Bientôt détrôné par son fils Brandon, fort du succès du très bon Antiviral, David Cronenberg, 71 ans, a depuis  Les promesses de l’ombre (2007, quand même !), plus ou moins perdu à nos yeux ses galons de grand réalisateur. Le bide de l’hermétique A Dangerous Method et la blague de mauvais goût que représentait Cosmopolis font tache dans une carrière pourtant très riche. Avec son dernier opus, il fustigeait le monde de la finance. Cette fois, en adaptant le roman de Bruce Wagner, Cronenberg prend le parti de détruire au lance-roquettes l’image du microcosme hollywoodien, avec un scénario plus attirant de par ses simples promesses satiriques.

Un casting hystérique

Maps to the Stars : quand Cronenberg se prend pour Woody Allen

Une « map to the stars » est une carte remise par le Syndicat d’initiative d’Hollywood aux touristes qui désirent admirer les baraques ultra sécurisées des stars qui y vivent, de Tom Cruise à Monica Belluci. Derrière l’une de ces façades très privées vit Havana, une actrice has been incarnée par Julianne Moore, qui tente de décrocher le rôle de sa défunte mère dans son autobiographie. Elle engage Agatha comme assistante. La jeune femme est la sœur pyromane de Benjie (Evan Bird, Chained, The Killing US), un ado-acteur qui sort de cure de désintoxication, qui revient chez les siens après une longue incarcération à l’hôpital pour faire amende honorable.

Au casting de Map to the stars, les performances se discutent. Dans un registre d’auto-dérision totale, Julianne Moore parvient à rendre attachante une actrice vieillissante, tyrannique et torturée. Ce qui n’est pas le cas de John Cusack, au visage impassible de bout en bout, qui joue un psy carriériste et vénal, sans la moindre nuance ni vraisemblance. Olivia Williams lui donne la réplique sans parvenir non plus à y croire vraiment. N’oublions pas non plus le nouvel « acteur fétiche » du Canadien, l’ex-suceur de sang Robert Pattinson qui, pour masquer sans doute la faiblesse de son jeu, s’est vu offrir un copier/coller de son rôle dans Cosmopolis : même costume, mêmes répliques et même manière de baiser la star du film. Sauf que ce chauffeur de stars et apprenti acteur n’apporte absolument rien au long-métrage. C’est le couple formé par Mia Wasikowska (The Double, Stoker) et Evan Bird (déjà impressionnant devant la caméra de la fille de David Lynch) qui donne du corps à l’histoire, en parvenant à créer un peu, juste un peu, de pureté dans cette fange égocentrique.

La face malsaine du rêve américain

Maps to the Stars : quand Cronenberg se prend pour Woody Allen

Tel un Woody Allen en mode trash, David Cronenberg passe au vitriol un Hollywood riche, cruel et sale, aux antipodes des clichés véhiculés par les pauvres bougres qui viennent rêver au pied des lettres blanches de la colline californienne. Comme le réalisateur de Minuit à Paris, il choisit des acteurs de haut vol dans un registre à contre-pied pour les inclure dans une farce sous les projecteurs. Hormis la pâte crue et morbide de Cronenberg, l’histoire ressemble à s’y méprendre une chronique de la bourgeoisie ordinaire, comme son collègue cinéaste new-yorkais a l’habitude d’en livrer chaque année.

Une provocation pas toujours justifiée

Maps to the Stars : quand Cronenberg se prend pour Woody Allen

L’emballage imaginé par le réalisateur canadien, lui, sent très mauvais. Dans le monde fortement symbolique dépeint par Cronenberg, chez des célébrités déconnectées de la réalité, la drogue se consomme très, très jeune, les actrices mettent souvent de côté la décence pour décrocher un rôle et les incestes se multiplient à tous les étages. Cronenberg se lâche, fustigeant un milieu qu’il connaît bien avec une haine farouche.

[quote_right] »Le spectre de la maladie mentale se répand aux autres personnages comme une affection contagieuse. »[/quote_right]Tout au long de ce film très bavard, il nous rabat les oreilles avec les vers de « Liberté » de Paul Eluard, qui parlait, en son temps, de la Résistance Française face à l’Occupation allemande. Rien à voir donc avec ce brûlot contre la libre circulation du Xanax dans les collines de Beverly Hills. Paradoxalement, le réalisateur réutilise un thème récurrent dans son cinéma, le pessimisme, tout en affirmant haut et fort sa liberté, une notion pourtant bien positive. Là où l’étendard de sa liberté artistique pourrait signifier un nouvel espoir, Cronenberg persiste dans son fatalisme insensé.

Un détour par l’HP

Maps to the Stars : quand Cronenberg se prend pour Woody Allen

Heureusement, Cronenberg reprend ce qui fait la force de ses films, à savoir ses vieilles obsessions pour la démence et l’angoisse. Maps to the Stars intègre également une dimension fantastique. Les personnages principaux, amateurs d’ectasie ou d’antidépresseurs, entretiennent des visions de fantômes de leurs passés respectifs, qu’ils combattent avec ces mêmes drogues. Le spectre de la maladie mentale, incarnée au départ par Havana, se répand aux autres personnages comme une infection contagieuse. L’apparition de la mystérieuse jeune femme, dont le maquillage effrité révèle peu à peu sa personnalité trouble, déclenche chez les autres protagonistes des réactions excessives, comme un fruit pourri au milieu de la corbeille. De la strangulation d’un enfant à l’hystérie totale et à la manipulation noire, en passant par le suicide violent ou encore par un état léthargique et la fascination extrême pour les célébrités, Cronenberg explore avec acuité les différentes strates de la folie.

Au final, cette société qui pourrit sous nos yeux s’éloigne de la réalité hollywoodienne. Maps to the Stars reprend l’effet « Lemming », qui ouvre la porte d’une communauté au Mal pour qu’il se nourrisse des vices et des névroses humaines, mais pas forcément celles des paillettes du cinéma américain. Loin de signer son meilleur film, Cronenberg parvient tout de même à trouver un certain équilibre entre narration et symbolisme, qui lui manquait cruellement ces dernières années. En progrès, David !


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Maps To The Stars
De David Cronenberg
2014 / Canada, France, Allemagne, États-Unis / 95 minutes
Avec Julianne Moore, Mia Wasikowska, Olivia Williams
Sortie le 21 mai 2014
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