuis une semaine.