Voilà un projet agicheur, mais assez peu commercial, qui dormait dans les tiroirs depuis quelques années. Le Prodige raconte une histoire qui a tenu en haleine les États-Unis : en 72, Bobby Fischer, plus jeune champion du monde à l’âge de 15 ans, affrontait son rival, le russe Boris Spassky dans un combat épique à Reykjavík, en Islande, marqué par les tiraillements politiques de la Guerre Froide. C’est finalement Edward Zwick (Les Insurgés, Blood Diamond), plus habitué aux films épiques qu’aux drames en chambre, qui est finalement parti piocher ce scénario de Steven Knight dans la blacklist d’Hollywood et choisi Tobey « Spiderman » Maguire pour camper le jeune génie américain. Le solide Liev Schreiber (Ray Donovan) campe lui son redoutable adversaire soviétique. À ses côtés, un prêtre, interprété par Peter Sarsgaard, ancien joueur lui aussi, et un avocat « patriote », joué par Michael Stuhlbarg (le Serious Man des frères Coen, vu aussi dans Lincoln), tentent de le soutenir.

Mégalomanie chez les geeks

Le Prodige : c’est un nul !

Dès le départ, le film n’occulte rien de la personnalité ombrageuse de son héros. Jeune asocial boutonneux aux aspirations antisémites lourdement mises en abîme par des flashbacks répétitifs sur son enfance, Fischer sombre à mesure que sa réputation prend de l’ampleur dans une paranoïa destructrice. Membre de la secte de l’Église universelle de Dieu, le joueur décèdera d’ailleurs des suites de problèmes urinaires qu’il refusait de soigner. Tobey Maguire, à force de s’acharner à peindre l’antipathie de son personnage, finit par rendre le film lui-même bizarrement repoussant. Il aurait peut-être fallu, plutôt que de se concentrer sur le trio masculin, inclure davantage de scènes avec son émouvante sœur, jouée par Lily Rabe (American Horror Story). Le temps d’une courte séquence, ce personnage laisse deviner l’humanité qui pourrait subsister dans l’esprit du jeune homme fragile, marqué par une forte pression intellectuelle, avec, en toile de fond, l’avenir de deux nations.

[quote_center] »Classique, poussif et sans lyrisme, le montage donne au film à un rythme mou et assommant. »[/quote_center]

Au cœur de la Guerre Froide, un tel combat ne pouvait laisser indifférent les deux peuples ainsi que leurs plus hautes instances. Les enjeux politiques du combat, incarnés par Paul Marshall dans un rôle d’agent à la solde de l’oncle Sam, démontrent clairement que les aspirations du combat ne sont pas purement sportives. Maladie mentale, marche implacable de l’Histoire et parties d’échecs s’entremêlent sans jamais que le mélange des genres ne parvienne à convaincre. Depuis Glory, Edward Zwick a prouvé maintes fois qu’il maîtrisait la reconstitution historique, mais ce n’est visiblement pas le cas de son montage. Classique, poussif et sans lyrisme, ce dernier donne au film à un rythme mou et assommant.

Flou artistique

Le Prodige : c’est un nul !

Le jeu d’échecs, en ce qu’il permet de visualiser de manière binaire l’affrontement cérébral entre deux stratèges, a souvent été choisi comme thème ou figure visuelle de prédilection pour les cinéastes, depuis le Septième sceau d’Ingmar Bergman à La Diagonale du fou, de Richard Dembo, en passant par le plus récent Le Tournoi. Chacun à leur manière, ces films utilisent ce jeu ancestral comme un atout pour passionner le spectateur. Edward Zwick choisi de filmer les échecs de manière le rendre à peu près intelligible (nous savons qui gagne et qui perd) pour les non-joueurs et limpide (stratégie oblige) pour les joueurs les plus aguerris. Mais il oublie les joueurs occasionnels, ceux qui ne savent rien de ces coups « historiques », mais seraient curieux de connaître les détails des parties, qu’il ne montre par ailleurs en plan large que rarement. Cette large part du public sortira sans aucun doute frustrée de ce qui s’apparente à un biopic trop classique et conventionnel pour rester longtemps en mémoire.


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Deux sur cinq

Le Prodige (Pawn Sacrifice)
D’Edward Zwick
2014 / États-Unis / 116 minutes
Avec Tobey Maguire, Liev Schreiber, Michael Stuhlbarg
Sortie le 16 septembre 2015
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Crédit photos : © Metropolitan FilmExport