La renaissance cinématographique du mythe Superman tient depuis bientôt 25 ans du super-casse-tête, une équation que même un cinéaste aguerri tel que Bryan Singer s’est révélé incapable de résoudre (son Superman Returns, confit dans une adoration béate pour les films de Richard Donner, passe particulièrement mal l’épreuve du temps). Depuis que Superman IV a enterré à coup de transparences foireuses – si vous n’avez jamais vu ce nanar interstellaire, un coup d’œil à cet Honest Trailer s’impose – la période Christopher Reeve, le Kryptonien préféré des Américains est passé par une sacrée période de development hell, du Superman Lives avorté de Tim Burton à Flyby, première ébauche de ce qui est aujourd’hui devenu Man of Steel. À chaque fois, la question se pose, inexorable : comment rendre intéressant et crédible un super-héros sans défaut, dont la nature même est d’être irréprochable, invincible ? Par sa nature omnisciente, toute-puissante, Superman est une icône tellement imposante qu’elle résume dans son seul costume toute une culture déclinée depuis 80 ans sur tous les supports. Il n’y a qu’à voir les torrents d’insultes qui ont été envoyés à Zack Snyder & co lorsqu’ils ont déclaré vouloir renoncer au slip rouge traditionnel de Supes’, pour moderniser (on les comprend) son apparence, à la manière du lifting opéré avec les X-Men. Sacrilège !

[quote_left] »Soucieux de montrer de quel bois le héros capé peut se chauffer, le film passe sur la fin en mode surchauffe. »[/quote_left]Si les comics étaient une religion, Superman en serait donc le temple inviolable. Un parallèle pas si fortuit quand on prend en compte l’aspect christique du personnage, envoyé sur Terre par son père biologique pour, littéralement, répandre la bonne parole : l’humanité vaut bien qu’on la protège, et pour cela, rien n’est plus efficace que la paix entre les peuples (c’est, ironiquement, le message que voulait faire passer Christopher Reeve en prenant les rênes de son quatrième Superman). Plus révélateur encore, Kal-El est passé de vie à trépas dans les années 90 côté BD, avant de ressusciter en bonne et due forme, apportant à nouveau de l’espoir à une civilisation qui s’était empressée d’oublier ses bonnes paroles. Bref, après que la trilogie Batman ait enterré la Warner et DC Comics sous des milliards de dollars, il devenait clair que pour offrir à une nouvelle génération avide de super-héroïsme, aucune autre équipe n’était aussi qualifiée pour réussir ce challenge. Christopher Nolan (ici producteur et éminence grise), David Goyer (scénariste) et Hans Zimmer aux synthés ont donc déménagé de Gotham à Metropolis, embarquant dans le voyage un Zack Snyder pas fâché de laisser derrière lui l’échec Sucker Punch (mérité, à vrai dire). Le résultat s’avère honnêtement impressionnant, redéfinissant par moments le sens de l’expression « grand spectacle », tout en affichant un sérieux désarmant et un sens de la démesure qui le desservent plus qu’ils ne l’élèvent.

Un prologue pour les calmer tous

Critique : Man of Steel, de Zack Snyder

Comme dans le classique révéré de Richard Donner, Man of Steel démarre sur Krypton. La planète ne ressemble plus à un immense palais des glaces, mais à une terre volcanique dont l’architecture, la faune et les costumes rococo synthétisent une décennie de SF, des Chroniques de Riddick à Avatar en passant par Star Trek et Thor. Snyder, pour qui tout est généralement « awesome », est loin d’être un adepte de la retenue et du sous-entendu. Contrairement à son producteur, l’homme ne tarde pas à dévoiler son besoin irrépressible de montrer qui a la plus grosse : au bout de cinq minutes, une bataille digne d’un space opéra enflamme le ciel, Russel Crowe chevauche un dragon à quatre ailes et l’impressionnante « Phantom Zone » où sont enfermés le général Zod (Michael Shannon, à peine moins impressionnant que dans The Iceman) et sa clique de rebelles est dévoilée en même temps qu’explose une planète entière. Fin ? Non, il s’agissait juste d’un prologue, une « entrée en matière » en forme de climax qui, avec le recul, se révèle proportionnellement timide par rapport au vrai morceau de bravoure du film.

Cette recherche effrénée et immédiate de spectacle a un contrecoup prévisible : elle empêche de s’attacher plus que de raison aux personnages qui vont entourer Clark Kent, dont l’enfance nous est révélée en flash-backs. Chaque moment de « repos » semble n’être placé là que pour constituer une pause avant la prochaine démonstration de force de Snyder, qui disposait mine de rien pour la première fois d’un budget illimité. C’est aussi un moyen comme un autre pour ne pas ressasser les mêmes séquences initiatiques à Smallville (Clark trouve quand même le temps de sauver de la noyade une certaine Lana Lang) et d’en arriver rapidement à l’essentiel, soit l’âge adulte où un héros déraciné doit faire face à un choix cornélien – révéler sa vraie identité après l’arrivée d’un Zod en mode génocide ou continuer sa vie de vagabond façon docteur Banner.

The show must go on… and on and on

Critique : Man of Steel, de Zack Snyder

Mais là encore, ce choix narratif a des conséquences : malgré sa bonne volonté, ses biceps en acier et son sourire ravageur, Henry Cavill personnifie un Superman bien plus distant que celui de Reeve (et, dans une moindre mesure, de Brandon Routh), échouant par exemple à faire ressentir son dilemme dans un risible moment de confession au prêtre du coin. Le parcours émotionnel de Kent, fragmenté et très schématique, ne s’avère pas assez fouillé pour que l’orphelin, tiraillé entre l’héritage de deux pères et de deux cultures, acquiert la même envergure qu’un Bruce Wayne – c’est pourtant là l’objectif assumé et visible de la team Nolan, qui a conçu en quelque sorte le film comme un Superman begins dopé aux stéroïdes. Oh, et ces va-et-vient signifient également que le rôle de Kevin Costner, idéal en pa’ Kent, est réduit à sa portion congrue (et synthétisée dans l’efficace et pourtant très artificielle séquence de tornade), et ça, c’est une erreur colossale. D’ailleurs, aucun personnage autre que Kent et Zod n’est développé dans Man of Steel au-delà de sa fonction narrative (une plaie commune à de nombreuses grosses productions récentes). L’important pour Snyder semble être d’effacer le souvenir d’un Superman returns avare en terme d’action. De ce côté-là, on est servis, jusqu’à l’asphyxie.

À partir du moment où la flotte de Zod débarque sur Terre, avec pour ferme intention de retrouver Kal-El et le savoir génétique de la civilisation kryptonienne que lui a légué son père (oui, les Kryptoniens sont ici des adeptes de la manipulation génétique et plus généralement de l’eugénisme et du prédéterminisme, rappelant en cela fortement les Spartiates de 300), Man of Steel devient un festival quasiment ininterrompu de pyrotechnie et de baston qui reste toutefois plus lisible qu’un Transformers. De fait, s’il y a une chose dont on ne pourra accuser le film, c’est d’être avare en plans iconiques. Que la lutte de Supes’ contre le général Shannon et la véloce Faora, qu’on jurerait sortie d’un Metal Gear Solid, se déploie sur 45 minutes à faire passer le final d’Avengers pour une série B thaïlandaise, que l’énergie furieuse des pages de comics trouve son équivalent dans une orgie de destruction et de super-punchs, très bien. L’une des bonnes idées du scénario de Goyer est d’ailleurs d’expliquer la nature surhumaine des pouvoirs de Kal-El (le vol supersonique, la vision et l’audition x-ray, etc.) par la nature même de l’atmosphère terrestre et de son soleil, qui décuple les habilités du Kryptonien dès son plus jeune âge, et nécessite pour ses belliqueux congénères un temps d’adaptation.

Froid comme l’espace

Critique : Man of Steel, de Zack Snyder

Mais comme le dit une formule éprouvée, parfois, trop de spectacle tue le spectacle. Plutôt que d’interagir avec les humains, comme sa mère, quelques militaires interchangeables et bien sûr Lois Lane (excellente Amy Adams), dont la love story obligatoire semble être une béquille encombrante plus qu’un atout désiré dans le scénario, Superman préfère détruire une sorte d’araignée métallique géante au fin fond de l’Océan Indien ou tenter de raisonner Zod – comme si cette Némésis toute désignée allait se rendre et abandonner son projet de transformer la Terre en nouvelle Krypton – avant de le tabasser… et même pire, selon les fans les plus dévots du personnage. Superman, protecteur de l’humanité ? Présenté dans Man of Steel, l’homme d’acier s’avère surtout être un vrai destructeur d’extraterrestres et de biens publics. Soucieux de montrer de quel bois le héros capé peut se chauffer, le film passe sur la fin en mode surchauffe, donnant des allures de caprice boursouflé à un début de saga qui ne cache néanmoins à aucun moment son ambition visuelle (à ce niveau, l’œuvre est véritablement impressionnante) et son attention aux détails, semés ici et là pour les inévitables séquelles.

En l’état, ce blockbuster-là a réussi sa mission : le règne de Cavill est parti pour durer. Mais l’œuvre qui le porte s’avère froide, souvent sentencieuse – voire cette pataude séquence onirique où Superman est symboliquement enterré sous des montages de crânes humains – et jamais subtile. Le clin d’œil final à la double identité journalistique de Clark Kent, qui n’a aucun sens dans le cadre de ce reboot (son identité est d’ores et déjà connue de l’intégralité de la planète), montre les limites d’un exercice de réinterprétation qui n’ose pas, derrière les déflagrations, imposer une vision personnelle et novatrice d’un personnage auquel il est décidément super complexe de rendre… justice (hé hé).


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Man of Steel, de Zack Snyder
USA / 2013 / 135 minutes
Avec Henry Cavill, Amy Adams, Michael Shannon, Russel Crowe
Sortie le 19 juin
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