On apportera des preuves si besoin, mais les faits sont là : Albert Dupontel fait partie de ces iconoclastes à l’univers instantanément reconnaissable, dont la soif de perfection et le besoin maladif d’en « donner pour leur argent» au public sont cruellement rares dans le cinéma français. L’ex-comique devenu acteur respecté et réalisateur cintré de Bernie et du trop sous-estimé Créateur, trimbale depuis bientôt 15 ans derrière la caméra son obsession pour le cinéma de Terry Gilliam, les gags visuels et la satire sociale rentre-dedans. Le souci, avec une force créatrice aussi reconnue, vient du fait qu’il devient souvent plus difficile de surprendre. Enfermés dehors, en 2006, frisait le burnout à force de surligner l’humour trash qui est la marque de fabrique du grand Albert, tandis que Le Vilain manquait clairement sa cible malgré la surprenante interprétation de Catherine Frot.

Avec Neuf mois ferme, inspiré par le documentaire de Raymond Depardon 10e chambre – Instants d’audience, Dupontel fait mieux que redresser la barre : il signe sans ce qui est sans doute, objectivement, son meilleur film. Le plus complet, le plus précis en terme de timing comique, le plus audacieux aussi visuellement. Car plus que jamais, la parenté entre Dupontel et ses vieux potes Gaspar Noé et Jan Kounen (qui font un caméo savoureux) reste pertinente : ces lascars-là, en plus de ne pas s’embarrasser de politiquement correct, sont aussi des amoureux de la caméra prima donna, du cadre chiadé et des défis techniques. Si on rajoute à cela le fait que Sandrine Kiberlain est à se rompre le diaphragme de rire, pas étonnant que Neuf mois ferme ait tous les ingrédients pour être la comédie française de l’année.

Ariane Felder, juge et enceinte

Étrange festival - Neuf Mois Ferme : jugé hilarant !

Le film part d’un pitch aussi universel qu’efficace : l’héroïne est Ariane Felder, jeune juge d’instruction prometteuse et dure à la tâche, qui n’a que faire des hommes et des envies de maternité (tous suspects !). À la veille d’une promotion, Ariane (Kiberlain) découvre, au bout de cinq mois, qu’elle est enceinte, une improbabilité impossible à accepter, et ce d’autant plus que le père de l’enfant est un criminel arrêté pour cambriolage et « globophagie », Bob Nolan (Dupontel), croisé après une soirée arrosée. Que faire, à qui le dire ?

[quote_right] »Si on rajoute à cela le fait que Sandrine Kiberlain est à se rompre le diaphragme de rire, pas étonnant que Neuf mois ferme ait tous les ingrédients pour être la comédie française de l’année. »[/quote_right]Cette histoire, simple en apparence (et de fait, le film n’a pas besoin de plus de 80 minutes pour la raconter) recèle un potentiel comique indéniable, reposant sur une attraction des contraires poussée à son paroxysme. Contrairement à tous les personnages de trentenaire romantique-mais-pas-trop qui pullulent dans les comédies françaises, Ariane est avant tout définie par sa fonction. Une juge intransigeante, figure d’autorité que Dupontel s’échine à dérégler une fois révélée sa maternité, et sa rencontre avec un criminel « taré-débile » qui voit là une occasion de se débarrasser des accusations de meurtre (et d’ingestion de yeux !) qui pèsent sur lui. Il est alors moins question entre ces deux-là de romance que d’apprivoisement, Ariane finissant non pas par trouver du charme à son improbable compagnon mais à questionner sa culpabilité. C’est l’occasion pour le scénariste et réalisateur, aidé dans sa tâche par de véritables juges vus chez Depardon, de dresser un portrait à la fois féroce et réaliste du monde de la justice, où les juges croulent littéralement sous les dossiers tout en les décortiquant avec professionnalisme et un cynique détachement. On est toutefois loin d’une dénonciation à la Costa-Gavras. Dès le tournoyant plan-séquence inaugural, qui évoque inconsciemment Alex de la Iglesia, on revient dans un terrain connu depuis Bernie : speedée, exagérée sans virer à la beauferie, ne se refusant aucun gag ni personnage loufoque, la comédie selon Dupontel se veut frénétiquement drôle, sans jamais se relâcher. Le réalisateur avoue avoir passé du temps en salle du montage et en projection-test pour peaufiner, encore et encore, son dernier-né. L’exercice a payé, et de quelle manière !

Un futur classique ?

Étrange festival - Neuf Mois Ferme : jugé hilarant !

Le film est ainsi saturé de dialogues cultes en devenir, de caméos jouissifs (Gilliam est à nouveau de la partie), de scènes d’anthologie (de la vidéosurveillance aux flash-back de « la nuit du meurtre » joyeusement gore, en passant par les faux journaux TV, elles sont trop nombreuses pour être toutes citées) et de prestations parfois brèves mais millimétrées, assurées par des pointures comme Philippe Duquesne, Bouli Lanners, Philippe Uchan ou Nicolas Marié, an-tho-lo-gique dans le rôle de maître Trolos, avocat bègue, incapable, et source de rires incontrôlables. Des habitués, tous utilisés à la perfection dans leurs face-à-face avec Kiberlain et Dupontel, dans son rôle désormais familier de simplet dangereusement attachant. La « grande tige rousse », qu’on a beaucoup vue ces dernières années dans le registre comique (mais pas forcément dans les meilleurs projets du genre) a rarement été aussi convaincante que dans la robe de plus en plus arrondie du juge Felder.

C’est à travers ce personnage, ébranlé par des émotions qu’elle ne peut plus contrôler de la même manière que sa vie professionnelle, que Neuf mois ferme trouve son miraculeux équilibre entre comédie potache et grand film populaire, faisant passer son public par toutes les émotions. Il aura fallu que Dupontel se mette cette fois en retrait pour insuffler dans son cinéma cette dose de tendresse qui manquait parfois dans ses précédents essais. Il faut voir cette incroyable scène en images de synthèse, du bébé dans le ventre de sa mère, semblant communiquer dans un sourire une promesse de bonheur maternel, pour saisir la confiance avec laquelle Dupontel a abordé son film. Le happy end a beau être convenu et attendu, Neuf mois ferme déborde tellement de générosité et de savoir-faire que toute résistance est, depuis longtemps… peine perdue.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Neuf mois ferme
D’Albert Dupontel

France / 2013 / 80 minutes
Avec Sandrine Kiberlain, Albert Dupontel, Nicolas Marié
Sortie le 16 octobre 2013
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