Le cinéaste norvégien Erik Poppe, photographe de guerre renommé dans une autre vie, signe pour son troisième long-métrage une œuvre forcément très personnelle, mais sans parvenir à convaincre totalement. Avec L’Épreuve, il confronte très distinctement deux univers : celui des reporters œuvrant sur des terrains d’actualité parfois violents au péril de leur vie et celui d’une famille menacée par une profession qui occupe trop de place dans le couple. Il soulève donc deux réflexions, l’une identitaire (pourquoi se risquer à informer), et l’autre plus intime : comment conserver une vie familiale tout en s’engagaent corps et âme dans une cause périlleuse ?

Un drame chasse l’autre

L'Épreuve : double peine pour Juliette Binoche

Pour tenter d’apporter des éléments de réponses, Erik Poppe a imaginé Juliette Binoche dans le rôle de Rebecca, une photographie chevronnée. Dans la scène d’ouverture, particulièrement intense, elle suit une future « martyre » prête à un ultime sacrifice pour servir son dieu. Reflex au poing, Rebecca garde la maîtrise de son sujet, au point de s’exposer de très près à l’explosion d’une bombe et de souffrir de graves commotions cérébrales.

De retour chez elle, elle rejoint son mari Marcus (Nikolaj Coster-Waldau, Mama et bien sûr Jamie Lannister dans Game of Thrones) et ses deux filles, tous traumatisés par l’attentat. Comme si le choc qu’elle venait de subir ne suffisait pas, Marcus, personnage écrit de manière légèrement caricaturale, semble avoir atteint un point de non-retour : « tu pues la mort », lui dit-il carrément. Il décide de mettre son son épouse face à un ultimatum : il lui faudra désormais choisir entre son métier et sa famille.

Coup de feu conjugal

L'Épreuve : double peine pour Juliette Binoche

Au cœur de la campagne irlandaise, remarquablement mis en image par l’œil acerbe d’Erik Poppe, L’Épreuve se concentre sur le tiraillement de Rebecca entre sa passion addictive pour les terrains de guerre, pour l’adrénaline que ce travail lui procure, et la souffrance de ses proches, son mari et son adolescente de fille, qui tente difficilement de se rapprocher de sa mère. Si le film s’attarde durant plusieurs séquences sur des mouvements de foules spectaculaires au Kenya et en Afghanistan, Erik Poppe fait le choix de s’attarder principalement sur les verts et isolés pâturages irlandais.

Accordons au réalisateur d’En eaux troubles une analyse constructive du problème de Rebecca. Consciente de son addiction à sa profession, elle tente de changer de vie, sans dénigrer ses idéaux. Homme contemporain, Marcus s’occupe de ses enfants pendant que sa femme s’absente. Mais il vit dans la peur constante de voir ses filles perdre leur mère. Bien qu’il semble les étouffer, des relents de machisme submergent parfois cet homme à la vie simple, dépassé par la notoriété de son épouse qui le poussera à régir autoritairement son existence sans aucune considération pour l’importance de son œuvre.

De fait, le drame familial prend le pas sur l’aventure médiatique pour laquelle Juliette Binoche détonne et surprend par un engagement profond, mais nuancé. De retour au bercail, la caméra ralentit et prend le temps, peut-être un peu trop, d’installer son questionnement et ses enjeux, sommes toutes très simples, voire universels. Finalement, le sujet, certes original, mais limité, occulte le véritable intérêt du film. Pourquoi emmener le spectateur dans la peau d’un reporter de guerre de manière aussi efficace et réaliste durant aussi peu de temps, puis le mettre face à un dilemme intime qui pourrait être transposé à n’importe quelle profession ou presque ? Un peu de recul aurait sans doute été nécessaire et salvateur, pour écarter les lourdeurs et harmoniser le rythme en dents de scie d’un film inégal.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

TroissurcinqL’Épreuve (Tusen ganger god natt)
D’Erik Poppe
2013 / Norvège – Irlande – Suède / 117 minutes
Avec Juliette Binoche, Nikolaj Coster-Waldau, Lauryn Canny
Sortie le 6 mai 2015
[/styled_box]