Faites un test : en prononçant le mot Hitchcock, il y a de fortes chances pour que le plus distrait des non-connaisseurs puisse au moins remettre un visage, à défaut d’un film, sur le nom du maître du suspense. Plus qu’un univers ou une œuvre matricielle pour tout étudiant en cinéma, Hitch’, c’est aussi et avant tout une silhouette, une « gueule » rendue célèbre, c’est un paradoxe, par la télévision. Avec plus de 200 introductions filmées pour sa série Alfred Hitchcock présente, le rondouillard cinéaste britannique s’était invité, entre ses tournages, dans les foyers de chaque spectateur des années 50, pour y imposer ses bons mots et son humour noir tout particulier.

Hitchcock, l’homme derrière la caméra, était un personnage aussi fascinant que ses films. Dans les entretiens avec un François Truffaut exégète et passionné, comme dans les pavés de l’expert Donald Spoto, on découvre un homme de plus en plus en décalage avec son époque, très « vieille Angleterre », effrayé par les forces de l’ordre, peu concerné par les choses du sexe (il se trouve être complexé par son embonpoint, et fait lit à part avec son épouse Alma Reville), un gentleman à la vie rangée qui n’a de passion que pour les histoires de meurtre et les starlettes glacées et inatteignables, qu’il s’acharne à couver et à modeler pour en faire ses choses. Surtout, l’homme a une relation dévote à son art, qu’il analyse et dissèque comme peut-être aucun de ses contemporains. Il y a beaucoup à redécouvrir dans la cinquantaine de longs-métrages que Hitch a réalisé, qui eux sont par contre très en avance sur leur temps.

Hitchcock pour les nuls

Hitchcock : le maître méritait mieux

Le « biopic » réalisé par Sacha Gervasi choisit, comme My week with Marilyn, de concentrer son scénario sur une partie de la vie de Hitchcock. Lorsque Hollywood se penche sur les petites histoires derrière sa grande Histoire, les réalisateurs ont souvent le second rôle. Sir Alfred est lui d’une autre trempe, de par sa personnalité même (on peut attendre encore longtemps un film intitulé Hawks ou Mankiewicz), et c’est donc un de ses distingués compatriotes, Sir Anthony Hopkins, qui se glisse sous un épais maquillage pour interpréter l’icône au fait de sa gloire, après la sortie de La mort aux trousses. Un casting de stars – Hitch aurait approuvé – se bouscule au portillon pour l’occasion. Le film raconte les « dessous » du tournage de Psychose (1960), un pari osé de quasi film d’horreur en noir & blanc qui donnait à l’époque des sueurs froides (sic) au studio Paramount chargé de distribuer la chose, adapté d’un roman de gare de Robert Bloch. Seulement, Hitchcock, le film, pour répondre à on ne sait quel impondérable artistique, choisit de ne pas traiter ce sujet, et préfère opter pour un portrait matrimonial et psychanalytique d’un simplisme effarant.

[quote_left] »Hitch’, c’est aussi et avant tout une silhouette, une « gueule » rendue célèbre, c’est un paradoxe, par la télévision »[/quote_left] L’histoire se résume ainsi à une crise de couple d’une folle platitude, réduisant le tournage d’un classique du cinéma à une toile de fond servant à illustrer les tourments psychologiques (voire les démons lubriques, boouuh !) d’un sexagénaire frustré. Hitchcock n’est pas dépeint comme le génie concentré qu’il était, doté d’un humour très personnel et parfois autoritaire, mais comme un égocentrique pervers au rire stupide, occasionnellement boulimique et obéissant tel un enfant trop gâté à sa femme/matronne partie, ô trahison, écrire un scénario pour quelqu’un d’autre que son mari au bord de la mer. Pa-ssio-nnant. Et surtout très réducteur, considérant le chef d’œuvre charnière sur lequel le film choisit de s’attarder. Qu’apprend-t-on au final sur Psychose ? La fameuse anecdote concernant l’apparition de la chasse d’eau au cinéma, les réticences du réalisateur à inclure de la musique sur la célèbre scène de la douche, et surtout le rejet initial des studios qui amène le réalisateur, alors en fin de contrat, à financer avec ses propres deniers le tournage d’un film shooté à l’économie avec une équipe issue de la série télé Alfred Hitchcock présente. Les conditions de tournage du film n’étaient en rien comparables à celles d’Apocalypse Now, de Cléôpatre ou de la Splendeur des Amberson. Faire passer la timidité de Paramount pour un obstacle dantesque à la vision d’artiste de Hitchcock fera rire n’importe quel amateur, éclairé ou non, du réalisateur : c’est un enjeu de pacotille dans un film qui en est par ailleurs dénué. Malgré la source littéraire sur laquelle il s’appuie, le scénario ne nous apprend rien d’exceptionnel, et se borne à réciter son Hitchcock pour les nuls avec la finesse d’un char Leclerc dans une rue piétonne. Quand une corneille en vient se poser sur l’épaule de Hopkins comme pour nous dire « Hey ! C’est le type qui a réalisé Les Oiseaux, vous vous souvenez ? », on a déjà les côtes fêlées tant Gervasi (pourtant venu du documentaire, celui sur le groupe Anvil en particulier) s’est obstiné à nous les bourrer de coups de coudes.

Portrait de femme

Hitchcock : le maître méritait mieux

Alors pourquoi ce film ? Pourquoi réduire un patronyme aussi fascinant à un marivaudage anecdotique où les vrais acteurs de la réussite, pas si gagnée d’avance, de Psychose, sont laissés de côté ? Saul Bass, Bernard Herrmann, Janet Leigh (personnifiée par Scarlet Johansson comme une jeune maman angélique et compréhensive… et c’est tout) et même Anthony Perkins, qui pourtant trouve une personnification idéale sous les traits inquiets de James d’Arcy, sont sacrifiés en faveur de la chronique de desperate housewife concoctée avec paresse par le coscénariste de Black Swan, John McLaughlin. Il y a de bonnes choses (l’illustration du « réalisateur manipulateur » dans cette scène de la première du film, lorsque Hitchcock anticipe toutes les réactions du public), mais les fausses bonnes idées abondent (faire jouer Hopkins face caméra pour imiter les introductions, mettre en parallèle le tournage de la scène de la douche avec les scènes d’intimité entre Hitch et sa femme) et les vrais mauvais concepts pointent parfois le bout de leur nez hideux : Hitch se retrouve par exemple projeté à plusieurs reprises dans ses séquences fantasmées où il converse… avec le serial-killer Ed Gein, dont les meurtres avaient inspiré le personnage de Norman Bates. Pourquoi lui et pas Bates ? Pourquoi, tout court ? Hitch était un serial-killer refoulé ? Hein ? Quoi ? Nevermind, my dear.

Dans le rôle d’Alma Reville, Helen Mirren, même si elle ne ressemble pas DU TOUT à la femme qu’elle interprète (en vrai comme à l’écran), est en fait la vraie héroïne du film. C’est elle qui hérite des meilleurs dialogues et moments propices à un numéro d’actrice, comme lors de cette scène où elle résume dans une lyrique tirade tout le côté ingrat de sa carrière, qui l’a cantonnée dans l’ombre de son mari alors qu’elle était son premier critique et partenaire. La passion qui émane de l’actrice fait qu’on a presque l’impression d’être dans un autre film, un autre sujet. En grande partie parce qu’Hopkins, aussi plâtré qu’une statue du musée Grévin, se borne en face à singer les mimiques, les mouvements de lèvres et les poses iconiques du réalisateur sans jamais avoir l’air une seconde d’être véritablement dirigé. L’impression tenace d’assister à un one man show très personnel rend le numéro de cabotinage de l’acteur encore plus énervant, et indigne d’un projet qui n’avait de toute façon dès le départ rien à raconter. Un conseil : les chefs d’œuvre du maître viennent de ressortir, resplendissants, en Blu-Ray avec une tripotée de documentaires. Il y a certainement plus à apprendre dans ces réalisations-là que dans ce concours de sosise tirant vers le bas l’art même qu’il est censé magnifier.

Note BTW 


2Hitchcock

De Sacha Gervasi / 2012 / USA / 98 minutes

Avec Anthony Hopkins, Helen Mirren, Toni Collette

Sortie le 6 février 2013