Hitchcock : les 10 commandements du maître du suspense
Souvent copié, rarement égalé, Alfred Hitchcock a défini en cinquante ans de carrière les règles du suspense au cinéma. Voici dix commandements à suivre !
À défaut d’être un événement artistique, la sortie de Hitchcock, ainsi que celle, qui remonte à quelque mois, du coffret Blu-Ray événementiel édité par Universal, permet de rappeler qu’au-delà du folklore et du nom lui-même, rentré dans le langage courant, l’univers d’Hitchcock irrigue toute une partie du cinéma moderne. Le cinéma de genre, en particulier, du thriller à l’épouvante, se repose souvent sur les techniques, ainsi que les règles édifiées en son temps par un réalisateur omnipotent, aussi précis et obstiné dans sa direction d’acteurs que dans ses mouvements d’appareil ou ses fameux caméos. L’influence des Oiseaux, de La mort aux trousses ou de Fenêtre sur cour est encore palpable aujourd’hui, partout, dans tous les pays.
Comme de nombreux autres maîtres du septième art, tels que Kubrick ou Michael Powell, Hitchcock ne laissait rien au hasard une fois sur le plateau. Les entretiens menés entre le réalisateur et François Truffaut, en plus d’être une véritable et ample leçon de cinéma à destination de tout cinéaste débutant, révèlent qu’Hitchcock avait étudié de long en large les composantes de son propre cinéma, rempli d’obsessions, de motifs et de trucs répétés et améliorés de film en film. Le réalisateur de Psychose n’avait pas été surnommé le « maître du suspense », dès son arrivée aux USA dans les années 40, pour rien. Puisque Sacha Gervasi n’a pas daigné nous rappeler avec son timide biopic quelles étaient ces règles qui faisaient qu’un thriller pouvait être qualifié d’« hitchcockien », voici les 10 commandements à suivre pour réaliser un grand film à suspense. Ou à défaut, en reconnaître un.
DE TON HÉROS, UN INNOCENT TU FERAS
C’est la marotte favorite de sir Alfred, déclinée depuis ses débuts dans son Angleterre natale jusqu’à Frenzy (1972) : faire de son héros, non pas un angelot sans défauts, mais un innocent. Pris au piège, pris pour un autre, des 39 Marches à La mort aux trousses, la filmographie d’Hitchcock est pleine de ces protagonistes généralement pleins de ressources, qui font avancer l’action en tentant de prouver leur innocence. Cette obsession se teinte d’un certain désespoir dans le bien-nommé Faux Coupable, où Henry Fonda est incarcéré parce qu’il ressemble à la description d’un malfrat recherché par la police. Le quiproquo n’est alors plus synonyme d’aventure picaresque, mais de tragique fait divers : cela n’en fournit pas moins un excellent prétexte pour que le spectateur, qui sait lui qu’il est innocent, prenne fait et cause pour le héros.
TA BLONDE PATIEMMENT TU CHOISIRAS
Il est dit qu’Hitchcock préférait les blondes, non pas parce qu’il fantasmait plus sur elles que sur les brunes, mais parce qu’elles passaient mieux à l’image à l’époque du noir et blanc. Le Technicolor n’aura en tout cas rien enlevé au pouvoir de fascination exercé par le cinéma de Hitchcock pour la gent féminine : l’héroïne, qui se doit donc d’être blonde, doit être aussi glaciale qu’impétueuse, aussi mondaine que mystérieuse. Ce n’est pas pour rien que Vertigo est considéré comme l’un des films les plus personnels de son auteur : lorsque James Stewart décide de refaire la garde-robe et la coiffure de la « rousse » Kim Novak… c’est pour mieux la transformer en blonde hitchcockienne, insaisissable et irrésistible à la fois. De quoi séduire et fasciner, durablement, son audience.
TON MÉCHANT TU SOIGNERAS
Qui n’a pas entendu un réalisateur ou un producteur vanter les mérites de son œuvre en rappelant l’expression de Hitchcock : « Meilleur est le méchant, meilleur sera le film » ? Maître Alfred était impitoyable avec les films où il n’avait pas réussi à imposer un personnage de méchant anthologique. Si celui-ci doit être synonyme de danger, il doit être soigné et réaliste. De L’Ombre d’un doute et son distingué tueur de veuves au suave James Mason dans La mort aux trousses, en passant par le tueur à la cravate de Frenzy, la filmographie de Hitchcock est une véritable galerie de vilains en tous genres, cachant derrière une apparence souvent distinguée et cultivée de sombres pulsions. La séduction alliée à la fourberie : un cocktail dont Hollywood saura se rappeler aux fil des années (deux mots : Hans Gruber).
UN MACGUFFIN TU UTILISERAS
L’expression serait le fait d’un collaborateur d’Alfred Hitchcock, Angus MacPhail, mais elle est de toute manière associée de manière indélébile au réalisateur. Le MacGuffin désigne un artifice scénaristique imparable : un objet après lequel tous les protagonistes de l’histoire courent, mais qui n’a au final aucune espèce d’importance pour le spectateur. Songez-y : quels sont ces secrets à causes desquels tout le monde pourchasse Cary Grant dans La mort aux trousses et Robert Donat dans Les 39 marches ? Ou le but de l’uranium caché dans les bouteilles de vin dans Les Enchaînés ? Le MacGuffin révèle la beauté intrinsèque du cinéma, qui est qu’on peut se passionner pendant deux heures pour un enchaînement de péripéties, sans avoir à se soucier de la justification de cette histoire. Le MacGuffin reste encore utilisé aujourd’hui dans de nombreux films d’action, comme par exemple Mission : Impossible III, où la « patte de lapin » est une illustration presque parodique du procédé.
DE L’HUMOUR NOIR, JAMAIS TU NE TE PRIVERAS
Texte 5Cinéaste populaire, Hitchcock était aussi, c’est plus rare, un grand formaliste : formé à l’école du muet, passé par tous les échelons d’une production cinématographique, il connaissait, dès les années 30, tous les « trucs » pour créer à l’écran l’effet désiré pour raconter son histoire. Ce qui ne l’empêchera aucunement d’en inventer de nouveaux, en collaboration avec des équipes techniques qui lui étaient entièrement dévouées : les trucages novateurs de Cinquième colonne, la séquence de rêve de La Maison du docteur Edwards, les plans-séquences de La Corde, la 3D du Crime était presque parfait, les plans composites des Oiseaux ou bien encore le fameux « effet Vertigo », aussi appelé travelling compensé, qui, de Spielberg aux Wachowski en passant par Kassovitz, aura séduit de nombreux metteurs en scène. Hitchcock, mieux que quiconque, savait que le 7e art n’était pas une discipline figée, mais un laboratoire où la technique à employer devait découler du récit. La leçon n’est, malheureusement, pas toujours suivie de nos jours…
AVEC LA CAMÉRA, TOUJOURS TU INNOVERAS
Cinéaste populaire, Hitchcock était aussi, c’est plus rare, un grand formaliste : formé à l’école du muet, passé par tous les échelons d’une production cinématographique, il connaissait, dès les années 30, tous les « trucs » pour créer à l’écran l’effet désiré pour raconter son histoire. Ce qui ne l’empêchera aucunement d’en inventer de nouveaux, en collaboration avec des équipes techniques qui lui étaient entièrement dévouées : les trucages novateurs de Cinquième colonne, la séquence de rêve de La Maison du docteur Edwards, les plans-séquences de La Corde, la 3D du Crime était presque parfait, les plans composites des Oiseaux ou bien encore le fameux « effet Vertigo », aussi appelé travelling compensé, qui, de Spielberg aux Wachowski en passant par Kassovitz, aura séduit de nombreux metteurs en scène. Hitchcock, mieux que quiconque, savait que le 7e art n’était pas une discipline figée, mais un laboratoire où la technique à employer devait découler du récit. La leçon n’est, malheureusement, pas toujours suivie de nos jours…
DU SPECTATEUR, UN COMPLICE TU FERAS
L’une des rares séquences éclairantes du film de Sacha Gervasi illustre, à l’aide d’une métaphore lourdaude mais bien vue, l’une des caractéristiques majeures du cinéma selon Hitchcock : connaître et anticiper les réactions du public. Se placer dans sa position, à chaque nouvelle scène, pour mieux le manipuler. Dans le film, le cinéaste assiste à la première de Psychose et ponctue, comme un chef d’orchestre, tous les cris du public découvrant le film : ceux-ci arrivent à chaque fois comme autant de bonnes notes, parfaitement placées et exécutées. L’un des exemples de ce contrôle absolu qu’avait le metteur en scène sur son audience réside justement dans Psychose, lorsque Norman Bates, qui n’est encore pour nous qu’une victime de sa mère abusive, doit faire couler la voiture de Marion Crane dans l’étang. Il s’agit de couvrir un crime, et pourtant, quand la voiture refuse de couler, nous sommes aux côtés de Bates, complices pour un temps. Victimes, consentantes, d’un jeu de dupes orchestré par un créateur omnipotent.
LA POLICE, TOUJOURS TU ÉLOIGNERAS
Hitchcock a souvent rappelé combien la punition de son père, qui l’avait fait « enfermer » enfant dans une cellule de commissariat pour lui donner une bonne leçon, l’avait traumatisé à vie. C’est une célèbre anecdote, bien utile pour expliquer son peu d’intérêt pour les forces de l’ordre dans ses films. Mais la relégation des représentants de la justice au rang de figurants est aussi placée sous le signe du bon sens : comme le rappelait le cinéaste dans ses interviews, éloigner la police des héros était aussi une condition sine qua non pour poursuivre l’histoire ! C’est un peu comme les portables aujourd’hui : il faut trouver une solution dans le scénario pour que les personnages ne s’en servent pas, sinon il n’y pas plus de suspense. D’où cette constante, typique d’une œuvre hitchcockienne : un univers où les protagonistes s’affranchissent des lois, le temps d’une fiction échappant au cadre rigide de la réalité.
TON AUDIENCE TU SURPRENDRAS
Déjouer les attentes, rompre avec les clichés habituels : qu’y a-t-il de plus essentiel que de surprendre le spectateur blasé en jouant sur sa connaissance du cinéma, ou des codes de la fiction ? En tant qu’expérimentateur avisé, Hitchcock ne pouvait se lancer dans un projet de film sans avoir quelques tours dans sa manche à jouer à son audience. Le plus osé, et sans doute le plus réussi de ses coups de bluffs aura été de faire croire au public de Psychose que Janet Leigh était bien l’héroïne du film… avant de l’assassiner au bout d’une demi-heure durant la plus célèbre scène de douche de l’histoire du 7e art. Imaginez-vous en 1960, découvrant avec stupeur ce retournement de situation inimaginable pour l’époque ! Depuis lors, le thriller, le fantastique, ont tous été irrigués par ce sens du twist, ce besoin de redistribuer tout d’un coup les cartes pour laisser bouche bée une audience prise au dépourvu.
MAIS À LA SURPRISE, LE SUSPENSE TU PRÉFÉRERAS
Last but not least, comment terminer cette petite bible sans évoquer la plus célèbre maxime du réalisateur britannique : la différence entre surprise et suspense ? Rappelez-vous : deux personnes discutent à table, une bombe est cachée en-dessous. Si vous le faites savoir au public, vous créez le suspense. Si elle explose tout d’un coup, c’est une surprise. Hitchcock a raison de préférer le premier choix : dilater le temps pour mieux créer l’attente, faire grimper la tension pour faire naître des sueurs froides plutôt que des sursauts, qu’y a-t-il de plus intrinsèquement cinématographique ? Quand Cary Grant se retrouve pourchassé par un avion dans le désert, ou que Grace Kelly fouille l’appartement d’un tueur sous le regard impuissant de James Stewart, quand les écoliers doivent fuir une horde de corneilles immobiles ou que Vera Miles descend dans la cave de la maison Bates, le suspense est à son comble. Le plaisir du spectateur, décuplé. C’est cette sensation délicieusement perverse que cherchent à reproduire depuis 50 ans tous les héritiers d’Hitchcock. Avec ou sans succès. Peut-être n’ont-ils pas suivi tous les commandements…