C’est la même chose chaque année : on critique, on dénigre, on rigole des Césars et de leur ambiance de veillée funèbre, leurs blagues lamentables lancées comme des torches frémissantes dans une glaciale caverne dorée. Chaque année, on a un peu de la peine pour tous les nouveaux professionnels de la profession, tout excités d’être invités au théâtre du Chatelet pour la grand-messe du cinéma français, et qui sont finalement obligés de faire moins de bruit que dans une salle de projection de presse. Parce que devant, les amis, ça dort, faudrait voir à pas bousculer les oreilles du gotha du 7e art, chaque année aussi ravi d’être là qu’un patron à son contrôle fiscal.

 

Mais bon. Chaque année, comme le conducteur qui ralentit inévitablement à chaque fois qu’il y a un accident sur le côté de la route, on regarde quand même les Césars, ne serait-ce que parce que derrière les pétards mouillés de l’inamovible Antoine de Caunes (tu voudrais pas assumer enfin ton âge et partir, Antoine ? Ne serait-ce qu’un an, histoire de prendre des cours auprès de Ricky Gervais ?), derrière les discours interminables et les apartés politico-émotionnels, il y a quand même des films. Qu’on aime ou pas, qu’on a vus ou pas (encore). Et parfois, il y en a qui font plaisir, comme le César du meilleur film attribué l’an dernier à The Artist.

Amour, le favori

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Cette année encore, le rapprochement avec les prestigieux Oscars n’est pas que calendaire : contre toute attente, Amour est le The Artist de l’année, et cela devrait lui donner un avantage certain sur ses concurrents, Camille redouble et De rouille et d’os en particulier, dans la catégorie « Meilleur film ». Audiard a déjà touché le gros lot avec Un prophète, Llovsky n’a pas le même « prestige » (et surtout elle n’a de réalisatrice que le nom)… On peut d’ores et déjà dire que l’amour va triompher, qu’on l’aime ou non.

 

Rayon réalisation, on aimerait toutefois bien voir, à défaut d’Audiard, Léos Carax récompensé pour Holy Motors. Malgré sa personnalité d’enfant pourri gâté et sa posture un peu trop complaisante d’artiste maudit, Carax a créé l’événement avec un prototype rare dans le cinéma français d’hyper-film d’auteur, carossé pour l’international alors qu’il s’agit d’une œuvre on ne peut plus expérimentale sur l’amour inconditionnel qu’on peut porter au cinéma sous toutes ses formes. Et puis donner un César à l’entomologiste à peine aimable qu’est Haneke, ça nous resterait quand même bien en travers de la gorge.

 

Pour le meilleur acteur et la meilleure actrice, malgré la belle performance de l’horripilante Marion Cotillard chez Audiard (comme quoi, quand elle est bien dirigée… n’est-ce pas, Christopher ?), on voit mal qui pourrait voler la vedette aux deux octogénaires d’Amour. Jean-Louis Trintignant, surtout, oublié aux Oscars, pourrait y gagner là une forme de César d’honneur ma foi bien mérité.

Et pourquoi pas deux prénoms ?

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Dans les catégories des meilleurs seconds rôles, on risque d’entendre beaucoup parler de Camille redouble (quatre nominations en tout !), raison de plus pour donner une petite mention honorable aux acteurs du Prénom. Ok, c’est populaire, c’est du théâtre filmé, mais le film reste franchement hilarant et impeccablement mené, particulièrement grâce Valérie Benguigui en prof hystérique et Guillaume de Tonquédec en musicien coincé et gérontophile, des rôles perfectionnés sur scène au fil de centaines de représentations.

 [quote_center] »Pour le meilleur acteur et la meilleure actrice, malgré la belle performance de Marion Cotillard, on voit mal qui pourrait voler la vedette aux deux octogénaires d’Amour. »[/quote_center]

Le meilleur espoir. Ah, ce fameux César du pauvre, du « jeune qui n’est pas encore assez arrivé pour être à la table des grands ». Ce César idiot, qu’on remet à Julie Depardieu l’année même où elle est aussi sacrée meilleure actrice. Ces demi-récompenses qui sont un peu aussi notre honte à nous, parce qu’elles vont surtout à des filles et fils de dernièrement, on espère qu’elles serviront à récompenser Matthias Schoenaerts, qui est en fait déjà dans une autre stratosphère que ses petits copains artistiquement parlant. Parce qu’on l’aime bien et qu’elle dit toujours des gros mots sur scène (attention à la séquence zapping), Izia Higelin est bien partie pour gagner de son côté un César pour un truc que personne n’a vu.

 

On espère sincèrement, pour le César du meilleur scénario « original », que le quasi-remake (avoué) de Peggy Sue s’est mariée imaginé par Noémie Lvovsky (et ses trois co-scénaristes, ça devait carburer, dis donc) passera à la trappe en faveur du cintré Holy Motors. Pour la meilleure adaptation, le favori reste Audiard pour De rouille et d’os, qui a effectué avec Thomas Bidegain un sacré boulot pour adapter une nouvelle de Craig Davidson.

Argo pour la gagne

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Ah, on allait oublier le meilleur film étranger, aka « le César dont tout le monde se fout à l’étranger, mais hey, faut bien un peu d’exotisme ». On a beau avoir un chouchou (Bullhead) et quelques films méritants (Oslo, 31 Août, Royal Affair), celui-là sera sans doute pour Argo. Mais sait-on jamais…

 

Pour le reste, comme on a peu d’arguments et parfois peu de légitimité (faute d’avoir vu certains nominés) pour plusieurs catégories, voilà nos pronostics en quelques mots :

 

Meilleurs décors : Holy Motors (ils ont quand même réussi à nominer aussi Amour dans cette catégorie !)
Meilleurs costumes : Cloclo (histoire qu’il reparte pas bredouille)
Meilleure photographie : Amour (Darius Khondji représente)
Meilleur montage : Holy Motors (bien que De rouille et d’os paraisse tout aussi bien placé)
Meilleur son : De rouille et d’os
Meilleure musique : De rouille et d’os (c’est l’année en or pour Alexandre Desplat)
Meilleur premier film : euh… Augustine ? Louise Wimmer ? Allez, Louise Wimmer
Meilleur film d’animation : Ernest et Célestine
Meilleur film documentaire : Les Invisibles

 

Last but not least, un César d’honneur va être remis durant la soirée à Kevin Costner. Tiens, en voilà une bonne raison pour supporter les sketches de Jamel Debbouze.

 

Bonus : Le Nouvel Obs s’est amusé à imaginer le déroulement de cette soirée des Césars. Bon, le pire, c’est qu’une bonne partie de leurs conneries pourrait bien devenir réalité.