Il aura fallu plus de quatre ans au réalisateur argentin Juan Diego Solanas pour que son deuxième et ambitieux long-métrage voit enfin le jour. Co-production franco-canadienne, Upside Down intrigue par la seule force de son concept : celui d’un monde à double gravité, évoluant l’un en-dessous de l’autre. Non, nous ne sommes pas dans la Matrice, mais dans une planète irréelle (et plate, semble-t-il, sinon il n’y aurait jamais de soleil vu que le ciel est un peu… couvert), un univers de fable propice à une histoire d’amour. [quote_left] »C’est quand Solanas laisse de côté son monde binaire et fascinant qu’Upside Down devient exaspérant ».[/quote_left]Comme dans un beau récit pour s’endormir le soir, un narrateur (Jim Sturgess, qui a l’air d’avoir enregistré sa voix après avoir ingurgité pas mal d’ecsta) nous explique sur fond de nuit étoilée les règles qui régissent deux mondes s’opposant en tout. Dans Upside Down, les gens de la ville d’en haut sont littéralement, les riches qui ont tout (électricité, boulot, belles maisons), alors que ceux de la ville d’en bas, en plus d’avoir vécu l’explosion d’une énorme usine qui a transformé les environs en réplique de Stalingrad, n’ont rien à part des vélos. C’est un peu Metropolis pour la génération Taylor Swift, avec des symboles bien clairs pour qu’on comprenne qu’Adam (Sturgess), notre héros pur et amoureux, est un outsider qui va devoir batailler pour gagner le cœur d’Eden (Kirsten Dunst), qui of course est une habitante du monde d’en haut.

Attraction des pôles

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Pour faire croire à la réalité physique de ce monde fantasmé, Solanas a longuement travaillé avec son production designer Alex McDowell (déjà « responsable » de plusieurs mondes SF particulièrement détaillés dont Watchmen et Minority Report)  au développement de décors-clés, qui sont autant d’images fortes et mémorables d’Upside Down. Il y a d’abord ces deux montagnes inversées dont les pics se touchent presque et qui permettent à nos deux amoureux tête-en-l’air de se rencontrer durant leur enfance. Il y a aussi cette tour sans toit faisant la jointure entre les deux villes, à l’intérieur duquel on trouve un open space cauchemardesque où vos collègues ne sont pas seulement autour de vous, mais au-dessus aussi ! À chaque fois que Solanas réunit ces deux pôles dans un même cadre, inversant les têtes des acteurs à l’occasion, le film fait mouche : aussi ludique qu’absurde, l’idée semble sortie d’un rêve fiévreux de Terry Gilliam, et amène avec elle une panoplie de contraintes et de règles qui sont autant d’obstacles à surmonter pour le débrouillard Adam – qui comme par hasard, travaille justement à la création d’un produit pouvant inverser la gravité des objets. Et qu’importe si ce monde fictif comporte son lot d’incohérences physiques (malgré le fait qu’il parvienne à « marcher au plafond », Adam n’a par exemple jamais le sang qui lui monte à la tête) : on a envie de croire à l’impossibilité de cette « planète » où l’on peut plonger dans l’eau et tomber du ciel pour y retomber de l’autre côté. Ça pourrait faire une superbe base pour un album concept de Pink Floyd.

 

C’est quand Solanas laisse de côté son monde binaire et fascinant qu’Upside Down devient exaspérant. On l’a dit, le film est avant tout une histoire d’amour tout ce qu’il y a de plus classique, jusqu’au nom de ses tourtereaux. Solanas ne recule devant rien pour jouer la carte du sirupeux attendrissant. Il faut entendre Adam déclamer en voix off « Et si l’amour était plus fort que la gravité ? », ou la blonde Eden mettre tout d’un coup de côté son amnésie-qui-l’avait-fait-oublier-Adam pour saisir toute la dimension un peu mièvre et prévisible du film, pâtissant en plus d’une BO pop-folk écœurante à souhait. Tout cela aurait été cent fois plus prenant si l’accent avait été mis sur ces visions aliénantes d’une société étalant sa richesse et ses lumières comme un nuage perpétuel au-dessus d’une autre en perte de repères et de ressources (métaphore assez judicieuse de notre propre planète, finalement).

C’est le monde à l’envers

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Si au moins ces Roméo et Juliette de l’impossible faisaient des étincelles à l’écran ! Mais l’alchimie entre les deux vedettes paraît inexistante : Kirsten Dunst, malgré le fait qu’elle rentre dans l’histoire comme l’actrice qui aura embrassé deux fois un garçon ayant la tête à l’envers, traverse l’histoire comme une somnambule. Avec son air de chien battu et son sourire forcé, Sturgess est à peine plus convaincant (et encore, on ne (re)parle pas de sa voix off).

 

Upside Down est enfin connu pour avoir eu de nombreux problèmes de post-production, entre une conversion 3D envisagée puis abandonnée, une sortie précipitée et exclusive… en Russie, et les rumeurs de remontages sauvages, qui pourraient expliquer les nombreuses ellipses et raccourcis narratifs, ainsi que certains plans d’effets spéciaux carrément bancals. Des aléas qui n’excusent pas  malgré tout le flou artistique d’une image manifestement très retouchée à la palette graphique, et gorgée en conséquences de blancs brûlés et de couleurs baveuse. Un peu dommage vu l’ambition visuelle d’un projet tenant manifestement très à cœur de son réalisateur-scénariste.

 


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Upside Down, de Juan Diego Solanas
2012 / Canada-France / 100 minutes
Avec Jim Sturgess, Kirsten Dunst, Timothy Spall
Sorti le 1er mai
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