Heinrich von Kleist signe en 1808 un roman fort, révolutionnaire et implacable qui deviendra un classique de la littérature allemande, Michael Kohlhaas. De la Saxe allemande aux reliefs purs et ventés des Cévennes, le réalisateur français Arnaud des Pallières (Adieux) livre une adaptation aux étranges parti-pris, qui ne rendent pas forcément justice à l’œuvre d’origine.

 [quote_right] »Comment montrer une révolte paysanne sans illustrer la mort des hommes ? »[/quote_right]

Dans un paysage désolé et perpétuellement beau, Michael Kohlhaas, marchand de chevaux, rentre chez lui avec une poignée d’équidés destinés à être vendus. En chemin, il entre sur les terres d’un Baron qui a récemment installé un péage. Faute d’argent, il laisse deux étalons en gage au seigneur et demande à son valet de rester auprès d’eux. À son retour, Kohlhaas découvre que ses cheveux ont été maltraités et son valet blessé. Le commerçant réclame en vain justice. La mort de sa femme, venue plaider sa cause à la « Cour de la Princesse », déclenche la révolte du maquignon qui vend ses terres pour acheter des troupes qui mettront ce territoire fertile à feu et à sang.

Un homme, des chevaux

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Arnaud des Pallières plante sa caméra sur un décor superbe fait de montagnes à perte de vue et de maisons en pierre torturées par la rudesse du climat. Il livre une reconstitution plutôt authentique de la France du XVIe siècle. Le réalisateur choisit de mettre en avant le cheval, pour sa beauté animale et pour représenter l’homme valeureux, puissant, blessé et humilié. L’autre obsession du metteur en scène reste Michael Kohlhaas, à savoir Mads Mikkelsen (Hannibal), au français parfois phonétique, quasiment de tous les plans. Il apparaît bestial, imposant et d’une beauté lentement détaillée. Malgré les dons d’acteurs incroyables du danois, les gros plans successifs sur sa personne finissent par devenir redondants, tant le rythme du film est lent. Le casting international laisse malheureusement peu de place aux seconds rôles. L’Allemand Bruno Ganz (Night Train to Lisbon) reste, comme les autres, dans l’ombre du héros de l’histoire.

Vide dramatique

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Malgré son côté iconique, cette image de l’acteur de Pusher II, déterminé, épée dans le dos, cheveux grisonnants au vent et dominant la plaine indomptable sur un cheval sombre ne construit pas pour autant l’histoire et le message d’un homme devenu une légende. Il ne suffit pas de montrer dix figurants partant à la bagarre pour décrire la guerre. Le refus d’Arnaud des Pallières de montrer la violence, en recourant systématiquement à l’ellipse et au hors-champ, engendre un film trop sage, sans tension dramatique ni remous. Comment montrer une révolte paysanne sans vraiment illustrer la mort des hommes ? Alors que le film semble un moment s’inspirer des Sept samouraïs de Kurosawa, il évoque plutôt, osons le dire, un téléfilm de France Télévisions. Sa mise en scène classique, voire austère, se permet paradoxalement des excès de modernisme en particulier dans ses dialogues. Il ne faudra pas chercher de caution historique dans cette réalité transposée. Arnaud des Pallières filme l’action sous un angle tellement intime qu’elle manque d’un recul salutaire. Ajoutez à cela un montage d’une sécheresse décourageante, et l’intrigue devient parfois véritablement obscure.

Alors que cette histoire vraie fût jadis portée par une incroyable force, basée sur l’intégrité au-delà de la matérialité, le film d’Arnaud des Pallières perd le sens d’origine pour se fondre dans une métaphore animale de plus de deux heures, aux intentions cinématographiques aussi nobles que prétentieuses.


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Michael Kohlhaas de Arnaud des Pallières
2013 / France / 102 minutes
Avec Mads Mikkelsen, Bruno Ganz, Mélusine Mayance
Sortie le 14 août 2013
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