The Lodge : ambiance glaciale au chalet
Les réalisateurs de Goodnight Mommy récidivent dans l’angoisse familiale avec The Lodge, suspense réfrigérant qui mise beaucoup sur son ambiance.
Six ans déjà se sont écoulés depuis Goodnight Mommy, film allemand couvert de prix qui a révélé le duo de réalisateurs autrichiens Veronika Franz et Severin Fiala. Un premier essai plein d’assurance et de maîtrise qui a sans aucun doute conditionné la mise en route de leur long-métrage suivant The Lodge, coproduction anglo-saxonne tournée en Québec qui laboure plus ou moins les mêmes champs thématiques. The Lodge se penche comme son prédécesseur sur trois personnages, deux enfants et une figure maternelle, engagés dans une forme de lutte psychologique exacerbée par l’environnement autour d’eux et des zones d’ombre pour le moins… problématiques.
Il faut dire que The Lodge entame les hostilités de manière particulièrement impressionnante et rigoureuse. Débutant, comme Hérédité (auquel il est difficile de ne pas penser) par les images troublantes de réalisme de l’intérieur d’une maison de poupée reproduisant le décor du chalet en titre, The Lodge narre la destruction d’une cellule familiale qui suit la dernière visite de Laura (Alicia Silverstone !) au domicile de son futur ex-mari Richard (Richard Armitage, loin du Hobbit), qui s’est mis en ménage avec une jeune femme fragile dénommée Grace (Riley Keough, Mad Max Fury Road, Under the silver lake). Ce prologue s’achève de façon brutale et traumatisante et c’est ensuite seulement que nous faisons la rencontre des enfants, Aidan (Jaeden Martell) et Mia (Lia Kugh), qui vivent très mal le drame qui s’est produit. Pour recoller les morceaux, Richard propose de passer les fêtes de Noël dans le chalet familial, isolé en forêt, avec leur belle-mère. Ce qui met dans une colère noire les deux rejetons, qui savent déjà que Grace est la seule rescapée d’une secte d’illuminés qui se sont tous donnés la mort…
Angoisse à infusion lente
Même si elle ne peut que désarçonner dans un paysage dominé par les productions calibrées du studio Blumhouse, l’approche du film de genre privilégiée par Franz et Fiala a à ce stade quelque chose de familier. Ari Aster, Jennifer Kent, Robert Eggers et même le méconnu Oz Perkins (dont on attend encore le Hansel et Gretel dans nos contrées) ont emprunté la voie du film d’horreur psychologique envisagé comme un puzzle mental, où il importe moins de faire sursauter que de laisser infuser une angoisse sourde, par le biais du montage, du paysage sonore, de performances d’acteur fouillées et de scripts laissant une forte place à l’interprétation. Cette méthode requiert une certaine patience de la part du spectateur, à qui tout n’est pas dit et surligné, et nécessite d’atteindre le bon équilibre dans l’écriture du script. Trop de lieux communs, et le résultat tiendra du film de petit malin. Trop d’éléments inexpliqués, et l’audience rejettera en bloc une histoire qu’il juge incompréhensible. De ce point de vue, The Lodge ne risque pas de vous laisser sur le carreau : confinée au bout de dix minutes dans un chalet hivernal, l’action va se concentrer sur les interactions entre la fameuse Grace et les deux enfants. La vidéo sur laquelle ces derniers tombent rapidement balaye vite les incertitudes : laisser seuls deux gamins avec une ex-membre de secte sous médicaments ne peut que déboucher sur une escalade dans l’angoisse.
« The Lodge s’avère remarquable dans la progression, une séquence étouffante après l’autre, dans l’effroi. »
C’est d’ailleurs ce qui coince dans The Lodge, qui s’avère pourtant remarquable dans la progression, une séquence étouffante après l’autre, dans l’effroi. Les décisions prises par le père, Richard, bien que bien intentionnées, sont invraisemblables. On devine que l’homme est un écrivain qui a rencontré Grace en travaillant un ouvrage sur les sectes. Mais comment peut-il penser que la réunir avec ses propres enfants quasi-orphelins, puis les laisser seuls avec elle peut être une bonne idée ? Si l’on passe outre ce notable défaut, The Lodge peut s’apprécier comme un très bon film d’angoisse, porté par la direction artistique imaginative de Sylvain Lemaître (l’architecture du chalet, et les visions de Grace, lorsqu’elle se lance dans un voyage sans espoir dans des paysages sauvages, sont particulièrement marquantes) et une actrice, Riley Keough, relevant avec aplomb le défi d’un rôle à deux visages sur lequel repose tout le poids narratif du film. Son jeu reflète le combat intérieur d’une femme qui se sait fragile et essaie désespérément de ne pas laisser les ténèbres l’envahir à nouveau. Et tout le suspense de The Lodge, qui s’achève de la manière la plus radicalement pessimiste qui soit, repose non pas sur l’arrivée d’un croquemitaine ou du surnaturel – quoique le film s’amuse beaucoup à jouer sur cette possibilité – mais sur l’issue de ce périlleux tumulte mental.