Vampires en toute intimité : les crocs du rire
Parodie drolatique et maligne, Vampires en toute intimité gagne à être vu dans sa version originale néo-zélandaise, aussi azimutée qu’irrésistible !
Voilà bientôt deux ans que Vampires en toute intimité, plus connu sous son titre international What we do in the shadows, parcourt le monde et les festivals. Comme son nom ne l’indique pas forcément, il s’agit d’une production néo-zélandaise, pays prolifique et précieux en matière de comédie horrifique depuis le jalon Bad Taste de Peter Jackson. Aux manettes de ce qui s’apparente de loin à une parodie de found footage (mais ça n’est pas ça du tout) se trouve le duo de joyeux Kiwis Jemaine Clement et Taika Waititi, auteurs, co-réalisateurs et interprètes principaux, que l’on connaît surtout – timidement – dans l’Hexagone pour leur travail sur la série Flight of the Conchords.
Pourquoi entamer cette critique avec une litanie d’infos aussi basiques ? Pour vous rappeler que, malgré la promotion mise en branle autour du film à l’occasion de sa sortie en e-Cinema, Vampires en toute intimité n’est pas un sous-produit exotique « revisité » par le duo Nicolas & Bruno (par ailleurs très estimés auteurs des Messages à caractère informatif et du trop peu vu La personne aux deux personnes) à l’aide d’un casting vocal digne d’un dessin animé de Noël. Offrir une visibilité, tardive mais réelle, au film est louable. Mais dénaturer l’un des gros plaisirs qu’il procure (le jeu maniéré et hilarant des acteurs, en l’occurrence) en insistant sur le caractère original – tout relatif – d’un doublage français est un peu dommage. What we do in the shadows, dans son genre, est une perle de drôlerie qu’il convient de déguster dans sa version originale.
Vis ma vie de suceur de sang
Voilà pour la mise au point ! Mais au fait, de quoi parle ce fameux Vampires… ? Imaginez un instant : vous êtes un suceur de sang, vieux de plusieurs siècles – mais jeune dans votre tête -, confronté aux dures réalités de la vie nocturne au bout du monde, c’est-à-dire Wellington (et non pas Limoges, c’est un gag de la VF problématique vu les sous-intrigues d’ordre géographique présentes dans le scénario). Clement et Waiti ont imaginé qu’une équipe de documentaristes avait obtenu de pouvoir suivre dans leur vie quotidienne quelques-uns de ces noctambules : Viago (Waititi), le dandy un peu benêt, l’excentrique Deacon (Jonny Brugh), et Vladislav (Clement), ex-empaleur caractériel mais jovial. Le trio vit en colocation comme le ferait un jeune étudiant : payer le loyer, faire la vaisselle, le ménage, autant d’occupations ingrates qui occasionnent quelques prises de bec, et que chacun juge indigne de son statut de créature de la nuit. L’autre problème consiste aussi à « gérer » Petyr, un simili-Nosferatu moins sociable que ses pairs (il a fêté son premier millénaire), ainsi que les rencontres inopinées avec les gangs de loups-garous ou les chasseurs de vampires. La vie de centenaire n’est décidément pas de tout repos…
« Une perle de drôlerie qu’il convient de déguster dans sa version originale. «
Surréaliste au possible tout en usant d’arguments narratifs familiers, Vampires en toute intimité adopte dès ses premiers gags un rythme irrésistible, qui trouve sa richesse dans son humour pince-sans-rire tout comme dans l’exploitation maligne d’une mythologie que ses auteurs – et le public – connaissent sur le bout des doigts. Avec son visage de grand naïf romantique, son accent outré, ses costumes dépassés, Viago est un guide idéal, dont l’attitude plus « raisonnable » fournit un contrepoint aux pitreries de ses compères. Comme dans toute bonne comédie, le décalage naît du contraste entre l’idée que nos héros se font de leur condition (ils sont immortels, ils volent, ils peuvent réduire des humains en esclavage et séduire tout ce qui bouge) et la réalité piteuse de leur condition : ils se font traiter de « pédés » dans la rue, il est impossible de rentrer en boîte puisqu’ils n’y sont pas invités, ils n’arrivent pas à tuer leurs victimes sans tâcher leur chambre… Plutôt que de se borner à citer des clichés du genre pour leur faire de lourd clins d’œil, Clement et Waititi leur injectent du sang neuf, adaptant chacun d’entre eux à un environnement et une situation donnée, sans que jamais ou presque l’exercice ne paraisse forcé. L’apparition répétée des loups-garous par exemple est source de tant de moments hilarants que le duo a souvent annoncé vouloir leur consacrer une séquelle !
Un timining comique démoniaque
Les auteurs de Vampires en toute intimité ont longtemps répété en interview que l’essentiel des scènes étaient improvisées par les acteurs, ce qui peut paraître difficile à croire, tant le montage final paraît dépourvu de longueurs ou de gags dispensables (et encore, il faut aussi compter avec les effets spéciaux, basiques mais très nombreux pour un film à petit budget). De même, le timing comique de beaucoup de séquences (la visite à la cave pour réveiller Petyr – meilleur gag vampiresque de la décennie -, les concours d’injures dans le parc…) est presque trop beau pour être du au hasard.
C’est que, malgré son cachet « caméra portée » et son prétexte de « documenteur » renvoyant à C’est arrivé près de chez vous ou mieux encore à Spinal Tap (une référence revendiquée par les deux hommes), Vampires en toute intimité est loin d’être laid ou anonyme visuellement – l’un des défauts du très similaire Vampires, cousin belge dégainé avant que les néo-zélandais n’aient eu le temps de trouver des financements. Il se dégage notamment une certaine poésie des séquences où Viago regrette son amour perdu – un ingrédient qui sera in fine lui aussi source de rires malgré tout. L’identité visuelle du film participe ainsi aussi de sa réussite, même s’il est certain que vous passerez plus de temps à vous gondoler devant les mésaventures drolatiques de la bande de Wellington qu’à en observer les décors !