L’auteur et scénariste Samuel Benchetrit, passé à la réalisation avec la comédie Janis et John et le déconcertant J’ai toujours rêvé d’être un gangster, propose un film qui malgré un tournage rapide est resté longtemps en postproduction. Un Voyage aborde en effet, frontalement, des thèmes difficiles qui se heurtaient à la vie personnelle du réalisateur. Huit mois après le tournage et la dépression de son metteur en scène, Un Voyage sort enfin sur nos écrans, entièrement remanié pour ne plus faire de concessions. Le résultat final s’adresse à un public averti. Avertir le public, c’est bien ce que, attention spoilers, Born to Watch s’apprête à faire.
La jeune femme et la mort
[quote_right] »De nombreux quadragénaires se retrouveront peut-être dans les petites folies libératrices du couple. »[/quote_right]Premier volet d’une trilogie consacrée à la femme d’aujourd’hui, Un Voyage démontre que la femme n’a pas la même approche que l’homme de la fin de la vie. Mona, interprétée par l’ex-femme et muse de Benchetrit, Anna Mouglalis, et Daniel, l’incarnation du réalisateur à l’écran, joué par Yann Goven (Un Village français) forment un couple presque ordinaire. Un vendredi matin, ils déposent leur adorable petit garçon à l’école en lui annonçant qu’ils partent en weekend en amoureux à l’étranger.
Ni la bande-annonce, ni le synopsis ne révèlent le véritable objectif de ce « voyage », que même le titre du film ne veut définir. En laissant planer le mystère, le spectateur peut se tromper sur les véritables intentions de ce film. Mais comme il le découvrira bien vite, au bout du voyage, il y a la mort. En décrivant ses circonstances tragiques avec précision et réalisme, Samuel Benchetrit a souhaité démontrer à quel point les thématiques de l’amour et celle de la mort restent intimement liées. Au fond, sa vérité réside dans une question : « que feriez-vous s’il ne vous restait que deux jours à vivre » ?
Image et ton en phase avec notre époque
Partant du constat cruel et inébranlable de la fatalité de la mort dans la fleur de l’âge, laissant seul un petit garçon, le scénario va lentement, patiemment, découper le temps en fines parcelles de vie, dans lesquelles les deux amants s’engouffreront à chaque instant. La menace indicible, froide et permanente est traitée ici d’une manière poétique et douce. De nombreux quadragénaires se retrouveront peut-être dans les petites folies libératrices du couple dignes d’un enfant de cinq ans (faire de la randonnée en talons hauts, aller se baigner avec une lampe, porter une chemise hawaïenne en Suisse, etc.), qui témoigne du besoin de liberté de toute une génération.
Pierre Aïm, multinominé aux Césars, élabore une direction photo marquée par un soin minutieux. La caméra du film n’est autre que l’œil de Benchetrit lui-même, qui se projette, nous l’avons mentionné, dans son acteur principal. Elle tremble lorsqu’il pleure, elle marche et bouge quand il évolue dans un environnement qui ne lui sied pas vraiment, elle devient floue lorsque les larmes lui montent aux yeux. Conjugué à des décors de station de montagne rustique, aux contours dessinés de manière cristalline et à une musique planante, Un Voyage parvient grâce à ces aspects artistiques particulièrement réussis, à faire monter petit à petit l’émotion.
Le rôle d’une vie ?
Avec des dialogues particulièrement théâtraux poussant la porte du monologue par instant, les deux acteurs réussissent à faire naître l’émotion et une alchimie qui se passe presque de mots, entre leurs personnages. Anna Mouglalis relève un défi difficile en endossant un rôle dont le destin est insoutenable. Entre tristesse et folie, elle transpose l’indicible avec une efficacité redoutable. Tantôt mystérieuse, tantôt spirituelle, tantôt apeurée, elle jongle entre les registres avec une grande douceur. Un Voyage s’en va pour ne jamais sortir des mémoires. Comme si ces personnages avaient véritablement existé, ils continuent à vivre à travers nous et nous hanter encore et encore.
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Un voyage
De Samuel Benchetrit
France / 2014 / 87 minutes
Anna Mouglalis, Yann Goven, Céline Sallette
Sortie le 23 avril 2014
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Finalement c’est une bonne note! Je n’aurais pas dit mieux 😉
En tout cas les films de Bechetrit ne nous amène jamais là où l’on croyait aller… Et cela peut d’ailleurs être une bonne occasion pour découvrir ou redécouvrir ses précédents films, drôles, grinçants et poétiques.