C’est peu dire qu’au Japon, l’histoire des 47 ronin (terme qui désignait pour info les samouraïs sans maître) fait partie intégrante du patrimoine national. Un jour férié est même dédié au souvenir de ces guerriers qui plaçaient le code du Bushido plus haut que tout, et avaient fait le serment de venger leur ancien maître, même si cela devait leur coûter la vie. Depuis, poètes, écrivains, metteurs en scène et cinéastes n’ont cessé de raconter leur légende, apportant à chaque nouvelle version leur propre interprétation des « faits », qui se sont déroulés au début du XVIIIe siècle. Nous ne comptons plus les films qui traitent de l’histoire des ronin, celle de 1994, emmenée par le castagneur Ken Takakura, étant sans doute la plus fameuse sous nos latitudes.
Toutefois, peu d’interprétations se sont avérées si fantaisistes que celle qu’a imaginé Chris Morgan, le scénariste des Fast & Furious, et qui a servi de base au blockbuster produit par Universal : une superproduction à 175 millions de dollars, tournée avec la star Keanu Reeves, parachuté au milieu d’un casting intégralement japonais, à la manière du Dernier Samouraï. Dans 47 Ronin, comme par exemple dans les 300, l’histoire est revisitée sous un angle « dark fantasy » : le Japon y est décrit dès le générique comme une contrée de magie et de mystères, inspirée entre autres des films d’animation de Miyazaki (Princesse Mononoke) et Kawajiri (Ninja Scroll) où l’on croise autant de samouraïs que de dragons et de sorcières. Et les montagnes y sont aussi nombreuses et éternelles que dans l’Himalaya. Cette licence fantaisiste est un parti-pris comme un autre, qu’il faut accepter d’emblée sous peine de hausser les sourcils toutes les deux minutes.
Le samouraï venu d’Hawaï
[quote_right] »47 Ronin arrive sur nos écrans précédé d’une réputation peu enviable de bide historique. »[/quote_right]La première énorme entorse à la légende vient du personnage de Kaï, un sang-mêlé aux origines mystérieuses qui grandit auprès du seigneur Asano, et de sa fille Mika (Ko Shibasaki). Pure invention, ce héros aux traits occidentaux, qui détonne dans le décor du Japon féodal, est évidemment incarné par Keanu Reeves, qui confond toujours jeu introspectif et regards dans le vide. Barbe indécise, mono-expression inamovible, notre Johnny Utah favori s’intègre tant bien que mal à une histoire qui fait en grande partie de lui un deus ex machina, un sidekick presque extérieur au drame qui se joue. Car, malgré les capacités quasi surnaturelles de Kaï, qu’il réprime dans un premier temps, c’est bien du sort du chef des samouraïs, Oishi, qu’il s’agit avant tout.
Au terme d’un looong prologue qui présente de manière très caricaturale l’ensemble des protagonistes, réunis pour la visite du Shogun (cette bonne vieille trogne de série B Cary-Hiroyuki Tagawa), Oishi et ses hommes sont réduits au statut de ronin : il leur est interdit de venger la mort de leur maître, forcé au hara-kiri par un chef de clan rival, Kira (Tadanobu Asano, transparent). Avec l’aide de Kai, les 47 sabreurs échafaudent un plan pour renverser Kira, même s’ils savent que cet acte de rébellion les mènera à la mort…
Star parmi les ronins
47 Ronin arrive sur nos écrans précédé d’une réputation peu enviable de bide historique : même au Japon, marché le plus courtisé pour garantir le succès d’un film puisant dans son imaginaire, le film s’est rapidement effondré. Avec le recul, il apparaît que l’idée même de remettre au goût du jour cette histoire séculaire, avec un très gros budget autorisant la création d’un univers fantastique japanisant et chatoyant, était suicidaire. Keanu Reeves est l’acteur grâce auquel le projet a pu au départ décoller, mais il est aussi celui qui explique, en partie, le déséquilibre flagrant du scénario, remanié plusieurs fois pour rendre son personnage plus proactif. Soyons clairs : rien n’y fait, pas même les épées luisantes qu’il manie avec aisance (source d’un des rares gags visuels du film, simple et efficace), ou ses pouvoirs « super-héroïques ». Kai, malgré le mystère qui plane sur ses origines, source d’une des scènes les plus réussies du film, ne ressemble jamais à autre chose qu’une pièce rapportée, palissant face au charisme buriné de Hiroyuki Sanada.
La star des Ring, visage nippon le plus connu à Hollywood (on l’a vu dans Speed Racer, Lost et dernièrement Wolverine), n’a aucun mal à éclipser son partenaire dans la peau d’Oishi. C’est sur son visage, où l’on peut lire les dilemmes et la rage qui s’agitent chez Oishi, que se situe le cœur dramaturgique de 47 Ronin. Sanada est tellement habité par la noblesse héroïque de son rôle qu’il domine même le reste du cast. Pas difficile, tant la majorité de ceux-ci sont réduits au statut de figurant, voire de doublure cascade. Le trio de méchants mené par Kira, en particulier, s’avère véritablement pathétique, avec son colosse anonyme et sa sorcière sadique jouée par Rinko Kikuchi (Pacific Rim), qui en fait des tonnes et irrite nos oreilles à chacune de ses répliques dans un rôle imaginé à la dernière minute par la production. Le choix de faire tourner tous ces comédiens en anglais, une langue que la majorité d’entre eux ont vraisemblablement du mal à maîtriser (de fait, la plupart ont appris leurs répliques phonétiquement), n’était sans doute pas non plus une grande idée.
Aventure contre-nature
Les difficultés ayant émaillé le tournage et la post-production, désormais connues et relayées entre autres par un article de Variety, suffisent à expliquer les défauts visibles du film. Une ellipse grossière laisse par exemple plusieurs questions en suspens, sans y répondre plus tard ; le personnage tatoué sur l’affiche n’est en réalité qu’un figurant au centre d’une séquence certes spectaculaire mais semblant sortir des chutes de scénario d’un Pirates des Caraibes ; les éternels panoramiques aériens à la Peter Jackson sont inclus de manière aussi brutale qu’aléatoire ; enfin, le choix tardif de tourner 47 Ronin en 3D permet de comprendre pourquoi celle-ci se révèle aussi inutile, une fois de plus. De manière générale, le scénario s’avère très générique, allant d’un point A à un point B sans se poser plus de questions.
Pourtant, malgré ses longueurs, ses dialogues d’une raideur épouvantable, ses incohérences et sa timidité lors des scènes au sabre (classement PG-13 oblige, vous n’aurez pas droit ici à de douloureux seppuku en plein écran façon Takashi Miike), 47 Ronin frappe occasionnellement juste, justifiant par endroits le mirifique budget qui a été alloué à son inexpérimenté réalisateur, Carl Rinsch (auteur de quelques pubs pour des marques automobiles… et c’est à peu près tout). Si son talent de conteur laisse un peu à désirer – on n’ose imaginer ce qu’un Tsui Hark aurait fait d’un tel script -, le bonhomme semble avoir passé beaucoup de temps sur les designs et les décors de son œuvre. Le sanctuaire des moines-oiseaux que rencontrent à mi-parcours Kai et sa troupe, le village lacustre formé de bateaux étrangers, ou le cartoonesque château de Kira constituent ainsi autant de décors ensorcelants, estampes en mouvement où se déroulent comme par hasard les scènes les mieux chorégraphiées et excitantes. Ils permettent d’apprécier, derrière les sutures et les plaies ouvertes qui parsèment ce projet maudit, une aventure dont on ne peut nier l’audace thématique, à rebours des invasions héroïques juvéniles qui forment le gros de la production hollywoodienne.
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47 Ronin, de Carl Rinsch
USA / 2013 / 119 minutes
Avec Keanu Reeves, Hiroyuki Sanada, Rinko Kikuchi
Sortie le 2 avril 2014
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