The Fortress : invasion et débats d’opinions
Derrière ses promesses de grandes batailles, le coréen The Fortress cache un drame en costumes qui nous perd en bavardages. Aussi épique que statique.
En 2017, le festival du cinéma coréen proposait en sélection deux exemples très opposés de « films Joseon », c’est-à-dire de longs-métrages coréens en costumes se déroulant durant l’époque moyenâgeuse liée à la dynastie du même nom, qui a quand même dirigé la Corée pendant six siècles. D’un côté, la comédie The King’s case note, encore inédite et de l’autre, The Fortress, carton en son pays avec plus de 4 millions de spectateurs, et que The Jokers / La Rabbia a décidé de distribuer sous son label Lonesome Bear, inauguré avec Chasseuse de géants.
La forteresse de la solitude
Le succès de The Fortress, pourtant bien plus austère que son camarade de festival, n’est pas si surprenant. Il faut dire que les mythes associés à la forteresse appelée Namhansanseong, décor principal du film, sont très connus en Corée du Sud. Situé sur une crête montagneuse, l’endroit était au XVIIe siècle un « palais d’urgence », dans lequel la cour royale s’était réfugiée en 1636 lors de l’invasion des Qing, venus de Chine. C’est ce siège de 47 jours, au cœur d’un hiver impitoyable, que retrace The Fortress, qui oppose à l’écran deux énormes vedettes, Lee Byung-hun (Inside Men, Les sept mercenaires, J’ai rencontré le diable) et Kim Yun-seok (Sea Fog, The Chaser, Murderer). Ils incarnent ici les ministres d’un roi peu expérimenté, barbus comme il se doit, qui s’opposent sur l’attitude à adopter face à l’envahisseur, largement supérieur en nombre : courber l’échine, accepter les humiliantes conditions du conquérant et perdre tout honneur, ou refuser les compromis et tenir jusqu’au bout le siège, au risque de faire sombrer tout le royaume ?
Ce débat stratégique, The Fortress va l’épuiser sur plus de deux heures, il faut le dire, très monotones. En effet, le film se résume vite à une succession de séquences traitées avec un égal manque d’emphase, traitant sans réel sentiment de progression des rebondissements aléatoires : les soldats ont froid, un messager va chercher de l’aide, un ministre va jouer les médiateurs auprès de l’ennemi, une attaque éclair se solde par un massacre… Mais ce qui cloue le film au sol, c’est la façon dont le scénario relie systématiquement ces séquences à des « débriefings » en intérieur, où le roi donne docilement la parole à son gouvernement comme dans une version moyenâgeuse de l’Assemblée nationale.
Batailles en vase clos
Malgré la pesanteur théâtraledes dialogues, qui consiste à faire s’étouffer dans leur indignation tous les adversaires ou même les amis de nos deux héros, on peut difficilement mettre en défaut la prestance des acteurs, garants du sérieux de l’entreprise, ou l’importance thématique de leurs joutes verbales. Après tout, l’opposition entre pragmatisme politique et bellicisme nationaliste n’est pas vraiment un sujet du passé, et le dilemme auquel faisait alors face le royaume de Corée a pu s’appliquer à de nombreux pays au fil de l’Histoire. Plastiquement, le film se pare des plus beaux arguments, avec sa photographie hivernale, ses centaines de figurants et sa complexité stratégique.
Mais, même avec ces qualités techniques attendues dans une grosse production coréenne, The Fortress échoue à nous passionner pleinement pour cette bataille de mots (et, lors de brefs moments sans gloire, d’épées et de canons). Faute de rythme ou de vivacité dans la réalisation de Hwang Dong-hyeok (Silenced), qui bénéficie pourtant répétons-le de décors naturels et artificiels luxueux, ses 140 minutes paraissent au final en durer deux fois plus.