Voilà un film qui sort de nulle part, ou presque, et qui risque bien d’emporter tous les suffrages lors de sa sortie. Moonwalkers s’empare d’une légende urbaine tenace et bien connue, pour en faire une comédie hippie au délicieux charme rétro et pourtant pas dénuée d’action. Et le tout est réalisé par un Français inconnu au bataillon ! L’origine du film remonte en fait à 2011, date à laquelle le producteur Georges Bermann, collaborateur de longue date de Michel Gondry, annonce l’adaptation imminente d’un script de Dean Craig (Joyeuses Funérailles), avec aux commandes Antoine Bardou-Jacquet, cinéaste français passé par le classique parcours de la réalisation de pubs et de clips chez lui et à l’étranger. Quelques années auront été nécessaires à la concrétisation du projet, mais à l’arrivée, le pitch n’a pas bougé d’un iota.
Nous sommes en 1969, et la CIA s’inquiète de perdre la face lors de l’expédition Apollo 11 : et si Neil Armstrong et ses collègues n’arrivaient pas à marcher sur la Lune ? Les Soviétiques gagneraient la partie, et dans cette période troublée par la guerre du Vietnam, c’est une défaite impensable. Le plan B est tout trouvé : il faut tourner en secret de fausses séquences d’alunissage. L’homme de la situation ? Stanley Kubrick, bien sûr ! Cet « intello coincé » vient de réaliser 2001, l’odyssée de l’espace et est le cinéaste idéal pour ce projet top-secret. L’agent Kidman (Ron Perlman), traumatisé par ses années au Vietnam, est chargé d’aller au cœur du Londres hippie pour convaincre le réalisateur américain exilé. Sur place, il doit rencontrer son agent, mais c’est en fait Jonny (Rupert Grint), son cousin manager un peu loser, qui se fait passer pour lui. Jonny accepte l’argent sans comprendre dans quoi il met les pieds. C’est le début d’une suite d’embrouilles et de trips très psychédéliques, le tout alors que dans l’espace, l’Histoire est en train de s’écrire…
Des hippies dans l’espace
Le postulat de Moonwalkers a beau être original et alléchant sur le papier, il n’est pas le premier à explorer la possibilité, à vrai dire fascinante, que la mission Apollo 11 ait été un hoax avant l’heure. Dans les années 70, chaudron de paranoïa anti-establishment, Peter Hyams avait fait de cette idée la base de son thriller Capricorn One. Le film de Bardou-Jacquet opte lui clairement, dès son incroyable générique funky à la Yellow Submarine, pour un ton comique débridé et satirique, à la façon du trop méconnu Des hommes d’influence avec De Niro et Dustin Hoffman. Dean Craig truffe son script de références à cette époque insouciante, avec son groupe d’allumés obsédé par l’idée de faire un opéra-rock, ses hippies passionnés par les happenings artistiques, ses hommes en noir chargés de faire le sale boulot du gouvernement… Le seul « anachronisme » à relever dans ce tableau serait peut-être le gang patibulaire dirigé par « Le Ferrailleur » (le toujours imposant James Cosmo, vu ces derniers temps dans Game of Thrones et Citadel), qu’on jurerait sorti d’un film de Guy Ritchie.
[quote_center] »Rupert Grint trouve ici sans peine son meilleur rôle post-Harry Potter. »[/quote_center]
La présence de gangsters, de hippies constamment défoncés et de réalisateurs obsédés fournit ainsi un contrepoint irrésistible au contexte très sérieux de complot étatique personnifié par Ron Perlman. L’interprète de Hellboy, désormais libéré de ses obligations dans la série Sons of Anarchy, s’en donne à cœur joie à l’écran dans la peau de cet agent inquiétant et sujet à des hallucinations saignantes, et qui laisse sa carapace se fissurer au contact des gentils dingos entourant Jonny. Rupert Grint, pas toujours heureux dans ses choix cinématographiques depuis son départ de Poudlard, trouve là sans peine son meilleur rôle post-Harry Potter : dans les chemises sur-mesure de ce manager pas très chanceux, mais opiniâtre, il apporte une innocence et une assurance rafraîchissantes. Le duo formé entre le frêle rouquin et le massif vétéran yankee est l’une des plus réjouissantes trouvailles d’un film qui en compte beaucoup.
Jovial… et brutal
Tout au plus pourrait-on regretter que Moonwalkers ne cherche pas trop à se casser la tête pour détailler les préparatifs de cette opération de cinéma saugrenue : Craig et Bardou-Jacquet semblent bien plus passionnés par leurs personnages, tous attachants et perchés à leur manière (en particulier celui joué par Robert Sheehan, échappé de ses Misfits, qui prouve une fois de plus son parfait tempo comique), que par les méandres d’une intrigue se résumant à une suite de quiproquos et de courses contre la montre. L’aspect le plus étonnant reste la très frontale violence qui préside dans les scènes d’action, tranchant nettement avec le ton à la fois potache et sophistiqué du scénario. Manifestement influencé par Edgar Wright, Bardou-Jacquet dégaine ralentis et poches de sang à plusieurs reprises, sans prévenir et souvent en cherchant l’effet comique. Pour un premier long, l’assurance et l’énergie de sa mise en scène s’avèrent prometteuses, et avec une telle carte de visite anglo-saxonnes, nul doute que le réalisateur pourrait très vite refaire parler de lui.
Dans l’immédiat, Moonwalkers doit se savourer pour ce qu’il est : un divertissement rondement mené, généreux et très rythmé (même la séquence de trip sous acide en plein milieu du film est réussie et inventive – mention spéciale aux astronautes globuleux !), qui connaît ses limites, mais ne la joue pas pour autant petits bras. Une chose est sûre : vous reverrez en tout cas les premiers pas d’Armstrong sur la Lune avec un œil différent !
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Moonwalkers
D’Antoine Bardou-Jacquet
2015 / France – Belgique – Angleterre / 107 minutes
Avec Rupert Grint, Ron Perlman, Robert Sheehan
Sortie prévue le 6 janvier 2016
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Merci pour cette critique élogieuse. Mais le producteur c’est Georges Bermann et non Daniel Bergmann. Pourriez vous rectifier? Merci 🙂