Si Leonardo Dicaprio a pu affronter un ours dans The Revenant, pourquoi pas Raphaël Personnaz dans Les forêts de Sibérie ? Effectivement, c’est sans trucage que l’enquêteur de L’Affaire SK1 se retrouve face à face avec cet animal sauvage et menaçant, mais aussi à une nature enivrante et hostile. Il raconte d’ailleurs les dessous de cette séquence dans l’entretien auquel nous avons assisté. Dans les forêts de Sibérie est l’adaptation de l’essai éponyme de l’écrivain aventurier Sylvain Tesson. Ce dernier a vécu pendant plus d’un an dans une cabane au nord-ouest du lac Baïkal, en Russie, où il fait en moyenne – 15° les bons jours. De cette vie d’ermite en harmonie avec la nature, Safy Nebbou (Le cou de la girafe) et son coscénariste David Oelhoffen (Loin des hommes) ne retiendront pas la personnalité forte, teintée d’un poil de nationalisme, de l’aventurier. C’est un (jeune) homme universel, dont le passé importe peu, qu’incarne avec brio Raphaël Personnaz.

Émerveillement glacé

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Teddy a besoin d’une parenthèse dans sa vie citadine. Il veut « déconnecter » et pour cela il a tout laissé tomber. Il réalise son rêve : s’installer dans une cabane pour admirer à son rythme l’hiver sur le lac Baïkal. Á l’unisson de son personnage, le film multiplie les plans sur ces paysages magnifiques, dont le paisible éclat invite à un émerveillement total. Passée la joie et la plénitude de l’installation, il laisse la place au quotidien hors du commun de la vie sibérienne : les bains dans l’eau glacée, les ballades dans la forêt enneigée, les séances de lectures nocturnes à greloter au coin du feu. Puis, il laisse place aux événements critiques, comme une tempête de neige ou l’irruption d’un ours sur le campement, qui prennent un air comique – un genre qui fait pleinement partie du répertoire de l’acteur. La fameuse scène avec cet animal féroce, sans doute la plus étonnante du film, distille à la fois la stupeur et l’humour avec précision et efficacité.

[quote_center] »Le résultat plastique est impressionnant pour une petite équipe française, secondée par quelques habitants et dotée de peu de moyens. »[/quote_center]

L’irruption dans son quotidien blanc et silencieux, d’un mystérieux ermite, permet avant tout au héros de tromper sa solitude. Aux côtés d’Aleksei, Teddie découvre comment survivre sur cette terre dangereuse. Cet exilé forcé se confie peu à peu sur son destin brisé. Cette amitié inattendue enrichit le voyage de Teddy et va lui permettre, peut-être, de se réconcilier pleinement avec lui-même. Entre deux parties de chasse et cuites à la vodka, l’acteur Evgueni Sidikhine dresse le portrait d’un homme singulier qui a préféré ne faire qu’un avec la nature plutôt que d’affronter la justice humaine.

Une aventure si rare

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Ce qui frappe au premier abord avec Dans les forêts de Sibérie, c’est le résultat plastique impressionnant pour une petite équipe française, secondée par la population locale. À aucun moment, ce film sur la solitude et le silence ne flirte avec l’ennui. Observateur sans être contemplatif, il explore avec une minutie documentaire le mode de vie ou plus tôt de survie dans le Grand Nord, avec une simplicité d’effets qui le rend très touchant. La musique presque cléricale signée Ibrahim Maalouf accompagne de manière originale le périple de Teddy. Elle complète le texte de Sylvain Tesson, présenté surtout au départ via une voix off solennelle, et donne une tonalité inattendue à ces paysages somptueux.

Raphaël Personnaz, pratiquement de tous les plans, incarne lui son personnage avec naturel et implication, quoiqu’avec un air un peu détaché – l’absence de caractérisation de son personnage, dans une volonté scénaristique d’épure, bride sans doute son jeu. Le film dénote aussi par sa volonté, étrange, voire inappropriée, de faire parler le plus possible Teddy en français alors que ses interlocuteurs ne peuvent le comprendre. En limitant ainsi l’usage de sous-titres peu vendeurs, le scénario cède-t-il à la pression des producteurs et des distributeurs, quitte à faire naître quelques incohérences ? Film d’aventure, que l’on peut qualifier sans crainte d’Into the wild à la française, réaliste et poétique à la fois, ce long-métrage parle en creux de notre société actuelle, embourbée dans un matérialisme étouffant, mais laisse malgré tout entrevoir un espoir : la possibilité de retrouver, à quelques milliers de kilomètres, cette sensation incomparable d’émerveillement permanent.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatresurcinq

Dans les forêts de Sibérie
De Safy Nebbou
2016 / France / 105 minutes
Avec Raphaël Personnaz, Evgueni Sidikhine
Sortie le 15 juin 2016
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