Top 10 : les présidents au cinéma
La sortie de films consacrés à Lincoln est une bonne occasion pour mettre en avant notre sélection des meilleurs présidents de fiction.
Le portrait que fait Timur Bekmambetov (Wanted, Nightwatch) du 16e président des USA dans le bien-nommé Abraham Lincoln, chasseur de vampires a beau être pour le moins original (et surréaliste), il n’en respecte pas moins l’image d’Epinal que l’on se fait de celui qui a aboli l’esclavage, tout du moins dans la deuxième partie du film : le collier de barbe, le haut de forme, le verbe haut et les valeurs de droiture et de justice inscrites en bandoulière. L’inconnu Benjamin Walker, malgré son jeune âge, rejoint une longue lignée d’acteurs ayant endossé le costume présidentiel au cinéma, que le personnage soit inspiré d’une figure réelle ou non.
À l’occasion de la sortie de ce blockbuster bourrin et en attendant la vision de Spielberg avec Daniel Day-Lewis, Born to Watch déroule le tapis rouge aux plus illustres POTUS, pardon, hommes d’État que le 7e art ait connu, et aux acteurs qui les ont personnifiés. Tout le monde se lève !
10. MICHEL BOUQUET
Le Président : François Mitterrand (Le promeneur du Champ de Mars)
Le film : Rares ont été les films français qui ont pris le risque de s’attaquer frontalement à la figure du Président de la République, qui plus est en choisissant d’en porter un réel à l’écran. La Conquête de Xavier Durringer s’y est récemment cassé les dents (le film ressemblait plus à un long sketch peuplé de vainqueurs du « Qui est mon meilleur sosie ? », qu’à l’étude politique attendue). Plus modeste, le film de Robert Guédiguian adapte les mémoires de Mitterrand et transforme cette évocation de la fin de vie du rassembleur historique de la gauche en méditation amusée et mélancolique sur la vieillesse, la mort, les rapports entre vérité et histoire.
L’acteur : Comédien idéal pour le projet, Michel Bouquet habite le rôle avec un charisme et un mélange de condescendance bourgeoise et d’ironie irrésistible. C’est sa performance, unique et touchante, qui fait le prix du Promeneur du Champ de Mars.
9. MICHAEL DOUGLAS
Le Président : Andrew Sheperd (Le Président et Miss Wade)
Le film : Ok, on est ici en plein dans la comédie romantique américaine, garnie de repas en tête-à-tête dans des restaurants chics, de musique mielleuse, de morale naïve et de happy end attendus et niaiseux, mais. Mais, mais, si Le Président et miss Wade est resté dans les livres d’histoire, c’est surtout parce qu’il a servi de tour de chauffe pour son scénariste Aaron Sorkin. Le futur créateur d’À la Maison-Blanche teste dans le film de Rob Reiner le style d’écriture qui fera son succès (cultivé, acéré, activement idéaliste) et inaugure subrepticement le walk and talk, idéal pour donner chair à cette ébullition permanente que représente l’antichambre du pouvoir. Il instaure même un duo de personnages, composé du Président et de son chief of staff, dont les relations seront développées à l’identique dans la série télé. Sans compter le fait que Martin Sheen, futur Jed Bartlet d’anthologie, est déjà présent dans ce dernier rôle.
L’acteur : On aurait presque tendance à oublier qu’ici, c’est le suave et charmeur Michael Douglas qui habite le bureau ovale. Il incarne une sorte de Bill Clinton plus sage et malin, très convaincant en maître du monde veuf et romantique jouant aux maîtres d’école avec son équipe. Son speech politique final est tellement culte que les assistants du ministre des transports australien l’ont repris mot pour mot à la télévision.
8. JACK NICHOLSON
Le Président : James Dale (Mars Attacks !)
Le film : Bon là on est purement dans le délire fictionnel, et pas qu’un peu, puisque Mars Attacks, dans un esprit EC Comics totalement anarchiste, est une belle claque rétroactive aux grosses productions hollywoodiennes type Independence Day (sorti la même année) se gargarisant de patriotisme kitsch. Tim Burton, sortant pourtant du très arty Ed Wood, se lâche brillamment en orchestrant un jeu de massacre planétaire avec un casting interstellaire. Presque trop crétin pour son propre bien, Mars Attacks vient vraiment d’ailleurs.
L’acteur : Jack Nicholson en Président, voilà déjà une brillante idée ! Son James Dale (qu’on imagine républicain) est une caricature de politicien uniquement soucieux de son image, un proto-Bush Sr. qui préfère suivre les conseils de communication de sa First Lady (Glenn Close) que ceux de ses généraux inquiets devant l’arrivée des Martiens. Avec son sourire carnassier, son jeu parfaitement outrancier et ses mines outrées, Nicholson fait le show jusqu’à son discours absurde sur la paix entre les peuples et sa mort d’anthologie !
7. HENRY FONDA
Le Président : Abraham Lincoln (Vers sa destinée)
Le film : Moins reconnu que les classiques entre lesquels il a été tourné (La chevauchée fantastique et Les raisins de la colère), Vers sa destinée, ou Young Mr. Lincoln en version originale, est pourtant une pierre angulaire de la carrière de John Ford, l’un des points d’ancrage d’une période humaniste et « pastorale » de sa carrière. Il s’attaque ici avec un point de vue simple (et non simpliste) à la figure écrasante d’Abraham Lincoln, ici dépeint durant sa jeunesse alors qu’il se découvre une passion pour le droit, s’établit à Springfield et débute son premier procès après s’être interposé au cours d’une tentative de lynchage. Empreint d’une profonde poésie, l’œuvre évoque avec subtilité le destin hors du commun du futur Président, que l’on quitte, avec son haut-de-forme, en haut d’une colline à bien des égards symbolique du futur qu’il est en train de construire.
L’acteur : À l’origine inquiet de devoir interpréter une telle figure de l’Histoire, Henry Fonda s’est laissé convaincre par John Ford, qui entamait ici avec l’acteur une fructueuse collaboration. Grand, émacié, le regard brûlant d’une passion intérieure, Fonda compose un Lincoln avant tout humain, dans ses qualités (force morale, compassion) comme dans ses défauts (de jeunesse, dirons-nous). Après Le brigand bien-aimé, Vers sa destinée est le deuxième rôle qui va cimenter quarante années d’une carrière exceptionnelle.
6. JOSH BROLIN
Le Président : George W. Bush (W.)
Le film : Peut-être aurait-il eu besoin de plus de recul. Peut-être le scénario de Stanley Wiser (Wall Street) aurait-il profité d’un autre coup de polish, histoire de rendre W. plus acerbe, plus pertinent et constructif. Dans l’absolu, le film d’Oliver Stone attaquant la présidence calamiteuse du fils Bush fait l’effet d’un tir d’obus dans une ambulance aux pneus crevés : un film entier n’était pas nécessaire pour nous faire comprendre que « doubleya » était un bigot inculte et incapable poussé au premier plan à cause d’un complexe d’infériorité envers son père, et du besoin maladif d’être son fils préféré (au lieu de Jeb, futur gouverneur de Floride).
L’acteur : La grande réussite du film est à mettre à l’actif de Josh Brolin. Certes plus beau que son modèle malgré une perruque grisonnante du plus bel effet, l’acteur parvient ici à capturer tous les tics et expressions farfelues de Bush Jr., ainsi, et c’est le plus important, que son éternel air d’ahuri se donnant des grands airs pour masquer son total largage face aux situations auquel il est confronté. Un vrai grand numéro qui éclipse ceux de ses partenaires (pourtant tous motivés, surtout Richard Dreyfuss déchainé en Dick Cheney).
5. MORGAN FREEMAN
Le Président : Nelson Mandela (Invictus)
Le film : Un grand film reste à réaliser sur Nelson Mandela. C’est l’impression tenace qui ressort d’Invictus, qui aborde la fin de l’apartheid et la présidence de l’ancien prisonnier politique au travers de la victoire des Springboks à la Coupe du monde de rugby à XV de 1995. Certes, le genre du film de sport est idéal pour aborder les notions de réconciliation, d’amitié entre les peuples, de combat contre le racisme. Clint Eastwood parvient à faire passer ces messages avec bien peu de subtilité, le film étant surtout totalement dénué de rythme et d’enjeux intéressants (énorme rebondissement avant le dernier match : un avion survole le stade trop bas !). Bref, on s’ennuie, et on continue pendant deux heures à rêver à la biographie d’exception qui pourrait être tirée de la vie d’un tel homme.
L’acteur : Ami de longue date du président sud-africain, sensibilisé aux problèmes de l’apartheid (il a réalisé son unique film, Bopha !, sur ce sujet), Morgan Freeman a longtemps exprimé son envie d’incarner Mandela. Plusieurs projets ont longtemps circulé à Hollywood (l’un d’entre eux, Goodbye Bafana, s’est concrétisé avec Dennis Haysbert), et quelques années après avoir joué le premier POTUS afro-américain sur grand écran (c’était dans Deep Impact), Freeman a pu démontrer ses talents de composition avec Invictus, où il se révèle, sans surprise, parfait dans le rôle de « Madiba », adoptant son accent, son regard bienveillant et sa « zen » attitude avec beaucoup de justesse.
4. FRANK LANGELLA
Le Président : Richard Nixon (Frost/Nixon)
Le film : Scénariste multi-récompensé du prochain James Bond, Skyfall, de Deux sœurs pour un roi, et de l’officieuse trilogie consacrée à Tony Blair (avec The Queen en point culminant), Peter Morgan est aussi à l’origine de ce passionnant exercice de « rhétorique historique » tiré d’une histoire vraie. D’un côté, un animateur de talk-show en quête de succès. De l’autre, un président déchu voyant dans une proposition d’interview l’occasion de reconquérir le public et de faire oublier sa destitution. À l’arrivée, un moment de vérité pour les deux hommes, et pour une nation traumatisée par le Watergate. Un sujet en or, traité avec efficacité par un Ron Howard qui s’est rarement montré aussi habile.
L’acteur : Frank Langella connaissait déjà le rôle pour l’avoir interprété au théâtre, face déjà à Michael Sheen dans celui de Frost. Pas étonnant donc qu’il impose avec autant d’autorité sa présence dans le film. Assez éloigné physiquement de son modèle, Langella n’a toutefois pas d’égal en matière d’onctuosité menaçante, et pour rendre saisissant le moindre accès de colère d’un Nixon acculé face à la caméra. L’acteur rata l’Oscar de peu, et pour ce rôle, il ne fut pas le seul…
3. FOREST WHITAKER
Le Président : Idi Amin Dada (Le dernier roi d’Écosse)
Le film : Documentariste émérite, Kevin McDonald est passé avec succès à la fiction avec Le dernier roi d’Écosse, évocation sous tension du terrible règne du général Idi Amin Dada, libérateur/dictateur de l’Ouganda dans les années 70. Un pays qu’il aura saigné à blanc (plus de 300 000 victimes) et ruiné, avant d’être renversé et de s’exiler. Le film montre, à travers le personnage d’un jeune médecin écossais naïf, comment cet athlète devenu militaire haut gradé, ayant participé à la décolonisation du pays, a pu fasciner tout un peuple avant d’être corrompu irrémédiablement par le pouvoir, et de laisser éclater sa folie meurtrière. Moins un film politique qu’un thriller à suspense, Le dernier roi d’Écosse est toutefois intéressant pour comprendre cette période sombre de l’histoire africaine.
L’acteur : Le regard inquiétant, avec cet œil perpétuellement mi-clos, le physique massif, le rire poussif, Forest Whitaker trouve l’un des rôles de sa vie dans Le dernier roi d’Écosse. Jovial et intense, celui qui avait aussi personnifié Charlie Parker fait de Dada un leader maniant l’humour avec dextérité, un dictateur d’opérette à la harangue efficace (on pouvait le voir dans le documentaire d’époque réalisé par Barbet Schroeder) qui peut switcher en mode fou sanguinaire dans un éclair de seconde. Une performance stupéfiante qui a valu un Oscar mérité à l’acteur.
2. BRUCE GREENWOOD
Le Président : John F. Kennedy (13 jours)
Le film : Pourquoi 13 jours ? Cela correspond à la période de l’histoire des Etats-Unis, en 1962, durant laquelle l’éventualité d’une guerre nucléaire s’est présentée sous son jour le plus critique. Cette crise de la Baie des Cochons est recréée à la façon d’un ébouriffant thriller politique à grande échelle, assez bavard et dont l’issue est bien sûr connue. Il permet également de faire la lumière sur les liens professionnels étroits entre JFK et son frère, ainsi que son chef de cabinet, Kenny O’Donnell. Une passionnante leçon d’histoire.
L’acteur : JFK était la figure même d’une Amérique jeune, triomphante, sexy, porteuse d’espoir. Avec le temps, et suite à son assassinat, ce symbole des années 60 a aussi révélé ses zones d’ombre, une dualité que personnifie à la perfection Bruce Greenwood, éternel second couteau ici bluffant de ressemblance avec le véritable Kennedy. Sans en faire trop dans l’autoritarisme ou la coolitude, l’acteur bouffe l’écran dans chacune de ses scènes, éclipsant même Kevin Costner, pourtant la vraie star du film de Roger Donaldson.
1. ANTHONY HOPKINS
Le Président : Richard Nixon (Nixon)
Le film : Personne n’est plus passionné, voire obsédé, par le job de président des USA, qu’Oliver Stone. Le turbulent metteur en scène n’a jamais cessé de questionner, de remuer le passé de son pays adoré, et s’il avait déjà tiré un sacré coup de semonce avec JFK, il a rarement été aussi agressif que dans Nixon, hagiographie de plus de trois heures consacrée au complexe président du Watergate, du Viêtnam et des écoutes téléphoniques illégales. Alors en pleine période d’expérimentation visuelle, rythmique et sonore, Stone transforme son biopic en opéra shakespearien carburant à la paranoïa et aux complots en tous genre. C’est totalement excessif, parfois inutilement lourd… mais quel film !
L’acteur : On se demande encore aujourd’hui pourquoi l’Oscar a échappé cette année-là à Anthony Hopkins. L’acteur est connu pour être un sacré caméléon, s’immergeant dans chacun de ses (grands) rôles, et Richard Nixon ne fait pas exception. Hopkins est méconnaissable sous son maquillage, caractérisé par des lentilles lui donnant ces yeux dans lesquels plonge sans vergogne Oliver Stone pour y traquer le moindre sentiment – rancœur, haine, fierté, folie. On peut sans aucun problème parler de performance, tant le comédien accapare l’écran dans chacune des scènes, ouvrant une porte sur la psyché d’un des hommes politiques les plus fascinants du XXe siècle.