The Highwaymen : deux tontons flingueurs au Texas
D’icônes subversives, Bonnie & Clyde passent au rang de psychopathes inhumains dans le très conservateur The Highwaymen.
L’image d’Epinal associée au mythe de Bonnie et Clyde reste, cinquante ans après, celle de Faye Dunaway et Warren Beatty, criblés de balles au ralenti dans l’opératique climax du classique d’Arthur Penn sorti en 1967. Les amants criminels qui avaient défrayé la chronique dans l’Amérique de la Dépression des années 30 étaient devenus par la grâce d’un film des icônes de la contre-culture, foudroyés par l’establishment patriarcal au terme de leur ballade sauvage. Arthur Penn avait pris des libertés avec l’Histoire (pour lui faire de beaux enfants, comme le dit l’adage), et depuis lors, un script dormait dans les tiroirs de Hollywood pour « rétablir la vérité » et montrer ces événements sous le point de vue des hommes de loi qui étaient à l’autre bout de la mitraillette. Le résultat de ce long (très long, puisque le projet avait un temps été proposé à Robert Redford et Paul Newman) développement arrive cette année sur Netflix avec The Highwaymen, un thriller historique procédural qui ressemble en tous points à ce qu’on pouvait attendre d’un tel sujet vu l’époque actuellement traversée par les USA.
La poursuite impitoyable
Bonnie Parker et Clyde Barrow sont dans The Highwaymen des silhouettes menaçantes, des tueurs de grand chemin que le réalisateur John Lee Hancock, s’appuyant sur un scénario de John Fusco (Tigre et Dragon 2 et le très catho Le chemin du pardon), réduit à l’état de croquemitaines, ou comme le soulignent les dialogues, d’animaux. Des bêtes sauvages que l’état du Texas décide d’arrêter coûte que coûte, en faisant appel à deux vétérans de l’ordre des Texas Rangers, aboli par le gouverneur Miriam « Ma » Ferguson (Kathy Bates). Le premier d’entre eux, Frank Hamer (Kevin Costner), est une légende du métier pour des raisons qui restent mystérieuses à part qu’il prend son – ancien – job très au sérieux et a du plomb sous la peau. Le taiseux homme de loi choisit de faire équipe avec un ancien collègue moins verni que lui depuis sa retraite, Maney Gault (Woody Harrelson). Alcoolique, Gault est pourtant motivé pour partir traquer avec Hamer le couple de truands qui sème des victimes, principalement des flics, sur sa route. Méthodiquement, « à l’ancienne », le duo fait la nique aux hommes du tout jeune FBI pour remonter la piste de Parker et Barrow d’État en État, jusqu’à ce fatidique matin de mai 1934…
Qualifier de The Highwaymen de film conservateur serait sans doute en deçà de la vérité. Il est déjà curieux de vouloir consacrer un film entier (qui plus est un long-métrage dépassant les deux heures dont on connaît déjà le dénouement) à l’histoire d’hommes ayant fait leur job sans (trop d’)état d’âmes et surtout sans pitié – la mort du couple s’apparentant historiquement plus à une exécution en bonne et due forme. Mais Hancock et Fusco, même en déclarant avoir voulu « rétablir les faits » (alors que, comme Penn, il leur arrive de les modifier pour mieux servir leur propos), ont surtout profité de cet alibi historique pour construire une œuvre qu’on imagine parfaite pour l’Américain moyen du Midwest, probablement électeur de Trump.
Les justiciers du passé
Hamer et Gault, vestiges bedonnants à la prostate fragile, dont l’âge et le côté « trop vieux pour ces conneries » sert initialement de beau ressort comique, sont glorifiés au-delà du raisonnable par un film qui leur donne, immanquablement, irrémédiablement raison. Quand Kevin Costner, taciturne comme jamais, rencontre le père de Clyde, ce dernier lui donne carrément sa bénédiction pour l’abattre. Quand un pompiste, fan comme beaucoup du couple de truands qui braquait des banques jugées responsables de la Grande Dépression, refuse de lui donner des infos sur les fuyards, le Ranger le dérouille jusqu’à ce qu’il retrouve la raison. Dans The Highwaymen, on n’aime pas ceux qui tuent des flics et des innocents, et c’est louable. Mais on n’aime pas trop non plus les nouvelles technologies, les blancs-becs de Washington, les journalistes, la radio, les pauvres qui idolâtrent Bonnie et Clyde ou encore cette « tapette » de J. Edgar Hoover. Bref, ils n’aiment pas trop le progrès. Et face à cette décadence, rien de mieux qu’un bon fusil et la sagesse du cowboy repensant, l’air grave, à tous ces pauvres bougres qu’il a dû abattre pour protéger son territoire.
Avec un budget de 50 millions de dollars, The Highwaymen a pu s’offrir une belle reconstitution des bleds poussiéreux que traversent dans leur Ford flambant neuve nos deux papys flingueurs. Malgré son sujet, le film est moins porté sur l’action que sur l’enquête, méticuleuse et laborieuse, des Rangers, qui se résume durant la première heure à course de vitesse avec le FBI, avant d’adopter un rythme encore plus pépère. À force de disserter sur leurs responsabilités morales (« Je n’ai jamais eu à tuer de femme », reconnaît l’air sombre Maney Gault), de donner la parole aux protagonistes les plus insignifiants tout en multipliant les scènes de transition faites de voitures filant à l’horizon, The Highwaymen finit par nous faire sombrer dans l’ennui. Costner et Harrelson, qui déroulent avec métier, mais moins d’intensité qu’ailleurs, sont une raison suffisante de rester éveillés. Mais on ne peut s’empêcher de rester circonspects devant la posture complètement rétrograde de l’ensemble, qui nous ramène aux heures d’un cinéma américain ampoulé obsédé par le code Hayes. Un cinéma d’avant le Nouvel Hollywood, où les hommes étaient des « vrais mecs » et les criminels des dangers publics qui méritaient leurs vingt balles dans le buffet. Avec ses tons terreux et ses justiciers ternes comme la pluie, The Highwaymen n’est pas si éloigné de cette époque moralement très noir et blanc.