Des milliers d’articles, des centaines de livres, une bonne dizaine de documentaires (déjà sortis ou à venir), dont le remarqué Le mensonge Armstrong : il n’y a sans doute d’affaire sportive plus médiatisée dans la décennie passée que celle du dopage organisé qui entourait Lance Armstrong et son équipe de l’US Postal. Parce qu’il était le seul coureur cycliste à avoir gagné sept fois (consécutivement, en plus) le Tour de France, parce qu’il était un survivant du cancer en plus d’être un champion visiblement imbattable, parce qu’enfin il était Américain et incarnait sans détour sa part de rêve, Lance Armstrong a, jusqu’au bout ou presque, été un héros national. Un mythe indéboulonnable, mais qui s’effondra en direct dans le talk-show d’Oprah Winfrey. Tout comme Bill Clinton avant lui, Armstrong restera maintenant dans l’Histoire comme cette personnalité hors-norme ayant menti à plusieurs reprises face aux caméras en toute connaissance de cause.

[quote_center] »« De toute façon, tout le monde en prend » semble être sa justification personnelle. »[/quote_center]

Son destin fracassant, sa personnalité ombrageuse, forcément, ne pouvaient que devenir le sujet d’un film de fiction, un biopic à la trajectoire émotionnelle toute trouvée, telle une saga scorsesienne transposée dans le milieu du deux-roues. La question n’est pas tant de faire reposer The Program, premier film sur Armstrong à avoir franchi la ligne d’arrivée, sur le suspense autour d’un possible dopage (le titre est une note d’intention, et surtout, le scénario est tiré du livre explosif du journaliste David Walsh, qui a révélé une bonne partie des secrets de l’écurie US Postal), que sur la manière dont Armstrong s’y est pris pour berner les autorités sportives, pendant autant d’années. Étranger au genre sportif, Stephen Frears, que l’on avait laissé sur un émouvant Philomena, s’est attaqué au personnage avec l’envie d’en tirer une œuvre grisante, limpide dans son propos, mais surtout à charge contre son propre héros. Dans The Program, Armstrong est moins un survivant piégé par son ivresse de succès, qu’un impitoyable et pathétique sportif sans conscience, rongé par un complexe d’infériorité et dénué remord. Un vilain, plus qu’une victime, en somme.

La machine à gagner

The Program : l’épopée d’un tricheur

L’histoire de Lance Armstrong, tout le monde la connaît, en tout cas, dans les grandes lignes : celle d’un passionné de vélo, bosseur mais loin d’être exceptionnel dans les épreuves de montagne, entre autres. Frears décrit sans perdre trop de temps ces années 90 où le Texan mène sa carrière sans bruit, non sans prendre le temps, au détour d’une séquence, de montrer à quel point le coureur est déjà amené, à cette époque, à avoir recours à l’EPO ou aux stéroïdes pour rattraper son retard sur la piste. « De toute façon, tout le monde en prend » semble être sa justification personnelle. Car Armstrong est dévoré par le besoin de gagner, tout le temps. L’arrivée de son cancer des testicules, et de la chimiothérapie est vécue alors comme une injustice terrible.

Une fois guéri, Armstrong rend visite en Italie au sulfureux docteur Michele Ferrari. Ce personnage haut en couleur, pour qui les athlètes dopés de l’équipe Festina (comme le pauvre Richard Virenque), sont des « amateurs », a développé une méthode, un « programme » pour augmenter le niveau maximum de performance des coureurs, grâce à une EPO indétectable et des transfusions sanguines régulières. « Je ferais tout ce que vous voulez » assure un Lance transformé en prototype de machine à gagner. Dès lors, The Program montre comment le coureur, son entraîneur et ses coéquipiers s’organisent durant chaque Tour pour faire gagner Armstrong, qui enchaîne désormais les échappées en solitaire en pleine montagne sans fatiguer. Parmi le concert de louanges qui accompagne ses victoires (le film ressort notamment quelques inoubliables Unes comme « Le Tour de Lance »), une voix discordante s’élève malgré tout : celle du journaliste David Walsh, qui connaissait Armstrong depuis ses modestes débuts…

Requiem pour un con

The Program : l’épopée d’un tricheur

S’il est fait brièvement mention de son mariage, de ses origines texanes, The Program n’offre finalement que peu d’éclairages sur la véritable personnalité d’Armstrong. Bien sûr, l’homme se révèle à travers les épreuves qu’il endure, puis à sa manière de gérer le succès, en créant par exemple avec son agent Bill Stapleton la fondation LiveStrong contre le cancer, qui lui rapportera des millions et solidifiera sa réputation de coureur clean. Mais le film est tout entier dévoué à son comportement sur la piste, et à sa façon bien personnelle de gérer son dopage organisé comme une sorte de trafic parallèle, dont l’unique profit serait, année après année, ce satané maillot jaune qu’il refuse de quitter. Rien n’est plus révélateur, ni plus dérisoire, dans The Program, que la scène où le champion, à la retraite et millionnaire, annonce vouloir retourner sur le Tour, en continuant bien sûr de se doper. « J’ai encore faim », lance-t-il à côté de ses sept titres encadrés. Drogué à la victoire, Armstrong l’est aussi à la domination de son entourage. Frears le transforme ainsi à mi-parcours, en connaissance de cause, en véritable vilain grandiloquent, éructant ses ordres et ses insultes comme un parrain de la mafia attaqué par des rivaux colombiens. Tout comme il n’y avait pas de place pour le remords chez Armstrong, il n’y a pas de place pour la demi-mesure dans The Program.

Malgré la fascinante (car inexplicable) personnalité d’Armstrong, la partie consacrée à son inexorable chute, la plus connue finalement, demeure moins passionnante que les séquences montrant les coulisses des courses, ou le scepticisme grandissant de Walsh (l’excellent Chris O’Dowd, loin de IT Crowd), lassé de voir un sport qu’il aime remplacé par « un concours de chimie ». À force de vouloir embrasser tous les aspects de l’affaire – par exemple en incluant une sous-intrigue inintéressante sur l’attaque en justice d’un assureur joué par Dustin Hoffman, ou en reportant son attention sur le coéquipier mormon Floyd Landis, qui finira par le trahir -, Frears s’éparpille dans la dernière ligne droite, celle où l’issue est programmée d’avance. The Program, soutenu par sa reconstitution soignée, la performance de Ben Foster (sa ressemblance avec Armstrong, dans son profil, dans sa façon de pédaler et de s’exprimer, est bluffante), et celle, plus amusante de Guillaume Canet sous la perruque de Ferrari, a le mérite d’apporter sa pierre à un débat toujours d’actualité, au moins chez les fervents supporters de l’Américain. Était-il un champion dopé, mais champion quand même, ou un tricheur tout court ? Une chose est sûre en tout cas : on n’aurait pas aimé être dans son équipe.


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Trois sur cinq

The Program
De Stephen Frears
2015 / Angleterre – France / 103 minutes
Avec Ben Foster, Chris O’Dowd, Guillaume Canet
Sortie le 16 septembre 2015
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