Il y a encore un an et demi, The Hateful Eight aurait pu rentrer dans la case des « films que nous ne verrez jamais » : le genre de projets alléchants sur le papier, au bord de la concrétisation, mais qui pour des problèmes divers inattendus, finissait par trébucher dans les starting-blocks et disparaître dans les limbes. Quentin Tarantino, sur la lancée d’un Django Unchained couronné de succès, comptait persévérer dans le western (« il faut en faire trois avant d’être considéré comme un connaisseur du genre », déclarait-il lors de sa venue au Comic Con), et avait fait passer la première version de son scénario à six personnes, dont le fidèle Samuel Jackson, embauché d’office. Las, le script fuita sur Internet, « QT » prit la mouche et déclara que puisque c’est comme ça, le film ne se ferait jamais.
Huit personnages en quête de coups fourrés
Heureusement pour nous, pour les millions de spectateurs qui ne s’intéressent que peu à la lecture de scripts anglophones sur le Net, The Hateful Eight, après une lecture publique avec le casting très médiatisée, est finalement devenu un long-métrage attendu pour Noël 2016 aux USA (et sans doute pour janvier en France), le huitième de Tarantino, comme par hasard. Tourné dans le Colorado, ce nouveau western se passe pourtant dans le Wyoming, et n’a, malgré l’époque et le contexte similaire, pas grand-chose à voir avec Django. L’histoire se déroule en pleine tempête hivernale, dans une période indéfinie suivant la Guerre de Sécession.
[quote_center] »Un quasi-huis clos aux effluves d’Agatha Christie, mais en plus redneck. »[/quote_center]
Contrairement à ce que laissait penser la première (sublime) affiche du film, Hateful Eight n’est pas une variation sur la Chevauchée Fantastique de John Ford, mais débute pourtant bien dans une diligence, bientôt en perdition. À l’intérieur se trouvent le chasseur de primes John Ruth (Kurt Russell, qui entame après Fast & Furious 7 un vrai comeback), sa prisonnière Daisy (Jennifer Lason Leigh), le major Warren (Samuel Jackson), lui aussi chasseur de primes, et Chris Mannix (Walton Goggins), un renégat qui se présente comme un shérif. Piegés par la tempête, ils se rendent bientôt dans la Mercerie de Minnie (sic), un refuge où les attendent quatre inconnus : Bob (Damian Bichir) qui remplacerait ladite Minnie, le général Confédéré Smithers (Bruce Dern), le bourrin Joe Gage (Michael Madsen) et Oswaldo Mobray (Tim Roth), le bourreau de la ville voisine de Red Rock, qui est la destination de Ruth. Coincé dans l’auberge pour la nuit, le petit groupe révèle peu à peu ses véritables intentions, et surtout ses véritables identités…
Un grand spectacle dans « un glorieux 70mm »
Plutôt qu’un film épique traitant de l’esclavage et du racisme étatique, parcourant plusieurs États du Sud, The Hateful Eight se présente donc comme un quasi-huis clos aux effluves d’Agatha Christie, mais en plus redneck. Du pain béni pour un réalisateur / scénariste qui avait fait une entrée fracassante à Hollywood avec Reservoir Dogs, où les jeux d’alliance se faisaient et se défaisaient aussi au fil d’une intrigue jouant sur les fausses identités et les règlements de comptes sanglants. Malgré ce décor théâtral, et ce scénario respectant les unités de temps et de personnages, Tarantino ne semble pas avoir joué la carte du minimalisme, comme le révèle la première et très attendue bande-annonce du film, aux effets de montage calqués sur le trailer de Django. Entouré en grande partie de la même équipe technique, et d’un casting rempli de visages familiers (auquel il faut rajouter Zoe Bell et la surprise Channing Tatum, casté pour un rôle encore inconnu), le réalisateur n’a pas mis la pédale douce sur son style : emphatique, graphique, bourré d’entrées en scènes iconiques et de répliques définitives, pratiquement toutes délivrées par l’infatigable Jackson.
Surtout, il semble avoir tiré le meilleur parti d’un tournage en pellicule. Tarantino a insisté malicieusement sur le fait que The Hateful Eight a été tourné en Ultra Panavision 70, autrement dit du 70 mm anamorphosé, pour un format 2.76. Précision importante, ce format extra large n’a plus été utilisé depuis Khartoum, en 1966. Le réalisateur avait profité de la présentation à San Diego pour révéler que les lentilles utilisées sur le tournage étaient les mêmes (d’époque donc !) que celles de Ben-Hur. Une profession de foi cinéphilique qui n’étonne pas vraiment venant de lui, mais qui signifie que comme pour The Master et Interstellar, il sera possible de voir lors de sa sortie le film dans des conditions uniques en leur genre, dans les salles équipées tout du moins. Dernier coup marketing, et pas des moindres, la musique originale (oui, originale, pour la première fois) sera composée par nul autre qu’Ennio Morricone ! Le maître, visiblement réconcilié avec Tarantino après « l’affaire » Django, s’est laissé convaincre de créer la BO du film, quarante ans après avoir apporté sa dernière contribution au genre (a priori pour la musique d’Un génie, deux associés, une cloche). Une raison de plus pour attendre de pied ferme, l’éperon au talon et la pipe à la bouche, ce Hateful Eight aux allures de jeu de massacre ludique.