Lorsque Sylvester Stallone a annoncé il y a maintenant quelques années son intention de réunir, sur un même écran, les plus grandes stars du film d’action « à l’ancienne », c’est toute une génération bercée aux VHS et aux posters religieusement détachés dans des magazines de karaté, qui a dressé d’un coup l’oreille. Manifestement, celui qui a revitalisé par sa seule force de conviction les deux franchises qui avaient fait sa gloire (Rocky et Rambo, pour les deux qui ne suivraient déjà plus), comblait là un vide, à peine rempli par de nouvelles franchises musclées comme les Jason Bourne, ou, surtout, les films de super-héros.

La gloire et la peur

Sly et Chuck. Le personnage de Norris est utilisé comme un deus ex machina improbable, tourné en dérision.

Relégués à l’anonymat du DVD, les gros bras qui trustaient le haut du box-office aux premières heures de gloire des vidéoclubs ont emmené avec eux cette vision délicieusement simpliste et vindicative du cinéma. Gagner la guerre avec deux Uzis, déjouer un complot national à coups de pieds retournés, dézinguer un bataillon de terroristes avec juste quelques égratignures, sauver le monde à l’aide d’une punchline : les ingrédients des hits qui ont construits dans les années 80 les carrières d’un Stallone, d’un Schwarzenegger ou d’un Van Damme sont faits pour être mélangés à l’infini, avec plus ou moins de bonheur et d’inspiration. On peut voir ce genre de cinéma-là avec l’œil compatissant mais condescendant de celui qui trouve vaine une telle démonstration d’égocentrisme guerrier, fusse-t-elle chargée en ironie salvatrice (hello, McClane). On peut aussi considérer que le cinéma, en tant que divertissement, a toujours eu besoin de héros bigger than life, que les mythes modernes se construisent peut-être là, dans ces séries B à gros budgets devenues partie intégrante d’une sous-culture, regardées de haut mais finalement plus influentes qu’on aimerait le penser (cela fait bien longtemps que Rambo, Terminator ou Ivan Drago ont dépassé le stade de simple personnage de fiction). Il suffit de voir le traitement infligé à Tony Scott, quelques heures après sa mort, par une partie de l’intelligentsia critique parisienne, pour s’apercevoir que le venin est toujours prêt à être craché sur cette frange de films populaires et (pour certains) sous-estimés.

On n’en voudra donc pas à Stallone d’avoir partiellement loupé le premier rendez-vous donné par ses Expendables en 2010 : techniquement assez limite, écrite avec les pieds, montée à la truelle, cette rutilante machine de guerre avait plus réussi son coup niveau marketing qu’artistique. Le revers de la médaille, c’est que la séquelle annoncée dès la sortie du film était devenue aussi attendue que redoutée. Plus de stars, plus de moyens (le tournage en Bulgarie a permis d’économiser de précieux millions de dollars), plus de buzz, l’embauche d’un cinéaste jadis prometteur mais compromis depuis bien longtemps dans des nanars commerciaux sans âme…

L’enfer du « devoir »

Comme prévu, Van Damme et son pote Adkins forment un sacré couple de salopards.

À l’arrivée, Expendables 2 n’a certes rien d’un grand film réflexif à la Dark Knight. Ce n’est pas le but. Ce qui fait son prix, c’est la réunion, bien réelle, d’un casting au-delà de tout fantasme raisonnable dans une même histoire, sur un même écran. Stallone, co-scénariste de cet opus, a du réussir à caser en 95 minutes (hors générique) de quoi contenter la fanbase de toutes ses stars invitées, quitte à verser dans le fan service le plus agressif à de nombreuses reprises : Chuck Norris, qui semble avoir bénéficié d’une doublure digitale tant il est lifté, récite lui-même un « Chuck Norris Fact » après avoir été introduit sur fond d’Ennio Morricone ; Dolph Lundgren intègre son propre CV d’ingénieur au passé de son Gunner Jensen ; Arnold n’en finit plus de dire qu’il va revenir, qu’il est revenu, qu’il repassera par là ; quant à Van Damme, il est moins là pour incarner un personnage de méchant que pour être lui-même, cabotin tout en aphorismes et gentiment perché.

Avec un casting pléthorique à gérer et le ratage partiel d’un premier opus à rattraper, c’est presque un miracle que Simon West et Sly aient réussi à caser un semblant d’intrigue : nul besoin de dire que les incohérences sont ici aussi flagrantes et béantes que les trous dans la couche d’ozone. Ou que les personnages se téléportent d’une scène à l’autre sans le moindre souci de gestion temporelle. À aucun moment le film ne s’embarrasse d’une quelconque crédibilité (à quoi bon envoyer le sniper incarné par le jeunot Liam Hemsworth surveiller depuis les hauteurs une plaine plongée dans le brouillard ? Pourquoi refuser de protéger des villageois lorsqu’il s’avère, dès la minute suivante, que c’est exactement ce que les Expendables font ? Pourquoi utiliser des armes lourdes pour tirer sur un convoi transportant du plutonium ?). Quitte à le faire muter, dans le climax situé dans un aéroport  – pompé sans vergogne sur une séquence du jeu Call of Duty – en espèce d’installation expérimentale en roue libre, où toute notion de logique, de montage, de bon goût et de bon sens est évacuée au profit d’un besoin de destruction orgasmique, de défouloir où pleuvent les douilles et les cadavres de figurants.

« Repose en pièces ! »

Jet Li et Statham en retrait, Crews, Couture et Lundgren ont tout loisir pour composer un trio comique saugrenu.

Expendables 2 est donc excessivement bourrin, qu’on se le dise. On y tue six soldats en deux nanosecondes à 500 mètres de distance, la moindre mitraillette fait sauter toute une maison, un coup de poing suffit à expulser un litre de sang, et les explosions de tête, dans un hommage sûrement involontaire à Scanners, y sont légion. Chuck Norris et son envie de plaire aux nenfants auront donc été peu écoutés, et c’est tant mieux vu le CV des colosses alignés. Le film se révèle plus équilibré que son prédécesseur, réduisant au minimum les apartés comiques ou dramatiques, avec lesquels l’équipe n’est manifestement pas très à l’aise. Le ton outrageusement méta et volontairement caricatural (on rappelle que le méchant s’appelle ici « Vilain », ou veuleyïn avec l’accent) n’autorise pas à traiter avec autre chose qu’un petit rire une scène d’enterrement, l’évocation de la guerre en Afghanistan ou l’exploitation sadique de villageois d’Europe de l’Est.

Ainsi ramassé, dégraissé de tout élément qui ne serait pas divertissant et/ou spectaculaire, Expendables 2 parvient parfois à faire oublier par le plaisir qu’il procure les défauts de conception qu’il trimballe. On jubile quand le « jeunot » Scott Adkins se retrouve mano a mano contre Statham, ou quand le coup de pied retourné aérien d’un JCVD décalque la mâchoire d’un Stallone pourtant toujours enclin à bourrer son adversaire de punchs à l’estomac. Plaisir simple, primitif, mais réel et bel bien cinématographique de voir des icônes tout sauf virtuelles avoir à nouveau accès à un terrain de jeu déserté depuis bien longtemps par les majors. On a beau avoir grandi, mûri, être passé à une ère de fiction post-moderne, ce « wow » béat qui s’échappe après une punchline ou un coup de tatane bien senti, part toujours au quart de tour. C’est qu’on serait presque prêt pour une suite, finalement.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
Expendables 2
De Simon West
2012 / USA / 103 minutes
Avec Sylvester Stallone, Jason Statham, Bruce Willis
Sortie le 22 août 2014
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