Une offrande à la tempête : fin d’une trilogie noire et pluvieuse
Opus final de la « trilogie du Baztan », Une offrande à la tempête boucle une saga de polars basques prenants, mais qui auraient gagné à adopter le format sériel.
Depuis le succès international de La Isla Minima au milieu des années 2010, on ne compte plus les polars qui nous viennent d’Espagne. Pas un mois ne semble-t-il ne passe sans qu’un nouveau thriller ne traverse les Pyrénées pour nous parvenir, le plus souvent via Netflix. Dans le cas d’Une offrande à la tempête, ce n’est même plus d’un film dont il s’agit, mais d’une saga. Ce long-métrage vient en effet conclure officiellement – et exclusivement sur la plateforme, Covid oblige – la trilogie du Baztan, adaptée des romans éponymes de Dolores Redondo, inaugurée en 2017 avec Le Gardien Invisible.
Un climat mystique
Le Baztan, pour faire court, c’est la région du Pays basque dans laquelle se déroule l’action de ces trois polars feuilletonnants. Une contrée montagneuse où les villages pittoresques et les forêts impénétrables forment un terreau idéal pour le mysticisme et les secrets de famille. Un cadre étonnant, visuellement riche, qui est la grande force de cet univers aux ficelles par ailleurs familières. Dans Le gardien invisible, nous faisons la connaissance de l’héroïne de la saga, l’inspectrice Amaia Salazar (excellente Marta Etura, notamment croisée dans Malveillance), fraîchement revenue des USA où elle s’est formée aux techniques de la police scientifique avec le FBI. Basée à Pampelune, elle va devoir enquêter dans son village d’Elizondo, en Navarre, alors que les disparitions de jeunes adolescentes, retrouvées nues et mortes en forêt, se multiplient. Elle retrouve sur place sa famille, que l’on va apprendre à connaître : sa chère et adorable tante, et ses deux grandes soeurs dont l’une, acariâtre, a repris la biscuiterie familiale. Prenant la tête d’une brigade spéciale, Amaia remonte le fil des crimes et fait remonter à la surface les souvenirs d’une enfance traumatisante…
« L’originalité de la trilogie vient de sa structure en flash-backs dévoilant un personnage d’ogre maternel aussi terrifiant qu’impitoyable. »
L’originalité de la trilogie vient en effet de sa structure en flash-backs dévoilant, dans Le gardien invisible puis sa suite De chair et d’os, sortie en 2020, un personnage d’ogre maternel aussi terrifiant qu’impitoyable : la propre mère d’Amaia, une psychopathe qui a juré sa perte et dont on comprend, petit à petit, qu’elle est en fait une véritable sorcière, dont les pratiques occultes n’auraient pas dépareillé dans le patelin de Zugarramurdi cher à Alex de la Iglesia. Sa présence plane sur Le gardien invisible, où elle ne constitue pas encore la menace principale (on est alors dans un véritable polar traditionnel, avec série de crime et coupable dévoilé dans les dernières minutes), mais elle prend le devant de la scène dans De chair et d’os. Amaia et son équipe y enquêtent sur une série de suicides étranges et sur une caverne remplie d’ossements : les deux affaires sont évidemment liées, et après avoir effleuré le surnaturel avec la figure du Basajaun (le « gardien invisible », sorte de Yéti local), ce deuxième opus y plonge de manière plus évidente. On y prédit le destin dans les cartes, l’Église vient mettre son grain de sel dans l’histoire, l’inexplicable devient l’évidence, et la ville d’Elizondo est en proie à une inondation dantesque qui semble commanditée par une force supérieure.
Conclure, c’est le plus dur
Bref, quand Une offrande à la tempête, le plus long épisode de la trilogie (2h20, et ça se ressent), commence, les pièces sont déjà toutes posées pour un final grandiloquent. Et en fait… pas tant que ça. Ce dernier volet ne nous fait pas oublier que derrière son folklore local (une autre figure païenne invisible est ici invoquée, en l’occurrence le démon Ingamu), son atmosphère tellement pluvieuse qu’on se demande si on ne nage pas en pleine préquelle de Waterworld, malgré le personnage « lecterien » de cette mère flippante sortie d’un conte dégénéré, les histoires de Dolores Redondo sont aussi attendues que les téléfilms policiers du samedi soir sur France 3. Les moyens ici déployés ne sont bien sûr pas les mêmes, et ce n’est pas demain qu’on croisera sur la chaîne une enquête sur des bébés dévorés à la chaîne (si señor). Mais Une offrande à la tempête, plus encore que les films qui le précèdent, est un film qui prend gentiment son temps pour enchaîner ses rebondissements, que l’on voit arriver vingt bonnes minutes à l’avance (ou même un film et demi, en ce qui concerne un personnage en particulier).
C’est une conclusion, donc une histoire qui doit boucler toutes les histoires, et Fernando Gonzalez Molina a du mal à trouver l’équilibre entre tension et explications sur l’ensemble des 140 minutes. Amaia, devenue maman un film auparavant, doit y gérer sa relation chancelante avec son mari anglo-saxon (dont la gentillesse le rend assez inintéressant), en finir avec sa génitrice portée disparue dans De chair et d’os, mettre à jour les agissements d’une secte, se méfier d’un juge insistant et amoureux, renouer les liens avec sa soeur… Cela fait beaucoup d’intrigues et sous-intrigues, et malgré les bonnes intentions du casting, uniformément attachant, le temps finit par paraître long dans cette Offrande pas très tempétueuse. Avec six heures de métrage au compteur, il est permis lorsque les dernières averses tombent sur cette conclusion de penser à ce qu’aurait pu donner cette luxueuse adaptation si elle avait été envisagée comme une grande et longue série. Le tempo aurait peut-être été plus alerte, et les ressorts de l’enquête, souvent confuse, sur laquelle Amaia et ses collègues travaillent dans le dernier film, auraient été sans doute mieux maîtrisés. Quoiqu’on en pense, on ne saurait que trop vous conseiller de regarder la saga du Baztan d’une seule traite et l’œil ouvert, pour ne pas finir perdu au milieu de cette impénétrable et cinégénique Navarre.
Une très belle trilogie.