Vivrait-on un lent mais vrai retour à ce que l’on appelle même plus le film d’épouvante ? Des films sérieux, carburant au premier degré, assez respectueux de leur audience pour ne pas désamorcer, dans un fatigant réflexe post-moderne, toute tension un peu trop dérangeante, tout sentiment de malaise tenace ? Soyons honnêtes, on trouve toujours, au milieu de tous les avatars de Scream et Saw qui ont pullulé ces dernières années, des bandes fantastiques « authentiques » cherchant un tant soit peu à bousculer les spectateurs avec une histoire sérieuse, un travail poussé sur l’ambiance et la crédibilité – forcément relative – de leur histoire. Des artisans, assez doués pour ne pas se reposer sur la béquille artistique du found footage pour réussir à faire peur.

L’année dernière, Insidious avait réussi, pour les plus convaincus, ce fugace mais véritable exploit de faire ressentir ce frisson oublié sur grand écran, celui qui fait naître une petite boule d’angoisse au fond de l’estomac et envoie à l’occasion quelques picotements caractéristiques dans les poils de bras. Non, il n’y a pas que les mélos larmoyants qui peuvent vous impliquer physiquement dans un film : une bonne grosse frousse, une décharge d’adrénaline dans une salle obscure n’a tout simplement pas de prix. Le frisson de la fiction angoissante est tout aussi délicieux qu’inoffensif. Véritable tour de train fantôme, respectueux de ses références tout en ne craignant pas d’utiliser les artifices les plus modernes pour plus d’efficacité, Insidious avait tout de la réussite isolée. Jouissive mais bien seule.

Maison & jardin

Ellison (Hawke) et sa femme (Rylance) ont fort à faire avec les terreurs nocturnes.

Un an plus tard, les producteurs du film (qui sont aussi, nous rappelle malheureusement l’affiche, derrière Paranormal Activity) ont pourtant réussi le même pari, en faisant non pas confiance à James Wan cette fois, mais au moins « distingué » Scott Derrickson, l’homme derrière L’Exorcisme d’Emily Rose (variation bancale mais originale autour d’un thème maintes fois rebattu) et l’inutile remake du Jour où la Terre s’arrêta. À sa décharge, il n’était pas scénariste sur ce dernier, et la continuité thématique entre L’Exorcisme… et son nouveau film Sinister paraît plus évidente. De réalisateur anonyme, Derrickson devient en tout cas un talent à suivre avec cette petite production (moins de cinq millions de dollars), minimaliste à bien des égards, mais conçue, écrite et tournée avec le désir affiché d’en faire une arme de frayeurs massives.

L’histoire compte peu de personnages, et encore moins de décors, puisque tout se passe dans une maison. Le héros, Ellison (Ethan Hawke, qui persévère dans le fantastique après l’audacieux Daybreakers), est un auteur de best-sellers macabres sur le retour, un romancier enquêteur s’attaquant à des faits divers atroces et non résolus pour en tirer des bouquins à sensation. Il franchit la ligne jaune en décidant un jour de faire emménager sa famille sur les lieux même d’un crime, sans informer sa femme Tracy. Pas de quoi améliorer l’état des deux enfants, fatigués de déménager : l’aîné, Trevor, souffre déjà de terreurs nocturnes. Pas de quoi non plus faire sourire la police locale, regardant d’un air suspicieux cet écrivaillon venu « fouiner » sur les lieux d’une affaire étrange : la précédente famille a en effet retrouvée pendue à l’arbre du jardin, et le seul enfant survivant a disparu. Ellison commence malgré tout son enquête, et trouve dans le grenier un carton de films Super 8 aux titres faussement naïfs, qu’il va regarder à ses dépens…

Des familles formidables

Ellison enquête sur des séries de meurtres « en famille ». Le début des ennuis…

La séquence inaugurale de Sinister est l’un de ces films Super 8 : granuleux, à moitié brûlé, l’image tremblante, cette courte scène vise à installer dès les premières secondes un malaise persistant, une odeur de souffre qui va dès lors contaminer chaque photogramme du film. Derrickson utilise ici au mieux les possibilités de son décor horizontal filmé en format Scope, enveloppant son héros de ténèbres toujours plus envahissantes. La maison d’Ellison est en effet de plein pied, faite de grands couloirs qui favorisent les jeux sur la profondeur de champ – et donc l’irruption d’un danger invisible aux yeux des personnages. Reclus dans son bureau la nuit, ou dans la pénombre pour regarder les fameux films (qui constituent en fait autant de tueries filmées par l’auteur des crimes), Ethan Hawke compose un personnage convaincant de romancier à la dérive, confronté graduellement à une menace de moins en moins explicable, qui lui fait entendre des bruits inquiétants la nuit et apercevoir des visages au fond du jardin.

Les parallèles avec Insidious, autre film de maison hantée, ont beau être évidents (notamment le travail d’orfèvre effectué sur le sound design, dans lequel s’intègre organiquement la partition torturée de Chris Young), Sinister dispose de sa propre personnalité, loin, très loin, de l’école espagnole. S’il ne possède pas la vista technique d’un James Wan, Derrickson a de belles idées noires dans sa besace, et un talent certain pour les mettre en images. Cela se traduit notamment via l’utilisation mesurée de jump scares (peut-être pas assez, certes, mais c’est déjà mieux que les montages accélérés des Saw et, pire, que les fake scares des Scream) et de plans-séquences qui entrent peu à peu en résonance – les films en Super 8 annonçant les errances nocturnes d’Ellison, qui finit par constituer son propre « film », bruitage de projecteur à l’appui.

L’une des idées maîtresses de Sinister reste ce principe de mettre en parallèle une enquête bizarre (le film est une véritable ode au Super 8, ici élément constitutif d’une mythologie et véritable argument esthétique repris jusque dans le matériel de promotion) impliquant des familles sacrifiées, et les relations entre Ellison et la sienne. Certes, le coup du fiston somnambule ayant le chic d’effrayer son monde la nuit est un peu facile, mais Hawke et ses partenaires forment une cellule familiale crédible, gangrenée qu’elle est par les frustrations professionnelles du père (voir cette magnifique scène où Ellison ressort ses cassettes d’interview télé – l’analogique, toujours ! – pour se remémorer ses « 15 minutes de gloire »). L’impression de réalisme n’en est que plus renforcée, ce qui aide à faire passer la pilule de la deuxième partie du film, celle où Sinister rentre de plein pied dans un fantastique familier, respectant en apparence les codes du film de maison hantée pour mieux mener le spectateur du film. À ce niveau, c’est une réussite, qui déjoue toutes les attentes des cinéphiles les plus connaisseurs, sans pour autant chercher à placer LE twist révélateur – rassurez-vous, le mystère est tout de même « résolu » au dernier moment, avant une possible séquelle. Tant mieux pour l’épouvante, tant pis pour nos poils de bras.


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Quatresurcinq
Sinister
De Scott Derrickson
2012 / USA / 110 minutes
Avec Ethan Hawke, Fred Thompson, James Ransone
Sortie le 7 novembre 2012
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