Si son heure de gloire est depuis bien longtemps passée, le western est un genre coriace, dur à abattre et constamment ressuscité par ses nostalgiques adorateurs, et pas des moindres : les frères Coen (True Grit), Quentin Tarantino (Django Unchained), parmi d’autres, ont prouvé que cet univers-là, avec ses codes, ses décors et sa riche période historique, avait quelque chose d’immortel. Le genre est aussi caractérisé par son universalité, ce qui explique qu’en 2014, un Danois motivé par ses rêves d’enfant ait pu mettre sur pied The Salvation, western à l’indéniable sensibilité européenne, qui respecte les canons du genre avec une déférence telle qu’elle pourrait frustrer. Ce qui sauve très clairement le film, sélectionné au dernier festival de Cannes, c’est le soin extrême apporté à sa mise en image, qui transforme ce récit suranné en rutilante réactualisation du genre.

[quote_center] »The Salvation, malgré l’aura christique que suggère son titre, est un récit de vengeance carré et dégraissé de tout élément superflu. »[/quote_center]

Les origines nord-européennes du film permettent dès le départ de donner un angle d’approche original à The Salvation. Le proverbial héros malgré lui, Jon (Mads Mikkelsen), est un ancien soldat débarqué dans l’Ouest américain avec son frère Peter (Mikael Persbrandt, Le Hobbit, L’hypnotiseur) pour devenir fermier. Sept ans après, il accueille sa femme et son fils, venus le rejoindre d’Europe. Les retrouvailles tournent au drame lors du voyage en diligence, et bientôt, Jon doit enterrer sa famille après avoir abattu deux brigands. Ce qu’il ne sait pas, c’est que ses victimes faisaient partie d’un gang de « régulateurs » menés par Delarue (Jeffrey Dean Morgan, Watchmen), qui réclame vengeance.

Il était une fois un Danois

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Kevin Costner et Clint Eastwood, les deux plus consistants et remarquables défenseurs du western ces 30 dernières années, n’auraient sans doute pas craché sur l’opportunité de mettre en scène un récit aussi puissamment balisé. The Salvation, malgré l’aura christique que suggère son titre, est un récit de vengeance carré et dégraissé de tout élément superflu, le genre de proposition qui ne trouve plus preneur ailleurs que sur les chaînes câblées. Anders Tomas Jensen (Adam’s Apples) et Kristian Levring (The King is Alive), respectivement scénariste et réalisateur (et co-scénariste), ont, malgré ces apparences, apporté leur propre touche à ce script qui convoque dans ses grandes lignes le fantôme d’Il était une fois dans l’Ouest. C’est là aussi une histoire d’émigrés, de femmes rebelles, de revanche, et de révolution industrielle implacable (les gisements de pétrole remplacent ici les chemins de fer pour justifier l’expropriation des pionniers).

Le fait que le héros soit Danois permet de rappeler que l’Amérique naissante était une terre d’opportunité et donc de métissage culturel, ce qui explique par exemple la présence d’un Éric Cantona à l’épais accent français dans le rôle d’un homme de main de Delarue. Elle explique aussi le côté spartiate des dialogues, qui vont à chaque fois à l’essentiel, et encore, quand la nécessité de parler se fait sentir. Le personnage d’Eva Green, à cet égard, est le plus fascinant, puisque l’actrice doit interpréter une belle captive muette, et ses jeux de regards expriment sans détour ses sentiments intérieurs. Comme les autres protagonistes (le frère dur à cuire de Jon, un maire / croque-mort et un shérif / prêtre sans scrupules), elle acquiert une véritable dimension en peu de scènes, Levring se montrant très efficace pour leur conférer sans perdre du temps une personnalité, et des motivations crédibles. Même la famille de Jon, le temps de la traumatisante scène de la diligence qui prend des allures de cauchemar expressionniste, parvient à émouvoir et à marquer l’esprit, par des gestes et des plans appuyés sur leurs visages qui en disent plus long qu’une page de répliques.

Un western trop sage ?

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Au centre de cet univers criant de vérité, une prouesse alors que le tournage s’est intégralement déroulé dans une immense ferme d’Afrique du Sud (ce qui explique la profusion de plans modifiés en post-production, parfois un peu trop brutalement, comme dans une scène de traque nocturne et pluvieuse), se tient, visage émacié, un Mads Mikkelsen à qui décidément aucun genre ne résiste. Plus à son aise que dans le similaire Michael Kohlhaas, la star de Hannibal, par son jeu trompeusement monolithique (l’acteur sait en fait exprimer milles nuances de sentiments sans jamais en faire trop), s’avère idéal dans la peau de ce pionnier brisé, mais décidé, à mi-chemin entre Gregory Peck et le Charles Bronson de la grande époque.

Levring, qui a patiemment composé en amont du tournage la palette de couleurs chaudes et le storyboard du film, a rapidement compris que la sauce prenait à l’écran, et n’hésite pas à en rajouter dans la grandiloquence (mouvements de grues, plans d’ensemble majestueux, travellings avant brutaux) plutôt que dans la brutalité, malgré l’inclusion de l’obligatoire règlement de comptes final. C’est peut-être le point faible de The Salvation : un manque de punch, une déférence à un cinéma révolu qui certes réjouit, mais se traduit par une absence marquante de surprises, ou de folie. L’œuvre, pourtant, transporte, flatte l’œil et se caractérise par son implacable maîtrise (tous les acteurs sont bons, aucun plan ne dépasse, la musique acoustique cligne intelligemment de l’œil au western spaghetti…). C’est, sans trop de soucis, le meilleur western de l’année (The Homesman, dans une veine révisionniste, est le seul autre titre marquant qui nous vient à l’esprit), mais aussi un digne et excitant représentant du genre, toutes périodes confondues. Et c’est un film danois. Qui dit mieux ?


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatre sur cinq
The Salvation
De Kristian Levring
2014 / Danemark – RU – Afrique du sud / 93 minutes
Avec Mads Mikkelsen, Eva Green, Jeffrey Dean Morgan
Sortie le 27 août 2014
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