Bien que Le Quatrième pouvoir (Die Vierte Macht dans la langue de Goethe) nous vienne d’Allemagne, c’est avant tout, et exclusivement, de la Russie dont on parle ici. Avant que l’action ne démarre, un texte sur fond noir nous apprend que l’histoire et ses personnages sont une œuvre « de pure fiction ». Comme souvent, est-on tenté de répondre à voix haute, avant de se dire qu’un tel message (qui sera d’ailleurs repris dans le générique de fin, histoire de bien nous l’enfoncer dans le crâne) annonce sans doute une œuvre, sinon polémique, du moins inspirée en partie de faits tellement réels qu’il serait un peu suicidaire de reprendre les vrais noms et situations.
L’homme qui ne savait rien sur rien
Pour ceux qui ne le sauraient pas, l’expression de « quatrième pouvoir » désigne en fait l’univers des médias et de la presse. Logique, puisque le héros du film, Paul, est un journaliste allemand venu faire une pige de quelque mois dans le journal moscovite où son père travaillait avant de décéder. Paul doit s’occuper des pages people de cet équivalent de Paris Match, et parvient sans trop de problèmes à s’acclimater aux nuits de fêtes à la russe (avec beaucoup de champagne et de la techno dépassée, donc) en compagnie de son pote photographe, Dima. Les choses changent au moment où il tombe amoureux d’une collègue activiste, Katja. Dima conseille sagement au tombeur d’éviter ce genre d’histoire avec les filles, mais trop tard : impliqué malgré lui dans un attentat à la bombe, Paul est soupçonné de terrorisme et jeté en prison. Le début d’un lent réveil politique pour le naïf reporter, qui doit faire la lumière sur son passé et les activités de son père pour se sortir de ce guêpier…[quote_right] »Le film est efficace, même si la plupart de ses rebondissements sont pour le moins prévisibles, et que le personnage de Paul est un peu invraisemblable. »[/quote_right]
On avait quitté le jeune cinéaste Dennis Gansel sur le plaisant mais fade Nous sommes la nuit, film de vampires branché et féministe qui surfait un peu trop sur la vague émo-vampirique pour convaincre, surtout après le tendu et implacable La Vague, qui l’avait fait connaître dans le monde entier. Gansel, qui s’est basé en partie sur sa propre expérience de voyage en Russie, revient ici aux affaires on ne peut plus sérieuses, avec un thriller qu’on pourrait qualifier de classique, mais cachant pourtant bien son jeu. Paul, interprété par la star teutonne Moritz Bleibtreu (L’Expérience, Munich, Les femmes de l’ombre) est la parfaite incarnation de l’innocent – voire gros bêta – pris au piège d’une machination qui le dépasse, par amour pour une femme. Cynique et un poil inculte, le fringant rédacteur est forcé d’ouvrir les yeux sur la situation politique d’un pays dont il ne connaissait jusqu’ici même pas la langue. Oui, oui, il parle anglais à des russes alors qu’il est journaliste. C’est l’une des nombreuses grosses ficelles dont use Gansel pour nous guider, mécaniquement, vers la résolution du complot introduit par une spectaculaire séquence d’attentat. En effet, Le quatrième pouvoir est un thriller conspirationniste, qui n’hésite pas à faire siennes les théories sur « l’État mafieux » soutenues par Alexandre Litvinenko (l’agent double du FSB empoisonné en 2006) et le journaliste Luke Harding (expulsé du pays en 2011 après ses articles publiés dans The Guardian). Plus que de souligner une évidence (la Russie n’est pas le pays le plus clean qui soit politiquement parlant), le réalisateur-scénariste cherche ici, à la manière d’un Costa-Gravas, à accuser les politiciens en place au Kremlin, et plus particulièrement Vladimir Poutine.
Ceci est une fiction
Mais Gansel nous prévenait dès le départ : bien que s’appuyant sur des faits bien réels (les attentats à Moscou de 1999, qui avaient entrainé la guerre « anti-terroriste » en Tchétchénie), Le quatrième pouvoir est une fiction, et les alter egos d’Eltsine et de Poutine qui apparaissent brièvement à l’image n’ont ni le même nom, ni la même apparence. Costa-Gavras avait usé de ce stratagème avec Z, qui pointait la Grèce du doigt sans la nommer. Gansel est lui plus maladroit, en ce qu’il nous parle ouvertement de la Russie actuelle (sa corruption généralisée, ses manifestations réprimées, sa presse muselée par les grands patrons, ses prisons peuplées de tchétchènes en attentes de procès qui ne viendront jamais) tout en se réfugiant derrière une caution artistique qui diminue de fait la portée de son discours, rendu de plus quelque peu ambigu par le raccourci implicite qu’il fait avec les attentats du 11 septembre.
Le film est efficace, même si la plupart de ses rebondissements sont pour le moins prévisibles, et que le personnage de Paul est un peu invraisemblable. La bouille exorbitée de Bleibtreu est, comme dans L’expérience, idéale pour appréhender les sentiments d’incompréhension et d’injustice qui étreignent Paul au fur et à mesure qu’il fait la lumière sur le mystère qui entoure la mort de son père, ou le rôle joué par Katja dans les attentats. On suit son périple comme dans un bon petit film paranoïaque des années 70, mais le côté « J’accuse » du scénario paraît lui bien trop simpliste et timide pour convaincre. À quand un cinéaste russe pour se pencher sur ce thème ô combien explosif ?
Note BTW
Le quatrième pouvoir (Die Vierte Macht)
Un film de Dennis Gansel / 2012 / Allemagne / 115 minutes
Avec Moritz Bleibtreu, Rade Serbedzija, Kasia Smutniak
Sorti le 18 février chez BAC Films