L’idée de réunir les deux légendes du cinéma américain que sont Sylvester Stallone et Robert de Niro ne date pas d’hier. De fait, les deux acteurs avaient déjà partagé quelques scènes en 1997 dans le polar Copland, dans de purs rôles de composition. La perspective de les voir incarner des boxeurs dans le même film paraissait par contre aussi inédite qu’excitante, le noble art ayant donné à ces deux immenses stars l’un de leurs meilleurs rôles respectifs : Rocky Balboa pour l’un, Jake La Motta pour l’autre. Et nous voilà donc, en 2014, face à ce Match retour, improbable rencontre sur le ring entre deux quasi-septuagénaires qui, c’est le côté futé du film, regrettent de ne pas avoir pu savoir qui était le meilleur d’entre eux durant leur âge d’or (situé logiquement dans les années 80).

[quote_left] »À ce tarif-là, le Sly de John Rambo aurait mieux fait de prendre lui-même les commandes du projet. »[/quote_left]Dans cette rencontre au sommet entre deux monstres sacrés plus qu’entre deux personnages, l’histoire de ces derniers importe finalement peu : Sly et De Niro sont là pour reprendre un numéro huilé, celui du gros ours au cœur tendre pour le premier, et du ronchon acariâtre pour le deuxième. Le film ne lésine ainsi pas sur les références à leur passé de boxeur fictionnel, avec des portraits et images d’archives issus des Rocky et de Raging Bull glissés à intervalles réguliers dans le plan, ainsi que sur le côté fantasmatique de leur affrontement, via une séquence d’ouverture où les deux acteurs (plus Jon Bernthal, appelé pour doubler De Niro) ont été rajeunis numériquement pour les besoins d’un reportage d’archives nous ramenant en 1982. Une séquence à l’image du film tout entier : l’idée tient du plaisir coupable sur le papier, mais l’exécution est aussi hideuse visuellement (Stallone ressemble littéralement à un veau malade) que poussive narrativement. En guise de chant du cygne sportif, Match Retour ressemble surtout à une sinistre opération marketing déguisée en long-métrage, à l’humour sinistre et à la réalisation pataude.

Rocky Balboa reloaded

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Pourtant, l’espace de quelques échanges bien sentis, on se prend parfois à espérer un divertissement honnête : comme un vieux couple qui ne se réanimerait qu’en présence de l’autre, Razor Sharp (Stallone, honnête) et Billy « Kid » McDonnen (De Niro, qui a l’air de s’éclater comme un gamin) ne peuvent se supporter, depuis que le premier a refusé, voilà trente ans, de disputer une troisième rencontre avec le deuxième, sans raison apparente. Sharp et Kid sont donc restés sur un match nul, et ont perdu à la fois la gloire, l’argent qui va avec, et l’amour de Sally (Kim Basinger, en opération repêchage), avec laquelle ils ont eu chacun une aventure. Les scénaristes ayant sans doute revu récemment Rocky Balboa, sixième et dernier opus en date de la saga, ils décident de plaquer sur ce pitch un scénario que l’on pourrait qualifier de plagiat : la sortie d’un jeu vidéo assortie d’un buzz viral donne l’idée à un promoteur (le très, TRÈS irritant Kevin Hart, qui gagne la palme du pire sidekick black depuis Chris Tucker), de rassembler ces deux légendes sur le ring. Comme dans la saga de Stallone, un fils longtemps ignoré, B.J. (Jon Bernthal, l’un des rares acteurs du casting à tirer son épingle du jeu) va se mêler à l’histoire et à l’entraînement des deux vieilles badernes, qui vont mettre 90 bonnes minutes à parvenir jusqu’à l’incontournable « montage musical » précédant leur combat.

Le plus gênant dans Match Retour, n’est pas de contempler les plus tout jeunes De Niro (loin d’être aussi habitué que son ami aux tournages physiques) et Stallone (qui a spectaculairement maigri entre deux Expendables, donnant parfois l’impression d’avoir des muscles « crevés » ici et là) en short sur un ring, alors qu’ils approchent presque les 70 ans. Le réalisme n’est pas de mise ici et à la limite, tant mieux : c’est toujours plus drôle à voir qu’une doublure numérique façon Tron : l’héritage au regard d’anguille morte. Ni de voir les deux acteurs cligner péniblement de l’œil à leurs personnages respectifs : Razor fait mine de taper dans un quartier de viande avant que son entraineur, Louis (Alan Arkin, en mode automatique) ne lui dise « Mais t’es fou ? Pas besoin de taper dans tout ce qui bouge ! » ; Kid, lui, possède un restaurant où il joue les comiques de stand-up minables, un peu comme… Jake La Motta.

La boxe du cadreur ivre

Match retour : les zéros du ring

Non, le plus embarrassant dans cette production qui entasse des sous-intrigues épuisées pour faire patienter le spectateur jusqu’au match, c’est de constater à quel point la présence d’un fonctionnaire du 7e art derrière la caméra peut saborder tous les efforts d’un casting pas honteux, et la patience d’un spectateur qu’on prend ouvertement pour un demeuré. Pas qu’on s’attendait à ce que Peter Segal, le pantouflard auteur de choses aussi immortelles que Self Control, La famille foldingue ou Max la Menace, fasse tout d’un coup des miracles. Mais au moins aurait-il pu prendre soin de cadrer ses champs contre-champs correctement, et de donner un semblant de rythme à ses gags débités avec la conviction d’une voix off de NRJ12 : malgré l’emploi du format cinémascope, la quasi-totalité des plans rabotent le haut de la tête des acteurs, quand ce n’est pas carrément la moitié du visage qui disparaît. La caméra semble parfois juste posée là pour enregistrer les pitreries du clone d’Eddie Murphy ou la dixième grimace de De Niro, sans qu’un seul effet de montage, un seul enchaînement inspiré ne rehausse le tout. Segal semble même incapable de monter autrement qu’avec les pieds quelque chose d’aussi simple qu’une balade romantique entre Stallone et Kim Basinger.

À ce tarif-là, le Sly de John Rambo aurait mieux fait de prendre lui-même les commandes du projet. L’expérience incomparable que l’acteur-réalisateur a dans le domaine de la boxe aurait pu permettre à Match Retour de proposer au moins un spectacle digne de ce nom, à l’image du combat final, qui suit docilement la formule des Rocky (deux rounds en temps réel, puis un montage musical jusqu’au dernier round qui se déroule au ralenti) mais ne fait que réanimer temporairement un film en état de mort cérébrale. Certes, les ambitions d’une comédie sportive comme celle-ci sont forcément limitées : mais lorsqu’on compte uniquement deux ou trois répliques drôles dans un film de 120 minutes cadré par un aveugle, il y a tout de même de quoi avoir envie de mettre un crochet du droit aux responsables du désastre.


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Un sur cinq
Match Retour (Grudge Match)
De Peter Segal
USA / 2014 / 114 minutes
Avec Sylvester Stallone, Robert de Niro, Kim Basinger
Sortie le 22 janvier 2014
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