Si elle n’est pas aussi connue qu’Agatha Christie, la romancière Patricia Highsmith a toutefois tapé très tôt dans l’œil du monde du cinéma, puisque son premier ouvrage, sorti en 1950, n’était autre que L’inconnu du Nord-Express, adapté avec le succès que l’on sait par Alfred Hitchock. Des dizaines de romans et de recueils de nouvelles suivront, dont une bonne partie consacrée au personnage, tout aussi célèbre, de Ripley. Roman plus confidentiel, The Two faces of january porte malgré tout la marque indéniable de son auteur : l’ombre de Plein Soleil et du Talentueux Mr Ripley plane ostensiblement sur cette série noire caractérisée par ses personnages contradictoires, dominés par leurs passions et rongés par la culpabilité, et ses décors ensoleillés, étrangers, paradis terrestres qui se referment comme autant de pièges sur des héros acculés par le destin.
Au début des années 60, à Athènes, le jeune Rydal (Oscar Isaac) rencontre près du Parthenon les très glamour MacFarland. Couple américain en vacances « prolongées », Chester (Viggo Mortensen) et sa femme Colette (Kirsten Dunst) semblent être une proie de première classe pour le gentil escroc qu’est Rydal. Américain lui aussi, ce polyglotte charmeur leur sert de guide touristique avec un certain zèle, fasciné autant par leur argent que par leur train de vie… et par le sourire de Colette. Quand Chester l’invite à dîner, Rydal ne peut qu’accepter. Ces moments légers prennent bientôt un tour plus sombre quand le sémillant expatrié se retrouve à aider Chester à transporter un homme apparemment ivre mort dans sa chambre d’hôtel. Ce qu’il ignore, c’est que l’homme est déjà mort, tué par accident par un Chester qui voit son passé d’escroc (car il en est un aussi, de bien plus grande envergure) le rattraper au-delà des frontières. Bon gré mal gré, Rydal doit suivre le couple dans sa cavale à travers le pays…
Trois personnages en quête de conscience
Le scénariste anglo-iranien Hossein Amini, à qui l’on doit les scripts de Frères du désert, Drive ou dernièrement 47 Ronin, n’a visiblement pas cherché à échapper au jeu des comparaisons avec ses prestigieux prédécesseurs : sa première réalisation adopte avec déférence des codes établis qui pourraient passer pour datés soixante ans après – comme la colossale consommation de cigarettes, qui ne semblent jamais devoir quitter les lèvres de Mortensen & co, même en pleine discussion. Tourné sur les lieux mêmes de l’action, en Grèce et à Istanbul (en particulier dans le cimetière d’Eyüp, près du café Pierre Loti) The Two Faces of January arbore un charme désuet qui ne fige heureusement pas le film dans une nostalgie de papier mâché. Amini démontre, en partie grâce à ses acteurs, une passion pour cette histoire sous tension qui permet de faire oublier cette impression de déjà-vu.
[quote_center] »L’ombre de Plein Soleil et du Talentueux Mr Ripley plane ostensiblement sur cette série noire caractérisée par ses personnages contradictoires. »[/quote_center]
Ainsi, plus qu’une histoire de triangle amoureux classique, c’est le poids des actes de chacun des trois personnages qui est au centre de l’histoire. Chester MacFarland, sous son apparence d’homme d’affaires et de vétéran de la Seconde Guerre mondiale, cache une personnalité masochiste et torturée par l’image de ce qu’il est devenu par amour pour l’argent. Il croit pouvoir justifier ses actes par l’amour qu’il porte à sa femme, mais cette illusion-là aussi est en train de s’effriter. Rydal, lui, est une figure en recherche de repère paternel, point lourdement souligné à plusieurs reprises : il est clair que son admiration mal placée pour Chester (à l’origine d’une réplique finale émouvante) et son amour naissant pour Colette lui font perdre tout jugement, jusqu’à un certain point. Colette, enfin, semble brutalement se réveiller d’un rêve de suffragette en se retrouvant plongée dans une cavale qui la dépasse et l’effraie. Quoi de plus normal, dans ces conditions, que la paranoïa, le mensonge et la violence s’immiscent dans leurs relations ? Le soleil écrasant de la Méditerranée semble alors devenir une chape de plomb les écrasant chaque minute un peu plus…
Duel sous le soleil
Sans affirmer d’emblée un style personnel et notable (le montage en particulier manque un peu de rythme pour sublimer certaines séquences clés), Amini, en bon dramaturge, ne peine toutefois pas une miette des sentiments qui étreignent son trio vedette, ballotté d’un paysage paradisiaque à l’autre sans ménagement. Mortensen, en particulier, dont l’anguleux visage a rarement été aussi précisément ausculté, tire le meilleur d’un rôle qui aurait pu échoir à Marlon Brando dans les années 60, grâce à une myriade de détails de diction, de grimaces et de regards en coin, qui traduisent parfaitement le bouillonnement intérieur d’un homme à la dérive. Oscar Isaac, fraîchement sorti du triomphe critique Inside Llewyn Davis, lui tient tête avec talent, incarnant un personnage opaque sur lequel le spectateur est amené à avoir le plus de préjugés, à tort. Seule Kirsten Dunst paraît un peu en retrait, trop effacée dans un rôle de femme fatale malgré elle qui demandait un peu plus de séduction agressive.
Leur pas de trois se suit en tout cas sans ennui, le suspense amenant mécaniquement le public à frissonner et retenir son souffle pour des protagonistes certes poursuivis par leur mauvaise conscience, mais fautifs tout de même dans les grandes largeurs. Dans la grande tradition du film noir, The Two faces of january se terminera ainsi par une poursuite nocturne au cœur du Bazar égyptien d’Istanbul, l’occasion pour Amini et son chef op’ Marcel Zyskind de souligner les ambitions (et les références) esthétiques de leur projet, avec talent, mais, là aussi, sans chichis. Le classicisme a aussi son charme, quand il se pare de ses plus beaux atours…
[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
The Two faces of january
De Hossein Amini
2014 / USA-France-Royaume-Uni / 96 minutes
Avec Viggo Mortensen, Oscar Isaac, Kirsten Dunst
Sortie le 18 juin 2014
[/styled_box]