Donnybrook : plongée dans l’Amérique amochée
Chronique noire des laissés-pour-compte aux USA, Donnybrook braconne sur les terres de Jeff Nichols, version brutale et vénéneuse. Un sacré voyage.
Si le nom de Tim Sutton demeure inconnu en France, le cinéaste américain est pourtant à l’orée d’une carrière déjà florissante : Donnybrook est son quatrième long-métrage, et le premier de sa filmographie (où se distinguait le curieux Dark Night, cousin lointain d’Elephant qui adoptait une approche chorale pour évoquer la tuerie du cinéma d’Aurora) à passer nos frontières. Sans doute est-ce dû à la présence en tête d’affiche d’un acteur anglais populaire, le toujours intense Jamie Bell, et de la star de séries B burnées Frank Grillo. La présence de l’acteur croisé dans les Captain America et Avengers, American Nightmare 2 et 3 ou le carton chinois Wolf Warrior 2, sur l’affiche du film, ajoutée au fait que le « Donnybrook » du titre désigne un club de combats clandestins vers lequel les personnages convergent, emmènera sans doute les spectateurs sur une fausse piste. S’il est bien question de baston dans Donnybrook, et que la violence du film n’a rien de métaphorique, ce climax n’est que l’objectif lointain et dérisoire qui sert de fil rouge à une peinture de l’Amérique du Midwest, blanche, pauvre et désoeuvrée, que des Jeff Nichols (Mud, Shotgun Stories) et David Gordon Green (L’autre rive, Joe) dessinent en parallèle depuis plusieurs années.
Incarnant ici un père de famille pas si éloigné dans son dévouement protecteur et sa rage à peine contenue de celui qu’il incarnait dans Skin, Jamie Bell est Jarhead (sic), ex-marine sans ressources qui rêve de remporter le Donnybrook. Ce tournoi de lutte à mains nues (en fait une mêlée généralisée dans une cage, où tous les coups sont permis) organisé au fin fond des forêts de l’Indiana, pourrait lui permettre de gagner 100 000 dollars, et ainsi mettre sa famille à l’abri du besoin et de quitter leur mobil-home poussiéreux. Sur sa route se dressent toutefois « Chainsaw » Angus (Grillo) et sa soeur Liz (Margaret Qualley, The Leftovers), deux sociopathes sans scrupules reconvertis dans le deal de méthamphétamine, ainsi que Whalen (le sous-exploité James Badge Dale, 13 Hours), un flic pas très net qui veut mettre la main sur Angus. Rien ne pourra empêcher pourtant Jarhead d’arriver au Donnybrook, quitte à risquer sa vie pour s’en sortir…
Une échappée brutale et inclassable
On comprend en découvrant Donnybrook le casse-tête posé par sa distribution (il fut un temps question que les Jokers sortent le long-métrage en salles). Car passées l’excellence de son casting et la surcouche d’action qui peuvent lui assurer une exportation internationale plus grande que celles des précédents titres de son auteur, ce film-là est une bête inclassable. Chronique esthétisante et frontale d’un monde de laissés-pour-compte aux abois, dans lequel la violence ne résout rien mais demeure une seconde nature pour tous les hommes, thriller glauque et volontiers hard boiled, échappée atmosphérique à la Joseph Conrad bordant sur le conte cruel, à travers le personnage de croquemitaine inhumain joué par Grillo, échappé d’un No country for old men, film de baston décomplexé : Donnybrook est tout cela à la fois. Et si cette multiplicité de tons et d’approches lui assure une véritable singularité, un sentiment de trop-plein émerge aussi parfois face à une oeuvre qui ne sait pas forcément sur quel pied nous faire danser.
« Un film volontiers malaisant, aussi dispersé et (parfois) poseur qu’il peut se montrer envoûtant et choquant. »
Certaines sous-intrigues, comme celles tournant autour du flic joué par James Badge Dale, se raccrochent ainsi difficilement avec le reste du métrage. Et si chacun des personnages imprime notre mémoire, comme autant de bêtes blessées avançant vaille que vaille en cherchant la lumière au bout du tunnel, c’est avant tout dû au charisme de leurs interprètes, plus qu’à une écriture hésitante et parcellaire, qui laisse trop souvent la part au sous-entendu. Parfait en outsider infatigable refusant de laisser la vie lui rouler dessus sans s’arrêter, Jamie Bell reste la figure centrale, solide, d’un film volontiers malaisant (une scène de séduction/exécution, assez gratuite avec le recul, restera dans les mémoires), aussi dispersé et (parfois) poseur qu’il peut se montrer envoûtant et choquant, jusqu’à un épilogue qui se refuse logiquement à jouer la carte du happy end réconfortant. Vous êtes prévenus !