Bird Box : au royaume des aveugles

par | 16 janvier 2019

Film phénomène de la fin 2018 sur Netflix, Bird Box s’appuie sur une Sandra Bullock motivée pour faire passer la pilule d’une aventure à moitié convaincante.

« Si vous n’écoutez pas ce que je vous dis, si vous enlevez vos bandeaux, vous mourrez. C’est compris ? » En matière de discours motivationnel pour enfants, Malorie (Sandra Bullock) n’est pas exactement l’exemple à suivre. Dans Bird Box, Malorie est la survivante, avec d’autres, d’un mal insidieux qui frappe un beau matin l’ensemble de la planète. Les plus grandes peurs de chaque individu se matérialisent devant eux et les poussent, tous, à se suicider au plus vite, causant le chaos total.

Témoin impuissant de cette fin du monde, Malorie, enceinte, parvient à se réfugier avec d’autres dans une grande maison de banlieue. Le groupe improvisé va devoir survivre sans mettre le nez dehors, ou alors les yeux couverts pour ne pas subir d’attaque. Le récit fait alors le va-et-vient entre ce passé et le présent, cinq ans plus tard, alors que Malorie et ses deux enfants entament la descente d’une rivière les yeux bandés, à la recherche d’un Eden protecteur et d’une possible rédemption…

Un regard avant de mourir

L’héroïne de Bird Box, devenu en quelques semaines l’un des films-phénomène de Netflix, au point d’inspirer de tristes et stupides challenges sur Internet, est un type de protagoniste que l’on a pas l’habitude de croiser dans le cinéma hollywoodien, même dans le film de genre strictement codé auquel le nouveau long-métrage appartient. Dénuée d’instinct maternel autre que celui de protéger des marmots sans défense, Malorie doit affronter le pire des scénarios alors qu’elle se refuse à admettre sa grossesse et la parenté autrement que comme une « condition », une fatalité qui doit être remise en perspective face à l’impensable. Et l’impensable ici, consiste à imaginer une variation du pitch du Phénomènes de Shyamalan pour y ajouter l’interdiction de regarder devant soi, sous peine de voir la folie et l’envie de mort s’imprégner directement dans votre cerveau (sauf pour les « vrais fous », comme le révèle maladroitement le scénario). La parenté avec le récent carton Sans un bruit est inévitable (le risque de regarder remplaçant le risque de faire du bruit, la grossesse de l’héroïne comme un élément majeur du script), mais Bird Box étant l’adaptation d’un roman sorti en 2014, difficile de taxer la réalisatrice Susanne Bier d’opportunisme.

On aurait pu penser la réalisatrice danoise refroidie par ses expériences américaines (Nos souvenirs brûlés et Serena, deux bides au box-office). Le pouvoir d’attraction de la star Sandra Bullock aura sans doute joué sa part dans l’équation proposée par Bird Box. Elle tente de tirer le meilleur d’un scénario formulaïque adapté aux tourments de notre époque contemporaine, pondu par Eric Heisserer (Premier Contact, mais aussi le remake de The Thing, on ne le rappellera jamais assez). Celui-ci reproduit un peu trop paresseusement la narration en deux temps du roman, ce qui à l’écran crée une problématique mécanique de dilution du suspense.

Voyage au bout de la maternité

Comment ainsi garder intacte la tension dans les flash-backs, si l’on sait pertinemment qu’aucun des protagonistes incarnés par John Malkovich (qui incarne un connard trumpien à qui le film donne, c’est regrettable, toujours raison), Jackie Weaver, Danielle MacDonald ou l’excellent Trevante Rhodes ne seront du voyage final ? Passée une impressionnante scène d’apocalypse, réminiscente de l’ouverture de L’armée des morts, Bird Box s’enferme pour ces scènes dans une logique de siège sans surprise, rendue plus bizarre par le fait que les « formes » qui attaquent l’humanité ne sont pas capables de pénétrer dans les maisons. Meurtriers, mais polis, ces envahisseurs. Plus convaincantes et inventives, à l’image de cette pause crispante sur la rive pour une quête de provisions ne tenant littéralement qu’à un fil, les scènes de voyage « à l’aveugle » en canoë entrent plus dans le vif du sujet. Au fil de ce périple à la Délivrance, le film questionne les raisons qui poussent Malorie à survivre dans un monde privé du regard d’autrui, et les notions de transmission et d’héritage. Ce que le bandeau occultant symbolise parfaitement : dans un monde sans avenir ni direction claire, comment des parents peuvent-ils montrer la voie à la prochaine génération ?

S’il ne tire jamais complètement parti de son concept (à l’image de Sans un bruit, film sur le silence bien trop bruyant, Bird Boxn’ose jamais aller vers le noir complet pour nous placer dans la même situation que ses héros), souffre de dialogues clichés et d’une menace trop peu explicitée au-delà de son rôle métaphorique pour nous faire frissonner, Bird Box répond avec une certaine efficacité au cahier des charges du suspense post-apocalyptique à grande échelle. Il peut dire merci au talent d’une Sandra Bullock jamais autant à son aise que dans les rôles d’outsider malpoli et résilient, et à une vision un peu différente du genre, plus portée sur les malaises existentiels de protagonistes usés par la paranoïa ambiante et le sentiment d’impuissance, que sur l’avalanche de jump scares bourrins et de surenchère héroïque.